Nous partîmes cinq cents...
"Nous
partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort
Nous
nous vîmes trois mille en arrivant au port."
Trois
mille ? Pas tout à fait. Il exagère, le cher vieux Corneille. Vingt-et-un, puis
vingt-cinq archéologues, devenus sept cent cinquante trois, cela
nous suffit bien : la fine fleur de l'archéologie française actuelle,
jusqu'à des partisans de la thèse officielle résidant à des milliers de
kilomètres d'Alise aussi bien que de Chaux, à l’autre bout du monde. Nous faire
insulter par des gens de Bruxelles, de Genève, de Brescia, de Guyane,
d’Australie ou de Polynésie est, ma foi,
gratifiant. Tandis que lire, sous la plume de Bernard Lambot qu’il conseille à
Franck Ferrand de «passer plutôt son temps à se cultiver» vous fait imaginer
voir la lune en plein midi.
Un
enthousiasme contagieux, partagé par des petits jeunes dont la seule motivation
est d'avoir soutenu leur maîtrise ou fait leurs études à Dijon... un bon point,
en tout cas, pour préparer sa carrière!
Et une escalade dans l'injure qui atteint des sommets anapurnesques, inattendue
chez des signataires de cette qualité.
Mais
de quoi s'agissait-il au juste ?
D'une
monstruosité. Qui invite à réfléchir et à pousser la réflexion jusqu’à de plus
amples perspectives.
Résumons.
La lutte contre l'hypothèse Alésia = Alise avait pris une extension inespérée
depuis que Franck Ferrand à la radio, moi avec mes livres, lui avions donné un
nouvel essor en portant sur la place publique ce qui, depuis un demi-siècle à
présent, était rageusement maintenu sous l'éteignoir. C'était déjà
beaucoup ; c'était trop.
Mais
il y eut soudain une petite goutte d'eau qui fit déborder le vase : l'opération
pratiquée grâce au procédé LIDAR, qui ne fut pas publiée, pour diverses raisons,
bien qu’ayant été exposée plusieurs fois et avec projections, en conférence, à
Lons, à Lyon, à Tours, à Paris, à Baume. Entre autres, si les Alisiens peuvent
publier tout et n'importe quoi sur n'importe quel support, les revues
«scientifiques» se cabrent au seul intitulé «Alésia». Même un innocent article
sur la graphie du nom Alesia fut refusé par une publication
internationale où j'avais déjà fait paraître onze études, parce que le sujet était «trop polémique».
On
imagine l'accueil qui aurait été réservé par la toute-puissante Communauté
Scientifique à une étude relatant, pour apporter des éléments décisifs sur
Alésia, le recours à un procédé révolutionnaire à ce moment-là! Nous
étions les seconds, en effet, après les Allemands, à en avoir eu l'idée ; et l'inventeur
de l'application du système à l'archéologie travaille à cinq kilomètres de
Grenoble... Nous réservâmes donc nos premiers résultats pour le second ouvrage
collectif prévu, traitant, cette fois, d’Alésia à Chaux.
Tout
incomplète qu'elle fût restée, par la force des choses et le manque de moyens
financiers, l'étude menée par François Chambon, (architecte DPLG de Lyon), pour
l’interprétation des clichés réalisés par Renato Saleri, (spécialiste de la production
d’images), avait mis en évidence, sur la montagne Nord, tout le système
militaire dont parle César et que les explorations permises jadis à André
Berthier avaient découvert par fragments : dont, surtout, des excroissances
englouties par les siècles et la végétation mais que des investigations au sol
avaient révélées construites, espacées rigoureusement des 24 m spécifiés par
César (très exactement : 80 pieds x 0,296 = 23,68 m, arrondis à 24 m).
Quand
on sait que les tours identifiées à Alise sainte-Reine sont distantes de 15 m,
16 m, 17,50 m, 58 m (selon M. Reddé, Rapport de fouilles, p. 110, 116, 130),
pas une seule fois de 24, on imagine quel avantage aurait été donné à
l'hypothèse Chaux si d'autres révélations de ce style avaient suivi !
Car
les raisonnements militaires de François Chambon, expert en polémologie,
mettaient en place et justifiaient comme tels les vestiges militaires
connus déjà et baptisés, par les observateurs officiels d'il y a plus de
quarante ans, «tas d'épierrement», «limites de forêt», ou, le plus pittoresque,
«moraines»! C'étaient donc bien des portes, c'étaient des redoutes, c'étaient
des murs, c'était un agger, c'était un fossé, et disposés comme la
logique militaire l'exigeait! Les distances étaient là, les espacements étaient là, les portées de tir
étaient là, et le relief de ce site montagneux expliquait logiquement la
disposition et l'organisation d'ensemble et de détail que devait présenter un
camp romain en pareil endroit.
Une
promenade effectuée par Philippe Gandon (géomorphologie, magnétométrie), avait
même déterminé le tracé d'un fossé sur lequel s'étaient abattues les palissades,
tandis que les opérations menées par Jean-Jacques Morey (géoradar) venaient
compléter, dans la plaine, les informations des sondages Berthier de jadis.
Bref,
les éléments du puzzle une fois mis en place selon les normes voulues par les
textes antiques et les réalités de la polémologie moderne, le camp Nord de
César était là, et tout l'épisode longuement décrit par le de
Bello Gallico pouvait s'y voir restituer moment par moment : le camp
était installé à l'endroit d'où les Gaulois, s'ils l'avaient emporté, se
trouvaient en mesure de dégringoler en quelques minutes sur Syam, et d’atterrir
en plein milieu des lignes de plaine que les assiégés aussi bien que l'armée de
secours n'avaient pu enfoncer ni sur l'avant ni sur l'arrière ; le
mouvement tournant de Vercassivellaun s'y établissait en temps, en distance et
en lieux - la marche nocturne, le stationnement, puis l’attaque -, tout comme
l’intervention finale de César, et l’on voyait les «pentes» qu’il «descendait» ;
les artefacts découverts, identifiés comme «instruments agricoles» par
l'expertise qu'en fit Jean-Paul Guillaumet et qui ressemblaient pourtant
furieusement à des flèches, des talons de lance, des pointes de pilum etc., retrouvaient leur véritable
nature. Bref, la réalité, secondée par la science, avait déjà corroboré, pour
une partie du site, le texte de César.
Qu'allait-il
en être, si d'autres explorations confortaient ces estimations premières! si,
se déplaçant sur l'oppidum-même, elles déterminaient, à l'intérieur des
formidables remparts cyclopéens bien connus, les traces d'un habitat ?
Et,
justement, l’éventualité de cette réalisation semblait se préciser de plus en
plus, confortée par l’annonce que fit M. Jean-Charles Arnaud, devant les 450
auditeurs de la conférence que prononça Franck Ferrand à Baume-les-Messieurs,
le 14 mai 2016 : il s’offrait à financer en grande partie le second volet
de l’expérience LIDAR à Chaux…
Panique
à bord! Effroi dans la volière! En partie!...
Et le reste ? Si jamais cette initiative allait rogner sur les maigres
subsides qui alimentent les travaux des laboratoires bisontins ?
Inquiétude,
il faut l’avouer, tristement légitime, si l’on en juge par la diminution
drastique des crédits que l’État consacre à la recherche en tous domaines,
particulièrement l’archéologie. Mieux valut financer un musée de l’Art Nègre [1] – en langage
politiquement correct : des Arts Premiers – que de mettre au
jour nos arts premiers et plus que
premiers, ceux des hommes qui foulèrent notre
sol depuis des milliers d’années.
Il
s’agissait en l’occurrence, du sol que foulèrent les hommes de Vercingétorix et
de César, les plus dangereux. Le ciel allait risquer de nous tomber sur la tête!
D’autant plus que, je m’en avise à l’instant, les recherches LIDAR étant menées
par hélicoptère, la vérité risquait de tomber vraiment du ciel, et telle une
autre foudre…
Le
CNRS se leva comme un seul homme ; fit se lever, grâce à l’union sacrée
des membres du CNRS plus ou moins franc-comtois (eh ! oui…) et
bourguignons, un premier peloton de vingt-et-un archéologues qui rédigèrent un
manifeste interminable dont furent gratifiés toutes les personnalités
politiques et les journalistes de la Région. Le manifeste se gonfla bientôt
pour se doubler d’un second réquisitoire, plus agressif encore, déborda pour
gagner la Presse et la fièvre monta, monta, jusqu’à mobiliser, grâce à une
pétition virulente, tous les collègues qui, de près ou de (très) loin,
pouvaient se réclamer de la recherche en histoire ou en archéologie. Même si
vos études portent sur Théodose ou sur la civilisation précolombienne, vous
êtes forcément habilité à émettre un
avis sur Alésia, puisque vous êtes collègue!
Il se
trouva donc, je l’ai dit, 753 collègues et
néanmoins amis, selon l’expression consacrée chez les Universitaires, pour
voler au secours de leur Communauté Scientifique en détresse et lui apporter
l’appui de leur prestige… toutes catégories. Question, essentiellement, de dé-on-to-lo-gie! Quelle malséance,
que de frustrer la thèse officielle pour prêter l’oreille et donner de l’argent
à cette petite bande de farfelus capables – et coupables – d’aller chercher
ailleurs!
J’ai
écrit «farfelus», le terme qui, le plus souvent, nous caractérise. J’aurais pu
en choisir un autre parmi la riche panoplie qui arma soudain l’ire de nos
contempteurs. Incroyables, le pittoresque et la variété des appréciations que
souffle à nos intellectuels la simple idée de voir contester le site qu’ils
chérissent – ou que leurs collègues chérissent, les spécialisations énoncées,
axées sur le paléoenvironnement et la protohistoire les ayant sûrement laissés
froids, jusque aujourd’hui, sur l’emplacement d’une bataille livrée en 52 av.
J.-C. [2]
Entre
autres : nous sommes «une secte», des «rats de bibliothèque», des
«fumistes», des «illusionnistes», des «paranoïaques» des «charlatans», des
«incompétents absolus». Nous faisons preuve de «populisme», d’un «obscurantisme
crasse», de «créationisme», de «poujadisme intellectuel» ; nos écrits sont
une «mascarade», une «campagne hystérique», voire une «escroquerie nauséabonde»
ou même «toxique» preuve d’un désolant
«nivellement culturel» ; remplis sont-ils d’«élucubrations» voire de «falsifications
scientifiques», quand ce n’est pas des «imprécations hystériques
d’obscurantistes».
Pour ce
qui est des «imprécations hystériques», nous sommes en bonne compagnie, je
crois ; et serions autorisés à répondre sur le même registre si la simple
décence et le respect que nous avons légitimement de nous-mêmes ne nous
l’interdisaient. On croit rêver lorsqu’on lit le commentaire de Fabien
Régnier : «croisade imbécile qui
n'hésite plus à utiliser l'insulte et les pires excès de langage pour s'en
prendre aux scientifiques, tombant dans un "complotisme" parfaitement
déplacé.»
Injures ? De notre
part ? Ah! bon ?...
Pour ce
qui est du «nivellement culturel»… La recherche sur la localisation d’Alésia
exige au moins la connaissance du texte latin fondamental, et nécessite la
familiarité avec quelques auteurs grecs qui le complètent. Plutôt que d’avaler
sans broncher les traductions préfabriquées en fonction de la thèse officielle,
nous savons et pouvons discuter les expressions employées par César, par Dion,
par Plutarque, au mot près, voire, pour ce qui est du moine Héric, à la syllabe
près, mieux : à la voyelle près. Comme l’hypothèse «Alésia = Alise» dépend
essentiellement de cette voyelle, dans un texte poétique latin de 864 ap.
J.-C., on mesure, j’espère, l’importance d’une culture «latine», et l’inanité
de cette accusation.
Multiple et diverse «culture», je l’ai dit dans l’un
de nos entretiens précédents, elle s’étend à tous les écrits des Alisiens
actuels (livres, revues, manifestations médiatiques etc.) outre l’épluchage du
grand Rapport de fouilles qui livre
les résultats de l’archéologie alisienne ; et elle a déniché en outre des
publications du temps de Napoléon III, difficilement accessibles, qui discutaient
déjà des aspects géographiques, polémologiques, textuels etc. des résultats
impériaux.
Combien, parmi les 753 signataires, ont-ils
pris la peine de s’informer pareillement sur nos arguments avant de les rejeter
en bloc ?
Pour
ce qui est du «complotisme», l'initiative de ce quarteron d'archéologues, comme
eût pu dire Qui-vous-savez, suffit à prouver qu'un complot existe bel et bien -
nous le subissons dès qu’ils prennent la plume. Mieux : qu'il est tentaculaire.
Parlons
à présent de ces «compétences» dont nous sommes si absolument dépourvus.
Quelles compétences sont-elles donc exigibles pour déterminer la localisation
d’un combat ? La connaissance d’un texte «fondateur», celle du contexte
historique qui entoure l’événement, et celle de tous les éléments de
civilisation, surtout des arts guerriers, qui en peuvent éclairer les détails ;
le sens, évidemment, de la logique, permettant de déterminer la validité d’une
reconstitution sur le papier ou en vraie grandeur, et avec lui le sens
critique, apte à juger si les diverses pièces dont on dispose viennent bien
s’insérer à leur place dans ce vaste puzzle ou si elles doivent en être
éliminées. Les objections que dressent les considérations de relief, de
distances, de normes humaines devant une théorie sont peut-être plus
déterminantes que les preuves matérielles, pour en assurer ou en infirmer la
valeur.
Ces
facultés-là ne dépendent nullement d’un diplôme en archéologie, ni même en
lettres et en histoire. Elles sont l’apanage des hommes «de terrain» dans tous
les domaines, et ces domaines sont complémentaires. Appliquer à un épisode
historique complexe les compétences que vous a données l’exercice d’une
profession susceptible de l’éclairer sur de multiples détails est-il si
blâmable qu’on puisse vous traiter d’«incompétent absolu» si vous commentez en
militaire ou en géographe les aspects militaires ou géographiques d’un
événement du passé ? La question d’Alésia déborde largement l’analyse au
microscope ou le terrassement, tout autant que la simple aisance à traduire!
Encore faut-il interpréter, analyser, critiquer, vérifier, exploiter ce qu’on a
sorti des textes d’abord, et ce qu’on sortira du sol ensuite.
Même
la «jugeotte» d’un enfant peut jeter bas d’un mot un bel édifice d’histoire aux
assises branlantes, dont un adulte n’aura pas décelé le détail qui le condamne.
La pratique professionnelle n’a rien à y voir, la lucidité n’a pas d’âge ni ne
réclame de spécialisation poussée.
Se
donner une culture en histoire n’est pas interdit, j’espère, même si l’on n’est
pas historien à plein temps. L’architecte comme le maçon, le rebouteux comme le
chirurgien, le paysan, le cordonnier, le forgeron s’occuperont donc efficacement d’Alésia, même
s‘ils ne connaissent rien à l’archéologie. Surtout s’ils se passionnent pour la
question. Dans «amateur» il y a «aimer». On peut nourrir plusieurs amours… et consacrer
tous ses loisirs à tout autre centre d’intérêt que son métier! Un ouvrier en
toutes branches incollable sur César et son temps me paraît bien plus qualifié
pour parler d’Alésia qu’un spécialiste en tessons proto-historiques ou qu’un
grammairien de profession. Je refuse donc formellement cet indigne «incompétents
absolus».
Mais
s’agissait-il même d’un énième débat de fond sur la légitimité de tout un
chacun à s’intéresser au problème Alésia ?
Non. Pas
cette fois, sauf dans des mots de mépris.
Le
manifeste adressé aux Élus et la pétition destinée à rameuter les collègues et
soulever l’indignation du grand public, ne visaient pas le contenu de la thèse
Berthier, ne discutaient pas de points d’histoire ou d’archéologie, n’incriminaient
pas, comme d’habitude, la qualité de ceux qui s’en occupent actuellement, ne
critiquaient même pas l’exposition présentée à Château-Chalon par l’Amicale
«Cercle Alésia -52» qui avait donné le branle à toute cette agitation du monde
universitaire.
Non.
Elle adjurait les Autorités de refuser toute subvention à la recherche
archéologique aérienne sur le sol maudit... «Soyons sérieux»! titrait la
pétition. Il ne faut pas cautionner cette «escroquerie intellectuelle» par
l’octroi de deniers publics!
Mais
voilà… Hic iacet lepus, disaient nos
ancêtres les Romains, «c’est là que gît le lièvre», (locution devenue de notre
temps «il y a un hic» avant d’être
transformée par la langue populaire en «Y’a un lézard!»), le plus drôle
de l’affaire est qu’elle ne reposait sur… RIEN!
Aucune
demande de subvention n’avait été déposée par aucune des associations intéressées
par la thèse Berthier! L’initiative prise par M. Arnaud, révélée lors de la
conférence inscrite dans le cadre de l’exposition, était absolument personnelle
et retentit comme un quasi-miracle aux oreilles de ceux qui l’entendirent!
Aucun bruit de couloir n’avait même atteint celles des organisateurs, étonnés
les premiers de cette prodigieuse annonce. Aucun organisme officiel, aucune
personnalité n’éleva la voix pour ou contre : seul était concerné le grand
industriel devenu mécène à la stupéfaction et à l’allégresse de tous.
Aucune
menace, par conséquent, ne pesait sur les subventions dévolues aux laboratoires
bisontins. Bien la peine de s’agiter aux quatre vents, d’ameuter la Science
internationale, de mobiliser les pouvoirs publics et d’alerter l’opinion!
Tant
le manifeste que la pétition étaient donc ce qu’on appelle un «coup d’épée dans
l’eau», et la baudruche se dégonflait d’elle-même.
***
Mais
les séquelles, quand on médite sur cette déplorable aventure, sont plus graves
qu’il n’y paraît. Elles peuvent amener à réfléchir sur l’essence et le statut
de la recherche elle-même. Cette affaire, réglée avant même d’être envisagée,
révèle des profondeurs idéologiques malsaines à explorer.
L’arme
la plus solide que ces archéologues et leurs supporters avaient été capables
d’empoigner était donc de faire couper les vivres aux irréductibles Jurassiens
afin de régler une fois pour toutes la querelle sur Alésia par le K.O. de
l’adversaire. Un K.O. qui lui serait administré après qu’on lui aurait clos la
bouche et lié les mains pour qu’il ne puisse se protéger du coup fatal. Ô
loyauté! Ô simple honnêteté intellectuelle! J’accepte le duel, mais
je t’enlève tes armes. Et cela, au pays qui s’enorgueillit encore du
légendaire : «Messieurs les Anglais, tirez les premiers!» Nous sommes
vraiment tombés bien bas.
Donc,
pas d’argent, pas de LIDAR ; pas de recherche possible qui vérifierait
dans le sol les révélations des textes. Morte la bête, mort le venin. Morts
Chaux, Syam, Crans, César, Berthier et toute sa clique! Dame Routine allait
pouvoir roupiller en paix!
Il
n’empêche que cette démarche, déloyale et inadmissible, invite à s’interroger.
Qu’est
devenue la liberté de penser ?
C’est la
réaction d’Alain Deyber (celui qui ignore Vercassivellaun et la bataille
du camp Nord, qu'il fait se dérouler dans la plaine) qui nous y incite : «Je
signe contre les falsificateurs de l'histoire, les négationnistes,
révisionnistes et affairiste (sic)
en tout genre qui, par leurs errances
inconscientes et irresponsables, constituent un réel danger pour notre
démocratie [3].»
Démocratie ?
Celle dont il se revendique s'apparente davantage à une dictature. La dictature
de la pensée, qui est bien la plus haïssable de toutes. Même l'homme dans les
fers, s'il n'a plus aucun droit, conserve la faculté, inaliénable, de penser.
Nous, malheureux dissidents contempteurs d'Alise, ne l'avons même plus. Autant
dire que nous serions morts, si les Alisiens obtenaient gain de cause. Ils nous
ont déjà parqués, comme les Indiens, dans une réserve. Ah! s'ils pouvaient
raser la réserve...
Que
devient la raison d’être du chercheur ?
La recherche suppose par définition que les acquis peuvent, doivent être remis en cause,
si l’on estime qu’ils n’ont pas répondu aux interrogations que suscite un point
d’histoire toujours controversé. Et Dieu sait qu’elle l’est, la question
d’Alésia! La remettre en examen n’est pas une entreprise iconoclaste. C’est au
contraire, un acte de salubrité publique, puisque même les Alisiens les plus
informés avouent les manques, les distorsions voire les mensonges dont est
grevé le dossier Alise. «L’archéologie montre à l’évidence que cette
description ne correspond pour l’instant à aucun des secteurs explorés. Les
systèmes défensifs romains varient d’une ligne à l’autre, d’un point à l’autre
du site, parfois à quelques centaines de mètres de distance [4]».
Dans cet habit d’Arlequin, où retrouve-t-on la rigueur romaine ?
Mais l’infortuné
non-Alisien se voit retirer le droit de chercher autre chose que ce qui a déjà été trouvé. À croire que les
tenants d’Alise se complaisent à s’encroûter dans le confortable cocon d’un conformisme béat.
Lui, le
non-Alisien, voudrait pouvoir se tromper à sa guise, pourvu que soit préservée
sa précieuse liberté. Le droit à l’erreur est un droit comme un autre, après
tout! À condition, bien sûr, qu’on ne soit pas condamné avant d’avoir pu ouvrir
la bouche.
Cette
oppression exercée par la pensée unique aboutit, en fin de parcours, à la
négation-même du rôle de l’historien : à quoi servent ses études, à quoi
ses efforts d’originalité, à quoi ses travaux et ses veilles, s’il est condamné
d’avance à n’écrire que ce qui a déjà été écrit, à veiller, diraient les
Anciens, à ce que son char ne sorte jamais des ornières tracées par les roues
de tous ceux qui s’engagèrent dans la question avant lui ? Va-t-on obliger
un explorateur à suivre inlassablement les allées balisées de quelque parc
municipal ?
«J’aime à découvrir seul les sommets
inviolés
où le sentier pentu qui mène à Castalie
ne porte d’autre creux que le creux de mes
roues.»
Virgile,
Géorgiques, 3, 292-293.
Que
devient la fierté du chercheur, celle, légitime et exaltante, qui suit
l’angoisse et l’enthousiasme qui ont accompagné sa recherche laborieuse, pas
après pas, idée après idée, jusqu’à l’éblouissement qui couronne la théorie
lentement perfectionnée devenue parfaite, dans la certitude qu’il est le seul,
qu’il est le premier à l’avoir conçue puis énoncée ? Il peut se tromper,
certes. Mais le contentement que lui donne l’ultime étape est en soi la
récompense, éphémère peut-être ou bien pérenne, de ses efforts et de ses
veilles, de ses errances, de ses remords parfois, de ses hésitations, de ses
exaltations comme de ses découragements. Là réside tout le suc de la recherche,
comparable aux joies que réservent la sculpture ou la ciselure. Une ineffable
griserie ; elle aussi, unique.
«Je parcours le domaine inviolé des
Piérides,
aimant puiser aux sources vierges
et cueillir des fleurs inconnues
pour tresser de leurs tiges une couronne
unique
dont les Muses n’auront ombragé d’autre
front.»
Lucrèce,
la Nature des choses, 4, 1-5.
Et l’on
prétendrait rogner les ailes, ligoter l’invention, museler le novateur,
interdire l’originalité ? Condamner la science à stagner dans des marais
peu à peu putrides, à s’ensevelir sous
la poussière du rabâché, à succomber, pour ne pas contrarier le dogme, sous
l’avalanche sempiternellement reformée du déjà-dit ? Tueurs de passion,
les Alisiens!
Et le
fameux «progrès de la science», qu’en fait-on ? Interdit d’avancer, il n’y a rien à voir! Interdit de discuter, Alise est indiscutable. C’est
Napoléon III qui le dit, cela ne date donc pas d’hier!
Amère
conclusion : Sisyphe aura-t-il même encore longtemps le droit de pousser
son rocher ?
©
Danielle Porte
Petits
compléments :
*Le
Manifeste 1 (Alésia n’est pas dans le
Jura) a été publié dans l’avant-dernier blog (Rodrigue, qui l’eût cru ?). Adressé aux Élus le 31 juillet, il parut dans la Presse le 19 août 2016. (Est-Républicain).
*Le Manifeste
2 remonte au 20 octobre 2016.
Vu sa longueur, je l’ai réservé pour le prochain blog, où lui seront données
les réponses voulues.
Il était adressé «aux
élus et Jurassiens régionaux et à des entrepreneurs qui pourrait être démarchés
pour financer la recherche d'associations plaidant pour la localisation
d’Alésia à Chaux-des-Crotenay». Il avait pour objectif de «faire cesser cette
escroquerie intellectuelle, en mobilisant les ressources de la raison et de la science». (publié sur le
site : macommune.info)
*La pétition grand public, sur
change.org, date du 3 novembre 2016
et s’intitule : «Alésia :
élevons le débat et notre voix». Elle se conclut sur cet appel au
peuple : «Aussi, en tant que chercheurs signataires du courrier "Alésia n'est pas dans le Jura...", nous demandons à
l'ensemble de la communauté scientifique nationale et internationale,
institutions et individus, de se mobiliser pour soutenir notre démarche et
défendre la profession de chercheur et enseignant en science historique
et archéologique ainsi que les associations de bénévoles sérieuses et
rigoureuses qui œuvrent dans ces domaines.»
Et elle a le tort d’ajouter :
«Que la localisation proprement dite d’Alésia suscite encore débat dans
certains milieux obscurantistes, par inculture, nous importe finalement peu, en
revanche la remise en cause publique, permanente et sans fondement, du travail
scientifique mené en archéologie et en histoire doit tous nous faire réagir!»
De quoi nous
faire réagir et même bondir : «Dans certains milieux obscurantistes, par
inculture» : on croit rêver! Notre culture d’historiens «amateurs» résulte,
je l’ai dit, de l’étude de centaines de
livres et d’articles sur la question d’Alésia. Notre critique est donc étayée
sur les publications des Alisiens eux-mêmes, et sur leurs aveux réticents mais
inévitables (les écrits de Joël Le Gall, surtout celui qu’édita Michel Mangin,
nous dispensent même de démolir Alise : ils l’ont déjà fait.)
Étudions de plus près la culture des signataires de cette pétition. Celle
des «paléoenvironnementalistes», ceux qui se croient offensés dans leur
recherche, repose, selon Wikipedia, sur l’étude de «restes fossilisés de spores et pollens, planctons, plantes ou
ossements d'espèces «indicatrices». Les os et dents d'animaux sont par exemple
très utilisées (sic), de mammifères (rongeurs, oiseaux, reptiles, amphibiens,
poissons pouvant être regroupés en guildes d'herbivores, de prédateurs, etc.».
Elle regroupe, toujours selon Wikipedia, diverses disciplines
ainsi définies :
• «la paléontologie sert à déterminer la biocénose, à partir des informations
contenues dans la taphocénose
• la palynologie permet de préciser la flore qui était présente,
et apporte des informations sur les paléoclimats, de même que d'autres disciplines (dont la glaciologie)
• la sédimentologie apporte des données complémentaires d'ordre environnementaux et
géophysiques
• la dendrochronologie permet d'après le principe de l'actualisme et de l'étude des cernes des
arbres de repérer des évènements (sic) climatiques stressant (sic) pour l'arbre (incendie, sécheresses...)
• la géoarchéologie pour les périodes plus récentes.»
Fort bien! Quand, où, nous
sommes-nous avisés de critiquer ces éminentes spécialités archéologiques ?
de «remettre en cause» leurs résultats ?
Nous contestons seulement
l’aptitude de spécialistes ainsi définis à s’occuper d’une question d’histoire
militaire datant de 52 av. J.-C. César a-t-il quelque chose à voir avec les
pollens, les planctons fossilisés ou les glaciations ?
Quant aux protohistoriens, ils
sont censés s’occuper des peuples dépourvus d’écriture à l’Âge des Métaux. Que
je sache, les Romains, et César en première ligne, savaient écrire. ils n’entrent
donc pas dans un tel cadre d’études.
Et quant aux «historiens de
l’Antiquité», hormis Michel Reddé, qui figure seulement au nombre des
signataires du second manifeste, sans doute appelé en renfort, on ne peut dire
qu’ils aient beaucoup écrit sur Alésia! Jean-Louis Voisin, Yann Le Bohec,
Jean-Louis Brunaux, eux, seraient davantage concernés par la question ;
mais ils n’ont pas signé… Preuve supplémentaire que cette agitation tourne
uniquement autour de finances et de crédits de recherche.
Les activités étant ainsi
clairement définies, en quoi un financement de recherches aériennes sur le site
d’une présumée Alésia menace-t-il le fonctionnement de laboratoires occupés à
des travaux sur les pollens ou les glaciations ?
Les signataires l’avouent
eux-mêmes : la localisation d’Alésia leur «importe fort peu». Ce qui les
irrite, c’est la remise en cause de leurs travaux.
Mais même ce grief n’a pas lieu
d’être, puisque cette remise en cause
n’a jamais existé de notre fait et n’existera pas, Eux-mêmes n’ont aucune
légitimité à s’occuper d’Alésia qui, ils le proclament, ne les intéresse pas et
sur laquelle ils n’ont rien écrit… Et leurs crédits de fonctionnement ne
courent aucun risque…
Alors… à quoi bon ce bruit et
cette fureur ?
***
Il convient, enfin, de remettre
en ordre la chronologie.
Les pétitionnaires montent en
épingle une métaphore de Franck Ferrand, où il évoque «les derniers Mohicans»
universitaires, leur «folklore d’incantations rituelles et de titres guerriers»
et leur «danse
du scalp d’autant plus endiablée [cette année] qu’il est dangereusement
question, dans le Jura, d’une campagne de relevés Lidar - opération qui pourrait
être en partie soutenue par des fonds publics. Sacrilège, pas question pour nos
chasseurs de subventions de se laisser ôter le pain de la bouche!».
Elle était parue dans l’Est Républicain du 4 septembre 2016. Recueillie
par Jean-Pierre Tenoux, elle n’était qu’une réponse, ironique, certes, mais
seulement une réponse au premier
manifeste agressif et excessif des archéologues reproduit dans ce journal le 19 août dernier.
Quand on a cherché, on
trouve !
Mais alors, qu’on ne se plaigne
pas…
***
Je m’apprêtais à publier ce texte
lorsque me revint en mémoire un article mis de côté depuis le Figaro du 28 février 2016, et dont j’avais fait profiter seulement les
inscrits au Cercle Alésia -52. Dommage! Il exprime tellement les préoccupations
qui sont les nôtres, aux exclus-de-pensée du monde universitaire, que je juge
utile de le transmettre à tous les lecteurs, après l’affaire du Manifeste qui
lui apporte une éclatante consécration. Aussi bien est-il réconfortant de
trouver dans la prose d’autrui les constatations que vous inspire à vous-même
ainsi qu’à vos intimes la dureté présente des temps intellectuels, ainsi,
d’ailleurs, que de tous les temps.
Stéphane Ratti m’a autorisée à le
citer ici. Un régal supplémentaire est qu’il est Professeur à Dijon, Université
de Bourgogne-Franche-Comté [5].
« Aucun intellectuel n’a jamais rien gagné à
céder à une heure d’enthousiasme qui le portait à se jeter dans la mêlée
politique ou le sombre tourbillon de l’action. Cicéron a cru l’espace de
quelques semaines seulement que la mort du dictateur César, en 44 avant notre
ère, lui permettrait de revêtir les habits du sauveur de la République romaine
libre qu’il avait rêvé toute sa vie d’endosser. Il quitta Rome pour écrire
presque clandestinement, craignant pour sa vie, dans sa villa napolitaine, son
traité Des devoirs. La République et
la liberté romaines ont perdu ce que la postérité a gagné : un magnifique
testament politique et moral. L’abandon de la sphère publique par la majorité
des intellectuels s’explique ainsi, comme le disait admirablement Stefan Zweig,
par «cette loi qui veut que sur le long terme
on ne puisse jamais défendre la liberté des masses, mais seulement la
sienne propre, la liberté intérieure».
Pourtant,
en France, des intellectuels de grande valeur prennent part au débat public.
Ils abandonnent la chaude quiétude qui fut celle de Descartes pensant en robe
de chambre au coin de son feu, mais au risque de leur réputation et de leur
sérénité. Ils sacrifient aux idées le calme et la paix de l’otium créateur. Un article de presse,
une entrevue, une émission de télévision, et c’est une heure ou deux perdues
pour la littérature ou la philosophie. Or, ces audacieux qui descendent dans
l’arène se voient dépossédés, quand ils cherchent à alerter l’opinion, de leur
être même : du monde de la pensée. En effet ils sont rejetés, sous
l’invective, au royaume des faux-semblants, du mensonge et de l’imposture,
celui des «pseudo» en tout genre, c’est-à-dire, selon le grec, de la tromperie.
C’est un ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, qui a
qualifié ainsi les grandes voix – Jean d’Ormesson, Marc Fumaroli, Alain
Finkielkraut, Pascal Bruckner, Jacques Julliard, Régis Debray, Luc Ferry et
d’autres – qui se sont vigoureusement élevées contre la réforme du collège.
De
surcroît, encore faut-il de nos jours, pour oser parler, être protégé par
l’appartenance à une Académie, par la
notoriété, par le succès ou par… l’honorariat. Combien d’universitaires en
activité osent briser le mur de l’autocensure ?
On ne
laisse plus désormais aux intellectuels la liberté de s’exprimer en France. La
censure est rarement, dans notre pays, codifiée. Ce n’est pas tant la loi qui
interdit qu’une vague mais pesante doxa,
celle de la pensée officielle, qui met la liberté sous un lourd et bas
couvercle.
Les
universitaires sont ainsi expressément invités à penser collectivement, comme
si la réflexion individuelle et l’écriture solitaire d’un livre étaient une
faute dont il fallait constamment se justifier par l’insertion dans une
entreprise d’équipe, un projet d’établissement, une interdisciplinarité de
façade ou, pire, une commande ministérielle. Il arrive ainsi que l’on expie
pour avoir écrit un livre. Un ouvrage publié de votre propre initiative dans
une maison reconnue, et c’est l’accusation de rechercher égoïstement les
lumières de la gloire. Un succès d’édition, même modeste, vous est reproché
comme une compromission avec le marché. Des idées novatrices, quand bien même
elles sont argumentées, vous condamnent à la solitude parce qu’elles
contreviennent à ce qui est établi.
La
stricte évaluation des enseignants-chercheurs vise, de fait, à encadrer et à
réguler – des verbes qui font frémir tout penseur libre. Malheur aux originaux
enfermés en leur cabinet de travail, avec leurs livres comme seuls
collaborateurs. On ne peut guère, de fait, intégrer Platon ou Cicéron dans une
équipe de recherche compétitive. Le Portique ou le Jardin n’auraient que peu de
chances aujourd’hui d’être bien notés.
Les
administrations – c’est dans leur nature – se transforment en autant de corps
d’inspection, une triste évolution qui, jusqu’ici, avait épargné la recherche
universitaire, traditionnellement attachée à son indépendance. Les politiques,
qui connaissent mal la langue et ne la maîtrisent plus que sous l’aspect
dégradé de la communication, cherchent à la régir par d’improbables réformes de
l’orthographe. On veut former les chercheurs en sciences humaines à cet
amenuisement de leur espace propre de liberté qu’est la langue. On les invite ainsi à se conformer à une
« approche communicationnelle de la notion de publicisation » (sic).
On ne
peut reprocher aux intellectuels d’abandonner leur poste. Ils ne sont ni des
soldats ni des martyrs de la foi. Encore une fois, c’est Cicéron, cité par
Stefan Zweig dans son brillant essai sur celui qu’il considérait comme le
modèle des intellectuels, recueilli dans Les Très Riches Heures de l’humanité,
qui a fourni la meilleure explication à son propre repli : «Tant que la
République était administrée par ceux à qui elle s’était elle-même confiée, j’y
employais tous mes soins et toutes mes pensées. Mais quand tout était tenu sous
la domination d’un seul, il n’y avait plus nulle part place pour un avis ou une
autorité morale.» Cicéron décrit en termes prémonitoires ce que Tacite dira
tout aussi lucidement du nouveau régime impérial instauré par Octave-Auguste.
Le Forum se vide dès que le pouvoir se concentre autoritairement entre les
mains d’un seul.
Ces
réflexions sont-elles transposables à notre temps ? L’université n’a pas
besoin d’inspecteurs et, pour évaluer un livre scientifique, encore
faudrait-il, sinon en écrire soi-même, du moins être aussi compétent que son
auteur. Jadis on n’était, à l’université, jugé que par des pairs, un mot qui a
disparu de la technologie administrative. Aux modestes collègues et pairs,
autrefois libres, ont succédé diverses hautes autorités et non moins hauts
comités, nommés, désignés et stipendiés par des ministères et désormais
chargés, depuis la parution d’un décret en 2015, du «suivi des carrières» des
enseignants-chercheurs. Les libertés
universitaires, en recul constant depuis quelques années, y ont perdu ce que la
technostructure a gagné.
Cicéron
a cru que la mort de César libérerait sa parole et il a dansé de joie à la
nouvelle de son assassinat. Mais il admirait en lui l’esprit supérieur. De nos
jours, un gouvernement en remplace un autre sans changement notable en matière
d’Éducation nationale. Quel ministre, Rue de Grenelle, a jamais offert à un
professeur le moindre motif d’admiration ? L’extinction du latin est
voulue par la gauche. Mais l’évaluation administrative des chercheurs, quant à
elle, a été décidée en 2009, sous Nicolas Sarkozy. Un quart des élèves de
collège souhaitent suivre des cours de latin. Les chercheurs ne veulent pas du
joug administratif. Les intellectuels aimeraient être entendus.
Laissons
le dernier mot à Stefan Zweig qui voyait, à la veille de son suicide, en 1942, le
monde d’hier disparaître : «Personne ne devrait tenter d’imposer au peuple
sa volonté personnelle et donc son arbitraire, et ce serait un devoir moral que
de refuser l’obéissance à chacun de ces ambitieux qui arrachent le pouvoir au peuple». On ne
coupe pas encore les mains des intellectuels, comme Antoine, avec la complicité
d’Octave, avait ordonné qu’on le fît de celles de Cicéron. Mais on a déjà coupé la tête aux professeurs
de latin.»
Cet homme parle d’or. Il ose. Il dit juste. On
appliquera sans peine au problème qui nous rassemble les considérations qu’il
expose sur le fonctionnement de l’Université. Celle des «Mohicans», celle des
«Mandarins», celle des Médecins de Molière : on ne touche pas à la Vérité
établie. Le problème a été «réglé une fois pour toutes», par Napoléon III, est
hérésiarque celui qui ose revenir dessus.
Pour ce qui nous occupe, il serait vain, dans ces
conditions, d’espérer, comme on m’y engage souvent, dans un sursaut des jeunes
générations qui, libérées, grâce au temps qui passe, de la dictature actuelle
de la pensée historique unique, voudraient examiner par eux-mêmes et décider
d’emprunter un autre chemin qui conduise à la vérité. Le système est
verrouillé, pour longtemps. On se souvient de l’étudiante lyonnaise qui
souhaitait travailler sur «notre» Alésia et se vit avertir qu’avec un tel sujet
elle se condamnait elle-même à l’ANPE… Ou de tel de mes collègues qui,
partageant nos idées, se refusait à en informer ses élèves, ne souhaitant pas,
disait-il, «conduire ses agrégatifs à l’abattoir».
Inutile, qui pis est, de s’interroger sur les
motivations des collègues historiens qui refusent de hasarder un pied hors de
la Communauté Scientifique, comme si on les tirait de force hors des jupes de
leur mère. Alma Mater, l’Université,
je veux bien. Mais une mère qui tient sciemment ses enfants dans l ‘erreur
et leur interdit de s’informer, d’analyser par eux-mêmes, de lire, tout
simplement, ce que des électrons libres – libres !
– ont écrit sur un sujet tabou, pis encore, qui invite à les insulter et les
condamner sans les entendre, est-elle digne, encore, de respect ?
Non. Nous sommes déjà deux à le penser, dans la même
corporation. J’en connais quelques autres, qui me donnent volontiers leur avis
sur des textes que je leur soumets. Pourquoi renoncent-ils à s’investir dans la
question ? C’est, grief majeur, qu’ils ne sont pas spé-cia-lis-tes – comme si les travaux antérieurs de tous les
intellectuels qui écrivent, Museoparc oblige, sur César et son temps les
habilitaient à s’en occuper! – plus grave encore : ils sont étiquetés
«latinistes» ou «hellénistes», non pas «historiens». J’en lis bien souvent le
reproche, alors que les trois-quarts et demi des articles et des livres que
j’ai publiés traitent de points d’histoire. Mais le cloisonnement est tel entre
les disciplines qu’il interdit aux «linguistes» de s’occuper d’histoire.
Surtout dans ce sens-là, d’ailleurs. Les latinistes se bornent à déplorer que
les historiens en usent un peu trop facilement avec les textes, voire
commettent des contresens énormes (lorsque Matthieu Poux, par exemple, confond
le VIXI gravé sur une balle de fronde
avec le VICI du Veni, uidi, uici de César [6]). Mais
les historiens (et les archéologues) se déclarent offusqués lorsqu’un latiniste
ose s’aventurer sur leurs plates-bandes. On a le droit d’étudier, par exemple,
les textes qu’Ovide écrit sur son exil, forme littéraire, vocabulaire,
sentiments, tout l’arsenal du verbiage littéraire, creux, aseptisé, inutile.
Mais si l’on prétend s’interroger sur le pourquoi
de cet exil, on touche à l’histoire, on n’a pas le droit. S’attaquer à la date
de naissance de Brutus, c’est l’anathème. Alors, Alésia! Le style de César,
d’accord. La localisation du siège ? Interdit.
Je me souviens encore des controverses qui voulurent
empêcher mon Directeur de thèse de créer, au sein de l’Institut de latin de
Paris IV-Sorbonne, une section un peu novatrice centrée sur l’histoire de la
religion romaine. Le mot «histoire» et le mot «religion» épouvantaient les
mandarins traditionalistes qui voyaient déjà de jeunes esprits frondeurs
s’écarter dangereusement de l’étude de la langue. L’Obstiné s’obstina. Et, ma
foi, la structure «histoire de la religion romaine» coula de paisibles jours et
passionna des foules d’étudiants durant plus de trente années.
Le même problème se pose pour Alésia : pas touche
à la question si tu n’es pas estampillé «archéologue»! La raison voudrait
pourtant qu’un décrypteur de textes soit mieux informé que quiconque pour
affecter un âge, une histoire, un environnement à l’objet qui sort tout nu du
sol. Le bon sens exigerait qu’on confie à des militaires l’étude des moments de
bataille, à des spécialistes en armement l’étude des armes et des modes de
combat qu’elles permettent, à des topographes l’estimation des distances et des
étapes, à des architectes l’analyse des constructions militaires. Alors seulement,
César serait servi convenablement, car des gens de terrain sont mieux habilités
que des lettrés confinés dans leur bibliothèque, pour apprécier les données
concrètes des textes. Un militaire oserait-il prétendre que les Romains
n’avaient pas mesuré la plaine de 3000 pas en longueur mais en zig-zag ?
Ce serait étonnant. Un savant de cabinet l’affirmera sans que sa sérénité en
soit troublée un seul instant. A-t-il lu Polybe, Hygin, Végèce ? Sûrement
pas. Mais ceux qui les ont lus n’étant pas Universitaires n’ont pas droit à la
parole, et voilà tout. S’ils les ont lus et sont partisans d’Alise, nul ne leur
cherchera noise. Ainsi en est-il de la Recherche, dans notre beau pays de
France, terre de Liberté.
Et surtout, si tu œuvres dans ta spécialité, veille
bien à rester dans l’ornière pré-tracée que tes collègues continuent de creuser
pieusement !
Tu veux t’évader de l’ornière ? Tendre l’oreille
à d’autres voix que la uox consensus
scientifici ? Libre à toi, personne ne t’en tiendra rigueur…
officiellement. Mais tout se paye. Tu te réveilleras, trente-deux ans après ta
soutenance de thèse en doctorat d’État et riche d’une centaine d’écrits,
toujours Maître de conférences, au même titre que les petits jeunes qu’on
gratifie aujourd’hui de ce titre, jadis prestigieux, dès leur sortie d’agrégation. Sans amertume : tu auras fait ce que tu
voulais. Fays ce que vouldras, disait
Rabelais. Il n’ajoutait pas : aux tiens risques & périls, mais il eût dû l’ajouter.
Que faire, alors ? Se résigner ? Se
lasser ? Se taire ?... Jamais. Nous coulerons, s’il le faut, mais
pavillon haut. Le même Professeur qui dirigea mes travaux me disait souvent en
me rendant une liasse de feuillets noircis : «Faites comme le Nègre,
continuez!» Ni lui, ni moi ni personne n’avons jamais su qui était ce Nègre, ce
qu’il faisait et pour quelles raisons il «continuait». Mais la formule a gardé
sa force. Il faut continuer ? Je continuerai. Nous continuerons.
NOTES
[1] Difficile d’écrire : « l’Art noir »
sans risquer l’équivoque. Du reste, «nègre», dérivé directement du latin niger
= «noir», n’est pas plus péjoratif que «noir», dérivé, après évolution en *neir, puis *noir, du même niger!
[2] Il va de soi qu’en dépit des incitations – bientôt
injonctions – récentes et, elles, à juste raison farfelues, je continue et
continuerai jusqu’au bout à écrire « av. J.-C. » sans remplacer cette
graphie par l’injustifiable « av. n. è. », soit : « avant
notre ère ». Si des esprits sensibles sont choqués de cet affreux
conservatisme, ils n’ont qu’à renoncer à me lire, je ne m’en offusquerai
sûrement pas.
[3] Signé: Docteur Alain DEYBER -
Administrateur civil hors classe (H) ; Directeur de projets en archéologie
(Avignon; Paris) ; Président exécutif du Groupe de Recherche sur la
Bataille d’Orange (Orange) ; Membre d'ARKAEOS (Marseille) ; Chercheur
associé au Centre national de la recherche scientifique / UMR 6298 - ARTeHIS
(Dijon)
[4] M. Reddé, Rapport de fouilles, p. 125. Et c’est au terme des fouilles
modernes. Elles n’ont donc pas apporté de preuve décisive.
[5] Je me demanderai toujours quelle aberration a pu
dicter cette fusion de deux régions foncièrement ennemies, en une union de la
carpe et du lapin ou, si l’on préfère, de l’huile et du vinaigre. Elle amène, à
présent, certains responsables de l’économie comtoise à jeter du lest à propos
d’Alésia en admettant qu’il peut exister deux Alésia, une dans chaque région,
ce qui est une hérésie historique. Il y aurait l’Alésia de César, 52 av. J.-C.,
et, à Alise, un dépôt rituel (les armes, les monnaies et tout ce qui a été
trouvé prétendument dans le fossé du Réa) constitué en 50 av. J.-C., date d’une
hypothétique «grande réconciliation» (?) entre Romains et Gaulois. Je l’ai noté
dans notre Ephemeris 6 : Mais
pourquoi ce choix d’Alise afin d’y commémorer la défaite «jurassienne» de
52 ? Outre qu’il était difficile aux gens de cette année-là de déposer et
d’enfouir, où que ce soit d’ailleurs, les armes mérovingiennes trouvées lors des fouilles à Alise et mêlées aux
monnaies!
[6] Vixi signifie
« j’ai vécu », vici
« j’ai vaincu ».
Le format de l'Est-Républicain excède ce cadre. Il sera transcrit en annexe très prochainement, promis.
Le format de l'Est-Républicain excède ce cadre. Il sera transcrit en annexe très prochainement, promis.
Bonjour, et donc la cartographie Lidar est-elle remise en cause ? Peuvent-ils empêcher Arnaud de la financer ? Ou aura-t-elle bien lieu ?
RépondreSupprimerPour se convaincre qu'Alésia n'est pas à Alise St Reine , il suffit de lire César , que nous dit César ??? Qu'après la bataille il part chez les Eduens ,et Alise est en pays Eduens ; si César part après la bataille , c'est que pendant il n' y était pas CQFD !!!
RépondreSupprimerDe toute façon , Alise est éliminée d'entrée puisque César dit partir chez les eduens après la bataille ( Alise est en pays eduens ) si césar part après la bataille , c'est que pendant il n' y étais pas CQFD !!!!
RépondreSupprimerMadame,
RépondreSupprimerje ne suis rien qu'un lecteur occasionnel de ce blog mais je trouve dans votre fougue et l'expression de vos arguments de quoi faire réfléchir. J'ai lu en son temps le livre rédigé sous votre autorité et j'en ai été profondément ébranlé dans ma certitude, admise comme telle car je n'avais jamais précédemment réfléchi au sujet, de voir Alésia à Alise-Sainte-Reine.
J'habite Paris mais le livre une fois lu, je me suis rendu à Alise puis à Chaux. Dans les deux cas j'ai arpenté le terrain pour me faire une idée et votre thèse est sortie gagnante à ce jeu de la comparaison.
Toutefois, depuis le début, j'essaye vainement de répondre à la question suivante: pourquoi l'ensemble des historiens qui soutient la thèse concurrente maintient-elle sa position ? Est-ce seulement pour une affaire de maintien de budget, de réputation, de solidarité professionnelle ? Je ne trouve pas de réponse claire à ces questions alors qu'elle seule en nous éclairant sur les motivations profondes de vos contradicteurs pourrait apporter le complément de connaissance permettant d'y voir plus clair. Car enfin à une époque où chacun se pousse du collet il y aurait pour quelques jeunes historiens ou archéologues matière à devenir célèbre. Ces spécialités universitaires rendent-elles timorées ?
Dans un deuxième temps vous ne donnez jamais le coût d'un campagne LIFAR comme celle qui a été compromise l'an dernier. De quel ordre de grandeur s'agit-il? 10 k€, 100 k€ voire plus. Faire connaître ce montant à vos soutiens permettrait de fixer les idées et d'envisager les moyens nécessaires à la réunion des fonds. Il s'est développé depuis quelques années des méthodes de financement participatif qui pourraient, bien utilisées, être un appoint important.
Peut-être suis-je en train de me méprendre et avez-vous déjà apporté? ici ou là, les réponses aux questions ci-dessus. Mais peut-être pas ...
Je ne sais si vous avez le moyen de me répondre à travers ce blog. et pour ma part je ne veux pas faire connaître mes coordonnées à tous vos lecteurs. Je vais essayer l'envoi par le biais du compte google et l'on verra bien ce qui arrive