Ridi, Pagliaccio...
Le temps passe, furtif… et nous
attendons toujours une réaction des archéologues bisontins à notre mise au
point collective, postée, je le rappelle, en décembre dernier, concernant le
manifeste que M. François Favory et 24 de ses collègues avaient cru bon d’adresser
à tous les Élus comtois et bourguignons, puis à tous les journalistes de cette
région, puis à change.org, qui le transforma en pétition, laquelle recueillit 753 [1] signatures venues du monde
entier, et pour les meilleures raisons du… monde, depuis des étudiants de
licence dijonnais jusqu’à des historiens en toutes branches, parfois opérant
aux antipodes, outrés de voir piétiner la Tradition sacro-sainte avec autant de
désinvolture.
La récente émission à laquelle m’a
invitée Raphaël Enthoven, sur Europe 1, pour parler de Vercingétorix, remet la
question sous les feux de l’actualité.
Bien cadré ? Continuons.
Étaient visés avant tout dans le
Manifeste 2, qui changeait gravement de ton par rapport au premier envoi (vous en avez eu le texte dans le blog : "Rodrigue, qui l'eût cru ?") :
- Franck Ferrand, d’Europe 1, grâce
à qui la thèse d’André Berthier (Alésia à Chaux-des-Crotenay) avait fait un
bond en avant plutôt inouï depuis 2005 et son adhésion enthousiaste à la
démonstration jurassienne ;
- moi-même, dont l’Imposture Alésia, éditée par Olivier
Magnan en 2004, avait été pour lui la fulguration qui frappa Saint Paul sur le chemin
de Damas – ou, pour respecter la non moins sacro-sainte laïcité, le «Bon sang,
mais c’est bien sûr !» du commissaire Maigret.
- Enfin, François Chambon,
architecte DPLG de Lyon, coupable d’avoir restitué, dans les années 2008-2011, en
interprétant les clichés LIDAR, la physionomie du camp Nord, à Crans, dont la
disposition et les vestiges répondaient parfaitement à la description du chef
romain et remettaient en place, lieux et temps, les opérations militaires
évoquées pour le dernier combat. Y compris l’incendie des palissades, révélé
par la magnétométrie.
Pour ce qui est d’Archéojurasites :
plutôt les Alisiens devaient-ils les remercier pour leur avoir fourni des
arguments suite à leur malencontreuse expertise ! La critique à eux
adressée porte exclusivement sur la carrière et les appuis d’André Berthier,
non, évidemment, sur sa théorie. L’association y a déjà répondu dans un
contre-manifeste, mais j’y reviendrai bientôt.
Car il y a beaucoup à dire sur la
réalité militaire du camp Nord, et les «retournements de veste» dont elle a
fait l’objet !
Abasourdie, dans un premier temps, par la virulence des accusations proférées, par la haine qui suintait de certaines appréciations [2], et par la logorrhée dont témoignait ce manifeste en cet étalage pompeux de
connaissances absconses destinées à pulvériser notre regrettable amateurisme,
je finis par me convaincre d’une triste, mais incontestable réalité : non
seulement ce dialogue imposé était un dialogue de sourds, mais les archéologues
et historiens signataires étaient totalement dépourvus du sens de
l’humour ; on en dirait autant des intervenants, récemment, sur Twitter,
qui ont pris au pied de la lettre des expressions employées par moi avec une
intention humoristique… immédiatement saisie par tous les auditeurs et lecteurs,
mais qui échappa radicalement à mes détracteurs. Pourtant, c’était tellement
énorme…
C’est cette conclusion-là qui me
paraît la plus importante ; c’est donc elle que je traiterai d’abord.
***
L’humour, c’est avant tout l’art
d’user du «second degré» ; d’exprimer par images parlantes,
par décalages avoués ou subreptices, par comparaisons outrées tout exprès mais
d’autant plus révélatrices, des vérités que le pédantisme ou la rigueur
mathématique préfèrent énoncer sous leur aspect rigide et froid.
L’humour est pédagogique, le
pédantisme veut impressionner. Le premier aime à convaincre en faisant partager
ses connaissances – sérieuses contre toute apparence – à tous ceux que la
question intéresse, quels que soient leur savoir et leur formation
intellectuelle. Le second préfère conserver jalousement pour son
sérail d’initiés sa déesse Science, inaccessible au profane grâce au rempart
inexpugnable d’un vocabulaire et de concepts aussi hermétiques que runes ou hiéroglyphes.
Surtout, les Gens Sérieux qui vous
lisent prennent tout au premier degré… et vous infligent des pages de considérations
aussi inutiles qu’érudites pour commenter des expressions qu’un peu de recul
ferait apparaître comme des traits plaisants.
Petits exemples : si l’on
écrit «aux calendes grecques», on risque les foudres : Il n’y avait pas de
calendes en Grèce, et l’on vous le démontrera textes à l’appui ; ou
plutôt, en invoquant l’absence de textes antiques où elles seraient
mentionnées.
Si l’on écrit : «vieux comme
Hérode», on subira une démonstration analogue : pas si vieux que cela,
Hérode, qui vécut au temps du Christ, entre 73
et 4 av. J.-C. Mieux eût-il valu
écrire «vieux comme Mathusalem», lequel présente l’avantage d’avoir vécu bien
plus tôt, durant 969 ans, et d’être mort l’année du Déluge, en 2370 av. J.-C.
Mais… ce Déluge… fallait-il le caser en -2348 selon la chronologie de James Ussher,
ou en 2600, si l’on en croit les tablettes mésopotamiennes, ou en 10500 selon
l’opinion générale, tandis que la traversée de la queue de la comète l’assigne
formellement au 18 novembre 2565 ? La chute de la Méditerranée dans la Mer
Noire accréditerait, pense-t-on en 1998, les récits des Protoceltes qui
peuplaient les rives du Bosphore dans les années 6000 av. J.-C. Pourtant, les
analyses au carbone 14, ajouterait-on d’après Wikipedia, sont venues bousculer
le Déluge et le placer en 7500, tout autant que le recours à la
dendrochronologie (n’oublions pas la vigne de Noé) et à l’étude des roches, qui
le déplacent en 4000 ou 5000 av. J-C. On objectera que la couche argileuse d’Ur
l’installe très précisément vers 9500, tandis que l’étude des dunes sous la Mer
Noire envisage 7100, le réchauffement de la planète 12000, et… et…
Submergé, on en perd son grec et
son latin… bien que les raisonnements modernes admettent, pour le Déluge, les
textes de Platon et les Métamorphoses
de mon cher Ovide, plus fiables, évidemment, que ce qu’écrit Diodore de Sicile
sur Hercule et Alésia.
Comme on voit, les datations des Scientifiques,
pour ces temps très reculés, présentent toute la rigueur qui nous manque…
Évitons donc de réveiller le Déluge qui dort.
Et puis ne nous risquons pas à
écrire «connu comme le loup blanc»
puisque chacun sait que les loups possèdent plutôt un pelage gris fer... et que
la parfaite orthodoxie voudrait qu’on écrivît : «rare comme le loup blanc». Même si l’orthodoxie peut se faire
puissamment ennuyeuse, respectons cette vénérable aïeule.
On aura compris, je crois, que si
vous avez osé comparer une œuvre de Polyclète à un orthostate naturel vaguement
retouché par l’homme arbitrairement mais éloquemment baptisé «de Cro-Magnon»,
on déchaînera une averse de lignes
formant un savant exposé sur les périodes de glaciation du Jura, et démontrant,
au finale, que vous vous trompez
regrettablement d’époque. Le capitaine Haddock était sûrement mieux informé que
vous lorsqu’il se référait aux hypothétiques «anthropopithèques» du Ternaire
plutôt qu’à Cro-Magnon.
Quel rapport avec les habitudes
religieuses des peuples qui occupèrent, avant la venue des Celtes, les forêts
du Jura ? Aucun ; le Cro-magnonnais (?) concentrant dans son seul nom
toute la Préhistoire, n’était là que pour donner une approximation…
pédagogique. Allez dater des mégalithes remarquables seulement par leur taille,
leur forme et les agencements de pierres qui les entourent, autrement que par
approximation ! «Antérieurs à l’art de la sculpture, mais présentant
des traces d’interventions anthropiques», voilà tout ce qu’on peut en
dire et c’est déjà beaucoup.
Mais pendant que vous ergotez sur
des pointes d’épingle sans intérêt pour la question et accablez l’adversaire
d’un torrent d’érudition inutile, vous vous dispensez de traiter l’essentiel,
soit : d’aborder et de contrer les arguments avancés contre
Alise-Sainte-Reine ; qui a le tort de ne remonter, elle, et au grand
maximum, qu’aux années 80 av ; J.-C. Passez muscade !
(oh ! pardon… la noix de muscade est
cultivée en Indonésie et connue seulement depuis le XVème siècle…
Elle ne saurait donc être invoquée dans un texte sérieux traitant des Gaulois.
Supprimons la muscade).
Se cantonnant dans la dérision,
les partisans d’Alise regardent ainsi du haut de leurs titres et de leur CNRS
ces excréments de la terre assez audacieux pour rejeter l’affirmation séculaire
et vide, dont la force magistrale se dispense – et les dispense – de toute
démonstration : «Alise est Alésia parce que l’Ensemble de la Communauté Scientifique
en a décidé ainsi.» En voilà, une preuve indiscutable ! Lorsqu’on m’accuse
de répéter les mêmes arguments depuis quinze ans, on ferait bien de s’aviser
que cette antienne de la Communauté Scientifique revient, depuis quarante et
quelques années, chaque fois que n’importe quelle plume alisienne ou assimilée
se mêle d’écrire sur la question.
Ma foi ! il existe aussi des
francs-tireurs pas plus benêts que les admirateurs du dogme. Il me souvient
d’un sujet de dissertation, proposé jadis à nos jeunes réflexions : «Les
animaux lâches vont en troupe ; le lion marche seul dans le désert ;
qu’ainsi marche toujours le poète !» C’était du Vigny. J’adorais
Vigny ; et me fis dès lors une règle de vie d’un sujet de philo…
«Eux» ont fait des études. Certes.
Nous aussi. Pas dans la même branche, certes encore. Mais pour ce qui est
d’apprécier les arguments qui plaident pour Alise ou la condamnent, des
étrangers à l’archéologie sont plus qualifiés que des spécialistes de la
Préhistoire : ils ont concentré leurs efforts sur une année de l’Antiquité,
qu’ils ont souvent étudiée à fond, au
lieu que des plus savants, tout occupés de leurs spécialités, ne peuvent raisonner
sur 52 av. J.-C. qu’après un ou deux coups d’œil distraits, accordés seulement
parce qu’il faut donner son nom à la défense de la Doctrine Officielle. Les
«amateurs» que nous sommes s’arment, eux, de leur Bon Sens, dont ils ont fait leur saint patron. Ce qui
leur permet de saisir d’emblée la valeur ou l’inanité d’une thèse ou d’une
démonstration. Rien ne sert de dauber dans le vide sur notre qualité d’amateurs
; comme si l’on ne pouvait pas être autodidacte dans une branche quelconque… grâce,
d’ailleurs, aux écrits des historiens des générations précédentes, qui ne
jugeaient pas infamant, eux, d’écrire pour être compris ; et compris de
tout un chacun doué d’un brin de jugeote et ayant pris la peine de lire César
plutôt que... Allons ! laissons des pointillés, la liste des noms à citer
excéderait les limites à la fois d’un article et de la courtoisie.
Au passage, remarquons aussi que
si les archéologues prétendent n’être lus que par des archéologues, leur public
va se restreindre avant peu comme peau de chagrin…
***
Cette mise au point me paraissait
nécessaire, et l’on en tombera d’accord, j’espère bien, dès la lecture du texte
bisontin.
Toutefois, ayant pris connaissance
des commentaires venus de tout le globe aussi bien que du Manifeste 2, je crois
encore plus utile de mettre les points sur les i, puisque leurs auteurs sont
incapables de dépasser le premier degré.
Et que cela soit fait une fois
pour toutes : je commence à me lasser des accusations insanes ou des
insinuations fielleuses. Je répondrai en détail au Manifeste 2 dont vous avez le
texte ci-dessous, mais dois corriger d’urgence les épreuves définitives de mon Dictionnaire du siècle d’Auguste.
J’interromps donc la réfutation en cours et la reprendrai au terme de 369 pages
en petits caractères et de 35 pages d’index. Désolée ! Pour une fois,
Auguste passera avant César.
***
Une accusation, toutefois, est
tellement aberrante qu’elle demande mise au point immédiate. On se gausse à
longueur de pages, tant dans le Manifeste que, sur Twitter, après l’émission de
Raphaël Enthoven diffusée le 22 avril, de mes «délires»
qui font croire que les partisans de l’Alésia jurassienne, en «siphonnés» qu’ils sont, forment une «secte» du fait que la «charlatane» (!) que je suis parle
souvent de la «déesse Alésia».
Donc, à l’usage de ces grands
naïfs, je dois bien entrer dans les détails.
Lorsque nous découvrîmes et
inventoriâmes, André Berthier et ses compagnons, les dizaines de dizaines de
structures lithiques (n’écrivons
plus : «menhirs») éparses sur tout le plateau (n’écrivons plus «oppidum») de Chaux et des alentours,
le GPS n’existait pas, et dans les fourrés, l’usage du mètre en ruban se
révélait parfois problématique, outre qu’il était déjà nécessaire d’identifier
les fourrés en question, les uns ressemblant furieusement aux autres, et il y
en avait beaucoup.
Devions-nous respecter le sabir
archéologique et écrire, par exemple, «l’orthostate-naturel-mais-à-retouches-anthropiques-visible-dans-un-bosquet-de-feuillus-à-une-distance-de-122,4-mètres-du-parking-du-tennis-situé-à-826-mètres-du-centre-de-Chaux,-à-l’origine-orienté-Est»
? D’autant que les orthostates pullulent, tant sur les pâturages avoisinant le
secteur de la cote 801 que dans toute la forêt de Cornu, et que même une
précision sur leur cote cartographique serait trop… imprécise pour le
localiser.
J’avoue ma responsabilité dans les
appellations bien plus parlantes, si regrettablement fantaisistes, dont nous
baptisâmes les monuments (écrivons plutôt :
les «tas d’épierrement» ou les «blocs
erratiques») dont nous avions analysé les agencements (ouvrons notre parapluie et hâtons-nous d’ajouter : «à supposer que
la main de l’homme eût relayé celle de dame Nature»), suivant leur forme,
bien souvent animale, du reste.
L’orthostate-naturel-mais-à-retouches-anthropiques-présentant-un-aspect-très-vaguement-anthropomorphique, étant orienté Est, et situé près
d’une des entrées de ce qui n’est pas un oppidum
mais possède cependant des portes ménagées dans un rempart cyclopéen
(pardon : «un muret agricole»
constitué de «dalles apparemment de la Tène I ou du Bronze final de 5 mètres de
hauteur apparente situé à 238 mètres du parking du tennis de la bourgade
de Chaux-des-Crotenay»)... ouf ! – il était plus pratique de lui
attribuer une parenté avec cette ouverture, comme c’est l’usage dans les formes
de la religiosité primitive (j’ai tout de même étudié quelque peu les mécanismes
archaïques des religions anciennes) et par voie de conséquence, un possible
patronage sur la ville qu’entourait ce rempart (ou, si l’on préfère, le «Muret Michel Reddé» qui a remplacé le traditionnel
«Mur du Chemin aux Ânes»).
Lorsqu’on a affaire à une
civilisation anépigraphe (traduction en
français-plouc : «qui ignore l’écriture»), on est bien obligé de
recourir à des expédients, des suppositions, des évaluations, des comparaisons
pour aider au repérage des monolithes (pas
besoin de traduction, les «Jurassiens» connaissant souvent le grec et
disposant, sinon, d’une teinture issue du Petit Larousse). Tout le monde n’a
pas la chance de posséder sur ses terres un Ucuetis dieu des forgerons, ou un
Apollon Moritasgus - ce qui avance beaucoup leurs propriétaires, puisque
personne ne sait qui ils sont, et si même, pour Ucuetis en tout cas, ce sont
des dieux.
Qui se ressemble s’assemble !
il nous est arrivé, j’avoue, d’aller, à minuit, sacrifier un boudin sacré à la
divine Saine en prononçant les incantations qu’a recueillies le manuel des Textes Archaïques latins d’Alfred
Ernout, Paris, Klincksieck, 1916, et en langue originale. Bescu, bescu, berebescu… N’allons pas plus loin, nous risquerions
de donner des idées malignes.
Je reconnais qu’il est difficile à
des gens fermés à l’humour de discuter sérieusement avec des interlocuteurs
pratiquant couramment le second degré. Lisons leur prose : «Néanmoins, nous ne suivrons pas D.
Porte dans ses propos extravagants sur l’intervention des Cyclopes dans la
construction des murs des cités grecques ou sur les obscurs «contemporains
d’Hercule» […] Nous voulons bien lire les ouvrages de D. Porte, mais on
comprendra qu’il est compliqué d’avoir un débat scientifique avec quelqu’un qui
possède un système de datation basé sur des récits mythologiques et qui pense
visiblement, à la lire, que les Cyclopes ont existé.»
Hallucinant ?
Oui. Mais authentique. Vous trouverez cette appréciation p. 8 du Manifeste des
Archéologues ci-après.
Il est vrai qu’avant d’avoir vérifié
sur Internet que le mot «cyclopéen» était un adjectif couramment usité, même
par des non-spécialistes, pour désigner «un mode de
construction primitif, constitué de grosses pierres équarries ou non, agencées
ou simplement entassées de manière à former un mur défensif ou une jetée, un
barrage, un pont, une route», j’étais persuadée que les frères de Polyphème
avaient construit de leurs mains nos puissantes murailles ; et chaque soir
passé à Syam ou à Chaux, je regardais peureusement sous mon lit, armée d’un
balai, au cas où quelque N’a-Qu’un-Œil s’y serait tapi. Le monstre du Loch Ness
existe toujours, n’est-ce-pas ? Alors pourquoi pas les Cyclopes ?
Il m’arrive aussi, afin de
célébrer le Lugnasad au mois d’Elembivios, de me lever à l’aube, et de me
prosterner sur ma descente de lit, tournée vers l’Est, en chemise de nuit
blanche et la tête ceinte d’une couronne d’olivier. J’adresse ainsi selon les
règles mes dévotions à notre «déesse Alésia» et appelle ses bénédictions sur
les cerveaux fêlés de notre secte. Mais si je l’avoue, je risque de voir
débarquer sous mes fenêtres un véhicule blanc à croix rouge, d’où descendront
des hommes eux aussi en blanc. Je n’avouerai donc pas.
Pour ce qui est des gens sensés
qui nous rejoignent, et, depuis un an, ils sont légion, ils appellent «déesse
Alésia», sans chercher midi à quatorze heures, ce sacré orthostate-quasi-anthropique-mais-pas-tout-à-fait qui occupe les
Alisiens au détriment de leur absence de camp Nord, des dimensions aberrantes
de leurs fossés aussi bien que des tours, ou des découvertes ahurissantes de
monnaies et d’armes à l’intérieur de leurs palissades alors que leurs
propriétaires étaient restés à l’extérieur…
Ils savent, dès le nom prononcé, où «elle» se trouve, cela leur suffit
amplement.
***
Je reviendrai donc bientôt au style
premier degré, pour aborder enfin les choses sérieuses.
Mais d’abord, dégustez la prose
des archéologues et historiens de Besançon et d’ailleurs. Ceux d’entre vous qui
reçoivent Ephemeris ont déjà pu
l’apprécier et sauteront, s’il leur plaît, ce qui les sépare de la dernière
page.
________________________________________________
« 1
20 octobre 2016
Madame, Monsieur,
En juillet dernier, nous avons
diffusé un texte intitulé «Alésia n’est pas dans le Jura» pour alerter
les élus et le grand public sur les incohérences, les sur-interprétations, les
mensonges des tenants de la thèse Alésia/Chaux-des-Crotenay.
Afin d’être totalement exhaustifs,
nous avons voulu dans le texte joint revenir sur tous les arguments avancés par
les défenseurs de Chaux-des-Crotenay pour montrer à quel point ces
pseudo-chercheurs se trompent et trompent depuis des années le public, certains
élus et certains journalistes. Nous espérons ainsi rétablir la vérité
scientifique concernant ce site d’Alésia.
Plusieurs points sont abordés dans
ce texte. Vous verrez ainsi que :
- nous confirmons d’abord que
l’oppidum du mont Auxois à Alise Sainte Reine et le siège militaire du Ier
siècle av. J.-C. qui y a été révélé par l’archéologie correspondent bien à la
bataille d’Alésia ;
- les différents sites décrits à
Chaux-des-Crotenay témoignent d’une occupation agricole de l’Antiquité tardive
et de l’époque médiévale liée à la proximité de l’agglomération gallo-romaine
du mont Rivel, puis à une seigneurie médiévale et non pas au site d’une
bataille qui s’est déroulée au Ier siècle avant J.-C. ;
- avant d’envisager des fouilles,
il est nécessaire de conduire un travail historique sur les archives et les
plans anciens afin de préciser l’histoire globale du site de
Chaux-des-Crotenay.
Vous pourrez mesurer l’ampleur de
la supercherie alimentée depuis des décennies par les associations de défense
du site jurassien soutenues par Danielle Porte et Franck Ferrand. Plusieurs
points sont disséqués dans le détail, ils concernent :
- l’absence supposée de fouilles
sur le site de Chaux où vous verrez qu’en fait André Berthier a bénéficié
d’appuis politiques et logistiques très importants ;
- les fouilles et sondages d’André
Berthier n’ont découvert que des éléments du IIe siècle ou de la période
médiévale, ce qui a été confirmé par tous les travaux archéologiques plus
récents ;
- les défenseurs du site de
Chaux-des-Crotenay dissimulent sciemment des expertises de terrain qui
confirment les analyses des archéologues et géologues réalisées depuis 40 ans ;
- ainsi, au mépris de toute
déontologie, ils ignorent volontairement les rapports de fouille et de
sondages, font abstraction de la chrono-stratigraphie pour transformer des
structures médiévales, modernes ou contemporaines en vestiges celtiques ou
gallo-romains ;
- ils tiennent un discours sans
base scientifique, décrivant des pseudo-structures archéologiques sans apporter
de preuve concrète ;
- ils ne s’appuient sur aucune
expertise scientifique et se contentent d’hypothèses anciennes qu’ils font
passer pour des vérités historiques ;
- ces personnes ignorent les
progrès des recherches historiques et archéologiques des 30 dernières années ;
- ils refusent de publier leurs
théories dans des revues scientifiques reconnues comme ils refusent de
communiquer leurs résultats lors de colloques nationaux et internationaux.
2
Nous vous invitons à prendre
connaissance du détail de nos arguments dans le texte ci-dessous, en espérant
clore ainsi un débat parfaitement vain et exaspérant pour la communauté
archéologique française, et nous restons à votre disposition.
Recevez, Madame, Monsieur, nos
respectueuses salutations.
François Favory, historien et
archéologue de l’Antiquité
Hervé Richard,
paléoenvironnementaliste-archéologue
Philippe Barral,
archéologue-protohistorien
Yannick Favory, historien
Vincent Guichard,
archéologue-protohistorien
Pierre Nouvel, archéologue de
l’Antiquité
Michel Reddé, archéologue et
historien de l’Antiquité
Anne-Marie Adam,
archéologue-protohistorienne
Stephan Fichtl,
archéologue-protohistorien
Emilie Gauthier,
paléoenvironnementaliste-archéologue
Jean-Paul Guillaumet,
archéologue-protohistorien
Luc Jaccottey, archéologue
Martine Joly, archéologue de
l’Antiquité
Sylvie Lourdaux-Jurietti,
muséologue
Claudine Munier, archéologue de
l’Antiquité
Laure Nuninger,
géomaticienne-archéologue
Christophe Petit, géoarchéologue
Pierre Pétrequin, archéologue-pré-
et protohistorien
Matthieu Poux, archéologue-protohistorien
Annick Richard, archéologue
Marie-Jeanne Roulière-Lambert,
archéologue-protohistorienne
Matthieu Thivet, archéologue
Stéphane Venault, archéologue de
l’Antiquité
Valérie Pichot, archéologue de
l’Antiquité
Stefan Wirth, archéologue-protohistorien
Le site de Chaux-des-Crotenay, mythe et réalités _
À la suite des propos de Danielle
Porte et d’André Alix, sans oublier les invectives gratuites et insultantes de
Franck Ferrand, nous tenons à répondre aux principaux points abordés.
Nous pouvons d’abord rassurer A.
Alix : l’ensemble des signataires a travaillé et travaille encore à
l’interprétation du patrimoine régional. Certains d’entre nous ont consacré
l’essentiel de leur carrière à des sites franc-comtois et bourguignons. Citons
les travaux les plus connus de Chalain et Clairvaux-les-Lacs (39), Villards
d’Héria (39), Mandeure (25), Autun (71), Bibracte (58-71). Visiblement A. Alix
confond sauvegarde du patrimoine local et défense de la mémoire d’André
Berthier.
3
On rappellera qu’on peut être
archéologue, historien de l’Antiquité et capable de traduire du latin. Nous
travaillons régulièrement sur des textes antiques et médiévaux et sur des
corpus d’inscriptions latines. Enfin, il faut souligner que les deux chercheurs
le plus souvent pris à partie par les partisans de la localisation d’Alésia à
Chaux-des-Crotenay (Michel Reddé et Christian Goudineau) sont des agrégés de
lettres classiques, formés à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm,
pensionnaires de l’École française de Rome, et des philologues reconnus avant
d’être des historiens et des archéologues.
Les sornettes des partisans
d’Alésia à Chaux-des-Crotenay concernant le site d’Alise Sainte Reine
L’oppidum d’Alésia
D. Porte affirme, dans La Voix
du Jura du 1er septembre 2016, que les «90 hectares (du site d’Alise) ne
peuvent accueillir que 9000 hommes (Polybe) et (qu’)ils sont 95 000 nouveaux
arrivants sur le Mont Auxois»._ _Cette
affirmation suscite deux questions : pourquoi 90 hectares – en l’occurrence
plutôt 97 – ne pourraient accueillir que 9000 hommes, et où Polybe évoque-t-il
la question du peuplement des oppidums gaulois ? On rappellera que l’oppidum
d’Alise fait partie des grands oppidums de Gaule, même si certains dépassent
exceptionnellement les 100 ha comme Villejoubert, en Haute-Vienne, et Bibracte,
en Saône-et-Loire et dans la Nièvre (200 ha au moment de sa fondation, par
exemple).
En outre, il faut souligner que
les calculs des partisans d’Alésia à Chaux-des-Crotenay oublient une donnée
essentielle : l’ensemble des effectifs estimés n’a jamais, d’après César,
occupé l’oppidum en même temps. Au début du siège, les soldats de Vercingétorix
campent devant les murs d’Alésia («Au pied du rempart, tout le flanc
oriental de la colline était occupé par les troupes gauloises, et en avant
elles avaient creusé un fossé et construit un mur grossier de six pieds.» ;
BG, 7, 69 (trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). C’est sur
ces retranchements que les Germains en massacrent d’ailleurs un grand nombre et
leur prennent leurs chevaux. («Vercingétorix fait fermer les portes, pour
éviter que le camp ne se vide. Après avoir tué beaucoup d’ennemis et pris un
très grand nombre de chevaux, les Germains se replient» (BG, 7, 70 :
trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). Ce qui aboutit logiquement à
moins d’hommes et à moins de chevaux, sachant que les Germains avaient déjà
largement éliminé les hommes qui avaient abandonné leurs chevaux : «Ils en
tuent beaucoup ; un assez grand nombre abandonnent leurs chevaux pour tenter de
franchir le fossé et d’escalader la muraille» (BG, 7, 70 : trad. L. A.
Constans, Les Belles Lettres, 1926). Ensuite, Vercingétorix renvoie ce qui
reste de sa cavalerie et fait entrer ses troupes dans l’oppidum, puis fait
évacuer les civils et les malades, qui sont voués à un triste sort (BG,
7, 78). Nous confirmons donc que l’oppidum d’Alise n’a pas accueilli en même
temps l’ensemble de l’armée gauloise et les Mandubiens, ce qui est clairement
indiqué par le texte de César. Pourquoi Vercingétorix, s’il avait bénéficié du
site de Chaux, aurait laissé ses troupes hors des remparts, les exposant ainsi
aux raids des Germains ? On signalera aussi que le relatif manque de ressources
du site du Mont Auxois explique sans doute la durée relativement courte du
siège (l’estimation courante est d’un mois et demi). On rappellera pour
comparaison qu’il aura fallu 15 mois à Scipion Emilien pour obtenir la
reddition de Numance. On peut aussi se demander comment les charges de la
cavalerie germaine auraient pu se dérouler dans les gorges des rivières du site
de Chaux, la Lemme et la Saine, avant d’en escalader les pentes fortement
escarpées.
On notera aussi que, pour D. Porte
(Alésia. La supercherie dévoilée), les flancs du mont Auxois sont trop
escarpés pour accueillir le camp de Vercingétorix, ce qui montre qu’elle
connaît peu le site du Mont Auxois et particulièrement sa partie orientale sur
lequel
4
César situe le camp gaulois. Ici
D. Porte fait preuve d’une mauvaise fois (sic) inadmissible lorsqu’elle cite les
travaux de Joël Le Gall, dont elle utilise des phrases tronquées, et
lorsqu’elle mélange des descriptions de différentes zones de l’oppidum. J. Le
Gall distingue bien les zones où les falaises escarpées forment une défense
naturelle imprenable, des zones qui sont encore aujourd’hui les accès routiers
du site et qui possèdent des flancs plus accessibles équipés de voie d’accès.
Ce sont surtout les flancs sud et nord qui possèdent des falaises. Les
affirmations de D. Porte sont d’ailleurs contredites, dans le même ouvrage (Alésia.
La supercherie dévoilée), par un de ses co-auteurs, Bernard Gay, qui évoque
des «flancs accessibles».
On trouve d’ailleurs chez D. Porte
d’autres affirmations stupéfiantes. Elle s’étonne que Napoléon III place le
camps gaulois «à l’est de l’oppidum», On rappellera que c’est César qui
affirme que le camp gaulois se trouve à l’est («tout le flanc oriental de la
colline était occupé par les troupes gauloises » ; BG, 7, 69 (trad. L. A.
Constans, Les Belles Lettres, 1926), que c’est le seul flanc où les pentes
permettent l’installation des troupes et que, d’autre part, c’est à cet endroit
que se trouvent les portes de l’oppidum. On rappellera aussi que ce flanc
oriental réputé moins naturellement défendu a été barré par un murus gallicus
du Ier siècle avant J.-C. dont les vestiges ont été retrouvés en fouille.
Ce qui confirme parfaitement la description de César. On se demande, en
revanche, comment un camp gaulois aurait pu occuper l’ensemble du «flanc
oriental» du site de Chaux, étant donné sa longueur et ses pentes
prononcées.
Plus étonnant, D. Porte trouve
curieux que «les camps gaulois aient choisi l’arrière de la montagne, où
s’était apparemment implanté l’habitat, plutôt qu’à l’avant, vide de
construction même à l’époque gallo-romaine. S’il se passe quelques événements
en front de plaine, il est impossible à ses occupants d’intervenir et même
d’être avertis.» En premier
lieu, nous rappellerons que la situation est identique sur le site de
Chaux-des-Crotenay. Le camp de Vercingétorix est, d’après César, forcément
localisé à l’est, devant l’entrée de l’oppidum : étant donné le profil des
pentes du site de Chaux, ce camp aurait été nécessairement placé assez loin de
la fameuse plaine de Syam. Par ailleurs, malgré les affirmations de D. Porte,
aucun habitat gaulois n’a été retrouvé à ce jour à l’est de l’oppidum du Mont
Auxois, alors que les fouilles ont montré qu’un habitat groupé était implanté
au centre de l’oppidum. D’autre part, D. Porte ignore aussi visiblement qu’à
l’avant de l’oppidum, qu’elle considère comme vide, on a identifié, sur le site
exigu de la fouille d’En Curiot, cinq maisons et un mobilier homogène très
abondant : céramique gauloise et campanienne, amphores vinaires italiques,
fibules... ainsi que les fragments d'armes en fer (pointe de flèche, éléments
de fourreaux d'épées et de boucliers), le tout permettant d’affirmer que ce
quartier, situé à une porte de l'oppidum, a été densément occupé au Ier siècle
avant J.-C.
Nous constatons donc que D. Porte
confond visiblement l’urbanisme de la ville gallo-romaine (qui occupe, entre
autres, la partie orientale de l’oppidum) et l’habitat antérieur à la conquête.
On trouve ce même type d’erreur dans les déclarations des défenseurs du site
hypothétique de Chaux-des-Crotenay, qui affirment qu’il n’y a pas, à Alise, de
peuplement antérieur à la conquête romaine et que l'on y a seulement retrouvé
une ville gallo-romaine, donc postérieure à la conquête romaine (Jean Michel,
secrétaire général de l'association ArchéoJurasites, dans Presse
Pontissalienne, n° 201 : «Les fouilles effectuées à Alise-Sainte-Reine
ont néanmoins révélé la présence d’une ville gallo-romaine datant du IIème
siècle après J.-C. Mais cela ne confirme pas l’option bourguignonne»).
C’est une affirmation étonnante pour un site daté par l’archéologie du début du
Ier siècle av. J.-C., et dont le peuplement permanent est attesté dès 80 av.
J.-C. La création de l'oppidum d'Alise s'inscrit donc dans le mouvement général
d'émergence de cette catégorie particulière de sites urbains (charnière des
IIe-Ier s. av. n. è.), le floruit de l'occupation correspondant à La
Tène D2 (entre 80 et 30 avant J.-C.), donc à la période du siège.
5
On constate enfin que le mont
Auxois correspond bien à la description de César, «La ville proprement dite
était au sommet d’une colline, à une grande altitude, en sorte qu’on voyait
bien qu’il était impossible de la prendre autrement que par un siège en règle.
Le pied de la colline était de deux côtés baigné par des cours d’eau. En avant
de la ville, une plaine s’étendait sur une longueur d’environ trois milles ; de
tous les autres côtés la colline était entourée à peu de distance de hauteurs
dont l’altitude égalait la sienne» (BG, 7, 69, L. A. Constans. Paris,
Société d'édition "Les Belles lettres," 1926.) Une colline imprenable
car tout simplement on ne peut en approcher des machines de siège, à la
différence des autres places fortes attaquées par César ; elle est bien
entourée de collines de taille équivalente (altitude de 380 m contre 400 pour
le Mont Auxois), deux rivières coulent au pied de ses falaises et une plaine
s’étend bien à l’avant (à l’ouest) de l’oppidum. C’est bien l’interprétation
qu’A. Berthier fait du texte qui ne correspond pas au Mont Auxois et non pas la
description lapidaire de César.
La ressource en eau
La question de l’eau a été
définitivement tranchée en 2010 par Jonhattan Vidal et Christophe Petit :
https://rae.revues.org/6500 : l’eau mobilisable par les Gaulois avec les moyens
techniques de l’époque est en quantité largement suffisante sur le site de
l’oppidum d’Alise.
Les objectifs de Vercingétorix
A. Alix s’interroge sur ce que
Vercingétorix va faire à Alésia "Où Ph. Barral a-t-il lu que
Vercingétorix se réfugiait sur l'oppidum d'Alésia. Le texte de César n'évoque
pas le concept de fuite vers un refuge. C'est là que la thèse alisienne devient
incohérente" (La Voix du Jura du 1er septembre 2016). Il semble
évident que quelqu’un qui vient d’être mis en déroute, bat en retraite
(retraite qui lui coûtera, d’après César, 3000 hommes) et gagne sans faire de
pause l’oppidum des Mandubiens, a l’intention de s’y réfugier. On peut discuter
pour savoir si ce repli était prévu dans le but de tenter à nouveau la
manoeuvre d’encerclement qui avait presque fonctionné à Gergovie ou si cette
manoeuvre sera mise en place après le début du siège romain : mais, après la
défaite de sa cavalerie, Vercingétorix fuit vers un oppidum, talonné par César.
Quelle que soit la suite des évènements, Vercingétorix vivra cette dernière
bataille réfugié dans son oppidum et en sacrifiant les civils, qu’A. Alix le
veuille ou non. Quoi que l’on pense de la stratégie de Vercingétorix, on voit
peu en quoi le fait de dire qu’il s’est réfugié à Alise rendrait la thèse
alisienne incohérente. On notera qu’un confrère d’A. Alix, J. Michel, indique,
dans ses présentations de conférence, que Vercingétorix se «replie» sur Alésia.
Le camp du Mont Réa
Toujours dans la Voix du Jura,
D. Porte localise le camp du Mont Réa en bas de la pente : «escalader les
abrupts, pour parvenir au camp nord lorsque celui d’Alise est installé au pied
de la colline». Les fouilles de 1997 ont invalidé l’interprétation des
vestiges de ce pseudo-camp par les équipes du Second Empire. Cette remise en
cause des certitudes de D. Porte a justement été effectuée par un des
signataires de notre courrier. L’acharnement de D. Porte à localiser un camp au
pied du Mont Réa est étonnant de la part de quelqu’un qui assure avoir «étudié
tout ce qui concerne Alise» (Le Progrès, 11 août 2016) et qui,
visiblement, ignore les principales publications sur cette question.
Acharnement d’autant plus étrange que, dans sa contribution publiée dans Alesia,
la supercherie dévoilée, elle affirme, avec raison, que ce camp n’existe
plus, «Fort bien. Le camp du Réa n’existe plus. Mais pourquoi conserve-t-on
alors, les fossés qui l’entouraient (…) Bien sûr ils sont bien étranges ces
fossés sans camp». Nous pouvons rassurer D. Porte qui s’étonne de l’absence
de camp, mais note ironiquement la présence
6
de fossés, en lui précisant que
ces fossés sont ceux de la circonvallation et de la contrevallation, ainsi
qu’un dispositif inédit (fossé et défenses avancées), probablement attribuable
au tout début du siège.
Le camp du Mont Réa évoqué par
César et localisé sur les pentes du Réa n’a, à ce jour, pas été identifié (ce
qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas), mais les hypothèses des équipes
napoléoniennes qui ont identifié un secteur potentiel à mi-pente n’ont pas pu
être confirmées par manque d’investigations récentes1. Les sondages réalisés
dans les pentes du Mont Réa ont mis en évidence un seul fossé attribuable au
siège césarien, au demeurant très arasé par les processus d’érosion liés aux
pratiques culturales modernes.
1 Sur les flancs du Réa,
différents indices laissent supposer l'existence d'au moins un camp, sur un faux
plat sensible, au-dessus du «camp D $», les fouilles du XIXe siècle y avaient
mis au jour une structure très particulière, qui ressemble beaucoup à une clavicula,
et du matériel militaire romain a été trouvé en prospection juste au-dessus.
Plus à l'ouest, au-dessus des abattoirs des Laumes, différentes lignes brisées
laissent supposer l'existence possible d'un grand cantonnement : là aussi la
documentation de Stoffel est insuffisante (...)». M. Reddé, Alésia,
L'archéologie face à l'imaginaire, 2003, p. 162.
2 “reliquum spatium, quod est
non amplius pedum MDC, qua flumen intermittit, mons continet magna altitudine, ita ut radices eius montis ex
utraque parte ripae fluminis contingant,” (BG, 1, 38).
3 “Ipsum erat oppidum Alesia in colle summo admodum edito loco.”
(BG, 7, 69).
Le modèle polybien du camp romain
Le recours au modèle des camps
romains de Polybe présente le même type d’approximation. D. Porte s’appuie sur
une description des camps romains par un auteur mort vers 126 av. J.-C., soit
plus de 70 ans avant la conquête de la Gaule. En outre Polybe y décrit des
camps d’étape d’une armée en déplacement, et n’évoque en aucun cas la question
de camps construits dans le cadre d’un siège. D’autre part, César ne donne pas
les dimensions des camps implantés autour d’Alésia. On sait qu’il a fait
construire 23 postes (praesidia) répartis sur l’ensemble des
fortifications pour les surveiller. Si tous ces postes avaient eu la taille des
camps évoqués par D. Porte, César aurait alors disposé de plus de 12 légions.
Les troupes romaines ne sont pas concentrées dans quelques camps de type
polybien, mais dispersés sur l’ensemble du réseau défensif : «Labiénus,
voyant que ni terrassements ni fossés ne pouvaient arrêter l’élan de l’ennemi,
rassemble trente-neuf cohortes, qu’il eut la chance de pouvoir tirer des postes
voisins» (BG, 7, 87 : trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). Il
est donc plus qu’aberrant de chercher des camps pouvant contenir plusieurs
légions alors que Labienus tire l’équivalent de quatre légions des seules
garnisons installées à proximité de la dernière bataille. César a très
logiquement déployé ses troupes sur l’ensemble des fortifications et ne les a
pas concentrées dans un nombre réduit de grands camps.
Le discours césarien
Concernant le récit de César,
personne d’entre nous n’affirme qu’il ment : en revanche, il faut constater
qu’il est très imprécis et pas seulement dans le cas d’Alésia. C’est d’ailleurs
ce qui suscite les débats et les polémiques. Les imprécisions les plus
importantes concernent ses temps de trajet : il est impossible de localiser Genabum
(Orléans) si on respecte les temps annoncés par César dans la Guerre des
Gaules. De même la description des sites est souvent vague dans la plupart
des ouvrages de César : la description topographique de César ne suffit pas
plus à identifier le site de Gergovie, par exemple. César décrit la citadelle
de Vesontio (Besançon) comme une «montagne» de grande altitude (mons,
-tis)2 alors qu’elle culmine royalement à 370 m, soit 100 m de dénivelé à
partir du pied de la colline, et soit moins que la «colline» (collis, -is)3
du Mont Auxois (407 m), dont le sommet domine de 150 m la vallée de l'Ozerain.
7
Il en est de même au sujet des
localisations : par exemple, dans le cas qui nous intéresse : "per
extremos fines Lingonum…" (BG, 7, 66, 2). La simple préposition
per possède une pluralité d’acceptions et J. Carcopino laisse, dans sa
traduction, « à la phrase de César les apparences de l’ambiguïté » (J.
Carcopino, Per extremos fines Lingonum, Revue des Études Anciennes, 1969,
71-1, p. 57-64). Ambiguïté d’autant plus compréhensible que cette zone
extrêmement contestée entre les puissances locales (Séquanes, Lingons et
Eduens) a été à l’origine de la Guerre des Gaules, les Séquanes appelant César
à la rescousse pour les débarrasser de mercenaires germains recrutés pour
prendre le contrôle de cette frontière. L’exploitation des différents textes
(Strabon, César entre autres) confirme que le Val de Saône était une zone de
conflits, dans laquelle les frontières sont mouvantes durant la première moitié
du Ier siècle avant notre ère. (Fichtl 20094).
4 Les peuples du Jura à l'époque
de César, in Richard (A.) dir. - L'isthme européen Rhin-Saône-Rhône
dans la Protohistoire, Mélanges Jacques-Pierre Millotte, Annales
littéraires de l'Université de Franche-Comté, Besançon, 2009, p. 361-367
(Annales littéraires de l'Université de Franche-Comté 860, Environnement,
sociétés et archéologie, 13).
En réalité, ce n’est pas le texte
latin qui peut éclairer la localisation, mais la localisation qui permet de
choisir comment traduire le texte de César. De fait, c’est un des intérêts
majeurs des résultats des fouilles autour du Mont Auxois que de permettre de
mieux comprendre comment César a construit son récit, comme l’a brillamment
démontré Michel Reddé (Alésia : du texte de César aux vestiges archéologiques. In
: Reddé Michel, et von Schnurbein Siegmar, dir. : Alésia et la bataille
du Teutoburg : un parallèle critique des sources, Ostfildern 2008, p.
277-289).
Au final, César localise peu les
évènements et les données topographiques sont donc extrêmement vagues. Comme
cela a déjà été démontré (M. Reddé, Alésia. L’archéologie face à
l’imaginaire, Errance, Paris-Arles, 2012, p. 111-116), le modèle théorique
d’A. Berthier s’applique à une multitude de sites. Ces imprécisions ne sont pas
contradictoires avec le fait que les généraux de César écrivaient à Rome et
limitaient ainsi de possibles contre-vérités. Il est douteux qu’un déplacement
opéré en trois jours au lieu de deux ou qu’un élément défensif soit plus ou
moins espacé en fonction de l’endroit, ait pu être utilisé politiquement contre
César. Il est aussi démontré (Michel Rambaud, «L'art de la déformation
historique dans les commentaires de César», Lyon, 1953) que César utilise
des procédés rhétoriques pour se valoriser, inquiéter le Sénat ou dissimuler
certaines erreurs d’officiers dont l’appui familial lui est nécessaire. Sur ces
questions, on attend avec impatience que D. Porte publie les témoignages des
généraux de César qu’elle affirme posséder et avoir traduits (interview dans Le
Progrès, 11 août 2016). Ces documents seraient du plus grand intérêt pour
la communauté scientifique. En fait, il n’existe que quelques commentaires de
Cicéron dans sa correspondance avec son frère Quintus, qui s’avère un bien
piètre officier (Ch. Goudineau, César et la Gaule, Seuil, coll Points,
1990 ; rééd. 2000). En réalité, les sources évoquées par D. Porte n’existent pas.
À propos du témoignage de Diodore
de Sicile sur Alésia
, extrait de la Bibliothèque
historique, IV, 19 :
«Hercule donna le royaume des
Ibères aux plus vertueux des indigènes. Quant à lui il se mit à la tête de son
armée, et pénétra dans la Celtique ; parcourant toute cette contrée, il abolit
des coutumes sauvages, et entre autres celle de tuer les étrangers. Comme son
armée se composait de volontaires accourus de toutes les nations, il fonda une
ville qu'il appela Alésia, nom tiré des longues courses de ses troupes. Un
grand nombre d'indigènes vinrent s'y établir, et comme ils étaient plus
nombreux que
8
les autres habitants, il arriva
que toute la population adopta les moeurs des Barbares. Cette ville est,
jusqu'à nos jours, en honneur parmi les Celtes, qui la regardent comme le foyer
et la métropole de toute la Celtique. Elle est demeurée libre et imprenable
depuis Hercule jusqu'à nos jours. Mais enfin, Gaius César, divinisé pour la
grandeur de ses exploits, la prit d'assaut, et la soumit avec le reste de la
Celtique à la puissance des Romains.» (trad. Ferdinand Hoefer, Paris, Adolphe
Delahays, 1851)
On note d’abord que l’essentiel du
texte est un récit mythologique intégrant le grand héros civilisateur de
l’Occident méditerranéen, Héraclès5, procédé classique chez les auteurs grecs
(Robert Turcan, Revue de l’histoire des religions, 187, 1975 : «Alésia
aurait dû son nom aux courses errantes d’Héraclès qui l’aurait fondé,
étymologie qui confirme l’importance du héros dans les interprétations gréco-romaines
de la mythologie celtique»). Le texte se termine par une référence à la
prise de la ville par César, avec d’ailleurs une erreur sur la façon dont César
s’en est emparé. C’est un texte postérieur à la divinisation de César. Il est
évident que Diodore ne connaît pas grand chose à Alésia. Son texte mentionne la
ville, car elle a été rendue célèbre par les commentaires de César sur la
Guerre des Gaules : Diodore invente donc un récit qui insère la ville dans la
geste d’Héraclès en ajoutant des détails pour valoriser le site. Le problème
est qu’il est l’unique auteur à citer ces éléments. Il est significatif que
César n’ait pas signalé dans son texte le fait qu’Alésia était «la métropole
de la Celtique et une grande place religieuse» (D. Porte), un type
d’argument propre à valoriser sa victoire. Au contraire, il traite son cas en
quelque mots lapidaires : «et prit la route d’Alésia, ville des Mandubiens (oppidum
Mandubiorum)». D’autre part, il est étonnant qu’une telle cité soit
restée inconnue jusqu’à l’arrivée de César et après la conquête. La célébrité
d’Alésia n’existe donc que chez Diodore qui est réputé comme un auteur peu
fiable. (R. Turcan, ibidem, «Il faudrait connaître les sources de
cette donnée pour l’apprécier à sa juste valeur (…) Le problème des sources de
Diodore (Posidonius ? Timagène ?) méritait d’être posé»). On pourrait à la
rigueur envisager l'hypothèse que ce texte, comme d'autres récits fondateurs,
soit un témoignage mythologique d'une possible colonisation grecque au nord de
Lyon mais, dans ce cas, il faudrait que D. Porte nous en apporte la preuve.
5 Jourdain Annequin C., Héraclès
aux portes du soir. Mythe et histoire, Paris, Les Belles Lettres, 1989.
Néanmoins, nous ne suivrons pas D.
Porte dans ses propos extravagants sur l’intervention des Cyclopes dans la
construction des murs des cités grecques ou sur les obscurs «contemporains
d’Hercule» : «En cela les murs de Chaux font très honorable figure à côté
des constructions auxquelles les Cyclopes mirent la main. C’est précisément si
on avait un murus gallicus autour de Chaux-des-Crotenay qu’il faudrait
s’inquiéter : voilà qui affecterait à la ville une naissance autour du IIe
siècle avant J.-C. … au plus tôt. En fait de métropole de toute la Celtique
bâtie par des contemporains d’Hercule, on peut trouver mieux». (L’imposture
Alésia, p. 217). Nous voulons bien lire les ouvrages de D. Porte, mais on
comprendra qu’il est compliqué d’avoir un débat scientifique avec quelqu’un qui
possède un système de datation basé sur des récits mythologiques et qui pense
visiblement, à la lire, que les Cyclopes ont existé. D. Porte, comme
d’habitude, affirme de façon péremptoire des vérités qui ne sont que des
hypothèses invérifiables, voire extravagantes.
Les vestiges du siège d’Alésia
Demeure la question des vestiges
du siège qui ne correspondent pas toujours précisément à la description de
César. On notera d’abord que d’éminents spécialistes comme R. Turcan
(http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1993_num_137_2_15213, p. 312), que D.
Porte ne pourra accuser de ne pas connaître le latin, estiment que
9
l’énumération par César de ses
défenses s’en tient à des directives générales (haec genera munitionis
instituit : BG, 7, 72), nécessairement variables dans le détail,
selon le terrain à aménager. Sur une vingtaine de kilomètres, n’importe quel
militaire comprend que l’on s’adapte en renforçant les points les plus menacés
et en limitant les éléments défensifs quand ils sont moins nécessaires (défense
naturelle). Ce point précisé, sur l’ensemble des zones fouillées à Alise, aucun
piège ou élément défensif n’échappe à la description césarienne : c’est
essentiellement leur association et leur organisation spatiale qui peuvent
varier. Tout ceci est bien évidemment expliqué en détail dans les différentes
publications liées aux fouilles de 1991-1997 que D. Porte est censée avoir
lues. Il est aussi démontré que, dans certains cas, des fossés temporaires ont
été aménagés pendant la période du siège. On observe aussi des repentirs (c’est
à dire des corrections de tracés de lignes césariennes), qui indiquent
clairement que le dispositif césarien est un système dynamique, en continuelle
transformation, comme on peut s’y attendre logiquement dans la pratique d’un
siège.
La question des monnaies
Franck Ferrand, le sémillant et
papillonnant journaliste qui aime à se montrer en train de lire César dans le
texte, assis dans une cabine d’hélicoptère (film de Canal+, 12 décembre 2008),
fervent adepte de la thèse d’A. Berthier et compagnon de route de D. Porte, fait
souvent référence à l’existence d’un mystérieux faux utilisé par les défenseurs
du site d’Alise. En fait, les spécialistes du sujet savent bien que ce faux
n’en est pas un, ou plutôt n’en est plus un, depuis l’étude de J.-B. Colbert de
Beaulieu, le grand spécialiste de la monnaie celtique, à la fin des années
1960, et qu’en réalité, on est très loin d’un quelconque complot. Ce statère
d’or n’est pas référencé dans l’ouvrage de Napoléon III publié en 1866 et n’a
donc pas été utilisé comme preuve par l’empereur, ce qui est normal puisque
l’Etat ne l’a acquis qu’en 1867 pour le verser au Musée des Antiquités
nationales.
En 1866, Napoléon ne décrit que
les fameux bronzes dits "obsidionaux". Ces monnaies frappées avec les
coins servant aux monnaies d’or sont en réalité façonnées dans un alliage de
cuivre (laiton) et servaient de reconnaissance de dette, le possesseur pouvant
les échanger contre des pièces d’or après la fin de conditions exceptionnelles,
comme par exemple un siège ou une campagne militaire. Elles sont extrêmement
rares et Napoléon III ne s’est pas rendu compte de l’utilisation qu’il pouvait
en faire pour sa démonstration : mieux, ces monnaies ont été un moment sorties
de la collection du musée (J. Harmand déclarant « il semble y avoir eu
évanouissement de la monnaie de Grésigny aux Antiquités Nationales dans les
dernières années du XIXe s. »), le statère d’or de 1867 remplaçant de façon
absurde les monnaies de laiton jusqu’à leur re-découverte par J.-B. Colbert de
Beaulieu dans les collections du musée. Comme d’habitude, dans ce dossier, il
suffit de lire les résultats des recherches récentes. Depuis la fin des années
1960, le statère qui ne prouve rien a été sorti des collections d’Alise et les
monnaies issues des fouilles de Napoléon III réintégrées à leur place.
Aujourd’hui, la très abondante
collection monétaire d’Alise a été de nouveau expertisée et elle participe
largement à conforter l’identification du site.
Comme d’habitude, les défenseurs
du site de Chaux-des-Crotenay se contentent d’hypothèses dépassées et révèlent
leur profonde méconnaissance des travaux récents (pour plus d’informations sur
ce dossier, voir par exemple: Brigitte Fischer, Les monnaies gauloises du siège
d’Alésia, Dossier d’Archéologie n° 305, Alésia. Comment un oppidum gaulois
est entré dans l’histoire).
Les défenseurs du site de
Chaux-des-Crotenay ignorent, dans la totalité de leurs affirmations sur Alise,
les données récentes et les résultats de fouilles conduites dans les années
2000 : ils s’accrochent à des interprétations datant du siècle dernier, voire
du XIXe siècle.
10
Que reste-t-il désormais du site
de Chaux-des-Crotenay ?
Dans le dossier de la localisation
d’Alésia à Chaux-des-Crotenay, on assiste à une réécriture de l’histoire, A.
Berthier étant présenté comme un martyre persécuté par un obscur complot et qui
aurait travaillé sans moyens, notamment sans micro-ordinateur, instrument
effectivement relativement rare 15 ans avant son invention ! Cette description
est étonnante quand on lit les synthèses de Jean Michel (fervent berthiériste),
réalisées à partir des archives de l’association ArchéoJurasites. On se
contentera ici de ces synthèses, l’accès aux archives Berthier étant refusé aux
contradicteurs de son oeuvre : ces archives, selon un procédé étonnant, ne sont
ouvertes qu’«aux personnes qui s’intéressent positivement à la cause de l’inventeur du site
Alésia-Chaux-des-Crotenay» (précision de Jean Michel, secrétaire général de
l'association ArchéoJurasites) et interdites à toute personne ayant un lien familial
avec un des signataires du manifeste des chercheurs de juillet 2016. Les
collectivités territoriales, qui ont contribué aux 32000 euros de subventions
dont l’association ArchéoJurasites a bénéficié en 2014, apprécieront6.
6 On est d’ailleurs en droit de
s’étonner du soutien apporté à ces associations pro-Alésia en Franche-Comté,
par certaines collectivités locales, pourtant dûment averties, à maintes
reprises, par les autorités de l’Etat, voire par leurs propres services, du peu
de crédit scientifique dont ces thèses sont créditées.
André Berthier et le gouvernement
français
On découvre, dans lesdites
synthèses, un Berthier qui bénéficie d’autorisations de fouilles de ministres
importants et de personnages influents du gaullisme, André Malraux, emblématique
ministre de la Culture du Général de Gaulle, puis Jacques Duhamel, député du
Jura, maire de Dole et Ministre des Affaires culturelles dans les gouvernements
de Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer. Il a obtenu des subventions
reconduites par le Ministère de la Culture, puis des subventions d’Edgar Faure
et du Conseil général du Jura (un million d’anciens francs) qui se sont ajoutés
aux 200 000 anciens francs annoncés par les autorités archéologiques. Il a
aussi bénéficié de la mise à disposition de tirailleurs marocains appartenant à
une compagnie du 27e Régiment d’Infanterie, ainsi que d’une pelleteuse
mécanique grâce à Pierre Messmer, alors ministre des Armées, et de relevés
effectués par les Ponts et Chaussées, sans parler évidemment des appuis chez
les archivistes, son corps d’origine. On passe aussi sous silence les sondages
de l’été 1965 annoncés avec le soutien du 27e RI du Fort des Rousses et avec
recours à un hélicoptère. Ce soutien de l’armée se vérifie encore sous la
présidence de F. Mitterrand, quand un Mirage III-R de la base aérienne de
Strasbourg effectue, en 1983, une mission photographique sur le secteur de
Chaux-des-Crotenay. Nombreux sont les archéologues qui auraient apprécié, à la
même période, de telles sollicitudes de la part de l’Etat et des autorités
militaires. Ces soi-disant “petits sondages” de 1964 ont demandé une remise en
état du site par l’entreprise A. Pernot de Champagnole qui a rebouché les cinq
tranchées, et une indemnisation de l’agriculteur qui n’est pas parvenu à
ré-ensemencer son champ. Cette indemnisation nécessite une intervention
d’huissier en mai 1965 et l’intervention du préfet qui menace de prélever dans
les subventions pour régulariser la situation (mentionné dans Jean Michel, Il
y a 50 ans… 7 journées de fouille Berthier autorisées en 1965.)
Et tous ces investissements pour
quels résultats ? Un rapport de fouille envoyé très tardivement et qui ne donne
rien de probant, y compris pour les fouilleurs d’A. Berthier : «Le 3 janvier
1966, Albert Girard, son chef de chantier, accuse réception du rapport d’A.
Berthier, soulignant l’importance du gros mur (mur militaire) du camp des
Sarrazins. S’il
11
est globalement d’accord avec A.
Berthier, il dit regretter qu’il n’y
ait rien de “plus palpable et d’indiscutable” sur l’oppidum lui-même
alors que les vestiges sur celui-ci ne demandent qu’à parler.» (dans Jean Michel, Il y a 50
ans… 7 journées de fouille Berthier autorisées en 1965). En fait, l'analyse
des synthèses d’ArchéoJurasites montre le total amateurisme du projet : aucune
investigation de terrain n’ayant été faite au préalable pour étayer la demande
de fouilles, A. Berthier a perdu 26 jours de son mois de fouilles à faire des
repérages qui auraient dû être effectués en amont. Dans ces conditions, il
était bien évidemment impossible que les autorités archéologiques accordent des
autorisations de fouilles et détachent une partie leurs maigres moyens de
l’époque qui étaient mobilisés sur le site de Villards d’Héria, menacé par des
travaux effectués par le Génie rural. Plutôt que de comprendre ces raisons et
d’étayer son projet, A. Berthier décida de passer outre les autorités locales
et d’utiliser ses propres réseaux.
Au début des années 70, les
fouilles reprennent grâce à l’intervention de Bernard Edeine, un archéologue
confirmé, membre du CNRS, proche d’A. Leroi-Gourhan. Bernard Edeine a contribué
par sa rigueur à faire de l’archéologie une véritable science qui s’appuie sur
des protocoles précis et sur l’analyse des vestiges. Comme A. Leroi-Gourhan, il
limite au maximum les hypothèses pour ne partir que des données des fouilles.
Un personnage très éloigné des méthodes de D. Porte ! B. Edeine est, d’autre
part, comme A. Leroi-Gourhan, un formateur qui a fondé l’Ecole internationale
du Mont Joly, qui sera installée sur le site de Chaux entre 1969 et 1972. Les
fouilles sont dans un premier temps refusées : A. Berthier fait alors jouer ses
réseaux politiques et obtient le soutien du Président du Conseil Général (10
000 francs) et un hélicoptère de la gendarmerie. En août 1969, 25 stagiaires du
Mont Joly s’installent dans le centre de vacances des Messageries Maritimes au
hameau de Cornu : il y a là des physiciens, des géologues, des géomorphologues,
des architectes, des photographes, des dessinateurs, des techniciens du CNRS et
des étudiants. Ils conduisent toutes les expertises nécessaires à la mise en
place d’un projet de fouilles, y compris des relevés photographiques en
infra-rouge. Sur cette base, A. Berthier obtient du Ministre des Affaires
culturelles une autorisation de fouilles pour l’été 1970. Face au manque de
résultats probants, l’autorisation de fouilles est refusée pour 1971 mais, là
encore, elle est acceptée par le Ministre des Affaires culturelles, Jacques
Duhamel, ce qui entraîne la démission du Directeur des Antiquités historiques
de Franche Comté, Lucien Lerat, agrégé de Lettres classiques, ancien
pensionnaire de l’École d’Athènes, professeur d’Histoire de l’Art et
d’Archéologie classique à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Besançon,
en plein désaccord avec ces recherches.
Suite à la découverte en 1971 de
nouveaux éléments lors de travaux de drainage, à La Grange d’Aufferin (Syam),
une autorisation de fouilles est accordée pour l’année 1972 par Jacques-Pierre
Millotte, qui a succédé à Lucien Lerat à la Direction des Antiquités de
Franche-Comté. Elles sont, là encore, conduites par B. Edeine. Elles seront ses
dernières, car un conflit éclate entre B. Edeine et A. Berthier sur l’analyse
des résultats, le premier contestant les sur-interprétations des résultats. Il
rédige un contre-rapport rappelant que l’archéologie « est l’école de la
patience et de la ténacité ». La datation au carbone 14 réalisée par le
laboratoire de Saclay montrera que les fosses, identifiées par A. Berthier comme
des pièges de César (lilia), loin d’être romaines, datent des XIIe et
XIIe siècles après J.-C. et correspondent à des pieux d’une structure agricole
non identifiée. Les céramiques collectées lors des opérations de 1971 sont
datées de la même époque. Mais comme nous l’avons vu, les berthiéristes
s’embarrassent peu de chronologie. B. Edeine quitte alors le chantier en pleine
fouille et ne procédera à aucune publication scientifique de ses travaux sur le
site de Chaux.
D’autres archéologues connaîtront
les mêmes mésaventures en tentant de collaborer avec A. Berthier. Le conflit
entre Christophe Méloche et A. Berthier présente les mêmes caractéristiques :
A. Berthier, au mépris de toute analyse du mobilier trouvé,
12
transforme une grange médiévale en
un édifice romain. Cette ultime dispute conduit à une grave crise au sein de
l’association A.L.E.S.I.A, en 1993, A. Berthier refusant tout simplement de
publier, dans le bulletin de l’association, les résultats et analyses de Ch.
Méloche sur les éléments découverts sur le site de Crans (http://berthier.archeojurasites.org/content/le-secteur-de-la-cote-poire-etat-de-la-recherche-et-perspectives).
Ainsi donc, malgré le discours
dominant des défenseurs du site hypothétique de Chaux-des-Crotenay, des
fouilles ont bien été conduites dans ce village, et alentour, ainsi que de nombreux sondages.
Des interventions sont d'ailleurs encore régulièrement conduites dans le cadre
de fouilles de sauvetage commandées par l’État.
Des contrôles archéologiques
récents
Contrairement aux affirmations
péremptoires de D. Porte, le site de Chaux a bien été visité, à plusieurs
reprises, par des professionnels.
En 1999, une équipe composée de
Pierre Nouvel, alors archéologue bénévole et secrétaire de l’Association
archéologique universitaire de Bourgogne, et de chercheurs de l’AFAN y a
conduit des prospections. Ils n’ont récolté que du mobilier identique à celui
trouvé par A. Berthier : l’ensemble est datable des IIe et IIIe s. après J.-C.
En 2001, un journaliste de Libération,
Thierry Secrétan, accompagne deux archéologues anglais de l’université de
Lincoln sur le site de Chaux : étrangement, ce rapport n'est pas rendu public
par les partisans du site de Chaux.
http://www.liberation.fr/cahier-special/2001/08/18/syam-le-mystere-reste-dans-le-champ_374500.
Il semble que la substance du rapport des deux archéologues anglais soit bien
éloignée du discours enthousiaste de Th. Secrétan.
En 2008, une équipe d’archéologues
suisses et français et de géologues français a expertisé le site de
Chaux-des-Crotenay, à la demande d’ArchéoJurasites : le bilan est implacable et
confirme les analyses des géologues des années 1960 (N. Théobald). Aucune des
structures hors-sol présentées n’a de finalité militaire ou religieuse
plausible, et n’est datable de l’Antiquité : l’ensemble relève de structures
agricoles « récentes », le plus souvent liées à l’évacuation de pierres pour en
débarrasser les champs. Certaines structures sont tout simplement naturelles.
Pourtant ces structures continuent à être présentées comme des éléments d’un
supposé oppidum ou d’une ville gallo-romaine. Rappelons simplement que rien ne
prouve que les murs de Chaux-des-Crotenay soient militaires : ils sont liés à
l’activité agricole comme ceux du pseudo-site de Gergovie aux
Côtes-de-Clermont. Les novices sont souvent stupéfaits de ce que pouvaient
réaliser les agriculteurs de l’époque moderne : http://www.cotes-de-clermont.fr/Ascot-pierres-origine.html.
En 2011, le matériel trouvé par A.
Berthier a été expertisé par J.-P. Guillaumet, A. Desbat, S. Marquié, M. et
J.-R. le Nézet. Le rapport d’expertise montre que le matériel trouvé ne date
pas de la période du siège et qu’il ne présente aucun caractère militaire. Il
est tardif (second siècle après J.-C., médiéval et moderne). Les pièces
métalliques sont très tardives (XVIe-XVIIIe siècle après J.-C.) et pour
l’essentiel caractéristiques d’objets perdus lors de travaux forestiers, de
réparation de clôtures ou de rejets de fumures. La céramique expertisée, si
elle atteste bien une présence gallo-romaine postérieure au Ier siècle après
J.-C et donc, de fait, à la conquête romaine, est atypique pour un habitat : elle
correspond sans doute à des dépôts éventuellement en lien avec la présence de
la source voisine.
On constate donc que l'ensemble
des travaux conduits sur le site de Chaux-des-Crotenay ont invalidé les
théories d’A. Berthier : absence de peuplement au Ier siècle av.
13
J.-C., absence de mobilier
militaire, absence de traces de bataille. Des éléments qualifiés
d’«anthropiques» s’avèrent purement naturels. On relève aussi la découverte de
mobilier médiéval lié au château de Chaux et de l’époque moderne. Des sites
prétendument gallo-romains, selon A. Berthier, se révèlent être en réalité des
édifices médiévaux, etc.
Toute l’exploration scientifique
du site de la Chaux-des-Crotenay conduit à montrer qu’A. Berthier s’est trompé
sur toute la ligne. Son refus, au début des années 90, de reconnaître la
réalité des résultats des opérations des fouilles et sondages conduites depuis
les années soixante, ainsi que les expertises chronologiques des structures et
du mobilier, a conduit à la scission de son association, à la dispersion du matériel
découvert et à l’absence d’une publication scientifique des résultats, donc de
fait à l’abandon du travail d’identification des vestiges mis au jour.
Nous notons que l'association
Archéojurasites refuse de publier ces rapports alors qu'elle s'y était engagée.
"Ils ont rédigé un rapport que nous publieront intégralement sous une
forme qui n'est pas encore définie". Lettre d’information
ArchéoJurasites de janvier 2012). On attend encore cette publication.
Concernant la pseudo-statue de la
« déesse Alésia »
Les affirmations de D. Porte dans
la Voix du Jura sont comme d'habitude "chronologiquement
confuses". Si on tente de reprendre les choses dans l'ordre, la statue
remonterait, selon elle, "vraisemblablement à bien plus loin dans le
temps" que l'Âge du Bronze et relèverait "plus de l'art
préhistorique que de l'art gaulois" ; elle aurait été réalisée par
"des hommes de Cro-Magnon" et aurait été usée par le passage
"de quelques milliers d'années". C’est là un florilège rare d’ignorance.
Essayons donc de replacer
chronologiquement la «statue» de D. Porte.
Il y a 24 000 ans, l'emplacement
de la ville actuelle de Champagnole était recouvert de plus de 200 mètres de
glace ; seul le sommet du Mont-Rivel émergeait de ce glacier. Le territoire de
Chaux et des environs était donc lui aussi sous la glace. Le recul complet de
ce glacier a été long. La végétation à caractère très boréal mettra longtemps à
s'installer, limitant ainsi le développement de la faune et, par voie de
conséquence, l'exploration de ces contrées par les chasseurs-cueilleurs (au
passage, nous informons D. Porte que c'est à ces reconstitutions que servent
les recherches en paléoenvironnement). Ainsi donc, dans l'état actuel des
recherches, les plateaux du Jura et la Haute-Chaîne (sauf dans sa partie sud),
sont vides d'occupations magdaléniennes (Magdalénien qui se termine il y a
environ 12 000 ans) et, bien sûr, d'occupations plus anciennes. Les sites
connus pour cette époque restent à basse altitude, dans les vallées (Doubs,
Ain, Suran, Seille, Ognon...) ; dans le Jura, il faut citer Arlay et Gigny. Ces
sites ont été très largement - et sérieusement - fouillés. Les seules preuves
d'art se présentent sous la forme de quelques bâtons percés et des séries de
stries sur des outils en os. Aucune gravure. Aucune sculpture. Et bien sûr, si
des sculptures avaient été façonnées par des hommes avant cette dernière
glaciation (ce qui nous projette au-delà de 70 000 ans, donc au-delà des formes
d'art connues aujourd'hui), elles auraient été emportées par le glacier.
Pour la période suivante
(Epipaléolithique-Mésolithique), qui voit se développer les dernières tribus de
chasseurs-cueilleurs ayant fréquenté notre région, là aussi, les recherches
menées jusqu'à ce jour démontrent que les plateaux jurassiens, s'ils étaient
fréquentés, ne révèlent aucun site majeur d'habitat ; ce type de sites se
retrouve encore à des altitudes plus basses. À cette époque aussi, les
découvertes d'objets relevant de l'art sont très limitées, les plus connus et
les plus proches du Jura étant les galets peints et les galets gravés de
Rochedane (25). Quelques galets striés, quelques parures de coquillages et d'os
sont également connus. Mais là encore, pas de sculptures.
14
La période suivante est le Néolithique.
Pour se concentrer sur le Jura, de très nombreux sites y ont été fouillés. Les
plus célèbres étant ceux de Chalain et de Clairvaux-les-Lacs, proches de
Chaux-des-Crotenay. À cette période, les représentations figuratives sont
inconnues dans notre région. Il faut aller plus à l'est de l'Europe pour
trouver des sculptures de petite taille représentant des personnages. La
pseudo-statue de D. Porte ne peut donc être raisonnablement préhistorique, sauf
à imaginer que D. Porte ait identifié un modèle unique qui mériterait une
publication dans une grande revue scientifique.
La sculpture n'est en fait
qu'une merveilleuse bizarrerie de la Nature. Le lapiaz est une formation
géologique très commune – presque emblématique – sur le massif jurassien. Ces
formations sont retrouvées partout sur le territoire de Chaux-des-Crotenay et
de ses environs, comme le soulignent les rapports de visite de M. Campy,
géologue, et de Ph. Curdy, archéologue, en 2008. La "statue" n'est
que l'expression de ce phénomène géologique naturel. On trouve beaucoup de ces
pierres en Franche-Comté et elles ont longtemps été utilisées pour décorer les
jardins des pavillons des villages de la région.
Là
encore l'ignorance de D.Porte sur ces éléments a entraîné de sa part des
interprétations délirantes.
Une polémique conduite par des
amateurs.
L’ensemble du propos des
défenseurs de la thèse de Berthier est soutenu par des amateurs, certes
respectables, mais dépourvus de compétences spécifiques dans les domaines
évoqués. F. Ferrand a un DEA d’histoire moderne sur Versailles et se contente
de recycler des thèses éculées et complotistes, sans rien apporter de nouveau.
La plupart de ses ouvrages est démonté (sic) par les différents spécialistes
des périodes évoquées. L'historien Philippe Oriol, spécialiste de l'affaire
Dreyfus, commente ainsi le chapitre de F. Ferrand consacré à cet événement : «En
2008, ce fut au tour de Franck Ferrand de nous donner son point de vue sur
l'Affaire dans son Histoire interdite. Révélations sur l'histoire de France.
En trente pages qui accumulent les approximations, les erreurs et les naïvetés
(on notera le superbe : «cette pièce prendra le nom de faux Henry, ce qui nous
en dit long, déjà, sur son authenticité...»), il reprenait la thèse du
troisième homme, occasion de fustiger la «vulgate» de «l'histoire officielle.»
Ph. Oriol conclut : «Nous voulons bien qu'il y eût un deuxième, un troisième,
même un quatrième homme... Mais il faudrait pour cela développer une
argumentation plus convaincante et, comme toujours, avoir une connaissance du
dossier un peu plus sérieuse et retourner aux sources archivistiques»
(http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Faffaire-dreyfus.com%2F2014%2F08%2F09%2Flhistoire-interdite-de-franck-ferrand-la-legende-du-troisieme-homme%2F).
D. Porte est une latiniste sans
compétences archéologiques (elle le reconnaît elle-même, ce qui ne l’empêche
pas d’identifier des statues dans des blocs de calcaire brut !) et elle n’est
entourée que d’amateurs dans le domaine. Elle définit ainsi leur méthode de
travail : «Chacun a fait ce qu'il a voulu en fonction de ses propres
compétences» (Voix du Jura du 15 mai 2014). Reprenons donc la liste
de ses fameux «chercheurs et experts» : Éric de Vaulx (vétérinaire),
Régis Sébillotte (retraité des sociétés autoroutières), Yannick Jaouen (chargé
d'études dans le BTP), Bernard Gay (retraité de l'armée), Jacques Rodriguez
(professeur au Conservatoire), René Marchand (journaliste de presse
halieutique), Arnaud Lerossignol (secteur bancaire) et François Chambon (architecte),
ce dernier s’étant auto-proclamé spécialiste du LIDAR.
Attardons-nous sur ce dernier qui
a annoncé dans la presse avoir découvert par LIDAR des socles de tour du
système défensif romain. Cette affirmation qui, comme d’habitude, n’a donné
lieu a aucune publication sérieuse, est plus qu’étonnante puisque les tours
considérées n'ont pas de socle. Comme César l’indique et comme cela a été
15
vérifié par des fouilles, ces
tours sont fichées dans le remblai qui sert de muraille, elles sont en bois et
seuls les trous de poteaux qu’elles laissent permettent de les identifier. Ces
trous sont invisibles par technique LIDAR. Ce qu’à la rigueur M. Chambon
pourrait voir, c’est l’ensemble du rempart, mais pas des socles espacés de 24
mètres. Le LIDAR est une technique en développement, très compliquée à
manipuler même par des professionnels et qui, quoi qu’il en soit, ne fournit
aucune preuve si elle n'est pas confrontée à une grande connaissance des
structures observables et surtout de l’évolution de leurs vestiges dans le
temps. On notera que le laboratoire d’archéologie de Besançon, Unité Mixte de
Recherche du CNRS, possède, dans le domaine des expertises LIDAR, une
reconnaissance internationale et que, contactés par M. Chambon, ses chercheurs
ont invité ce dernier à venir présenter ses résultats. Il n’a jamais donné
suite.
Le cas de M. Chambon n’est pas
isolé. Il est impossible d’aborder scientifiquement cette question avec des
auteurs rédigeant les propos suivants : «Nous en sommes donc réduits à des extrapolations
aussi laborieuses qu’aléatoires, fondées sur des observations contemporaines»,
B. Gay, La supercherie dévoilée. On ne construit pas un argumentaire
scientifique avec des extrapolations laborieuses et aléatoires sans rien
connaître des travaux conduits par les archéologues. Et que dire de l’analyse
démographique de Yannick Jaouen, dans le même ouvrage, analyse qui extrapole la
densité du Mont Auxois à partir d’une estimation du nombre de spectateurs lors
d’un concert de …. Nolwenn Leroy donné sur l’esplanade Charles-de-Gaulle de
Lille, et qu’il conclut ainsi : «Toutefois, j’en conviens, cette
démonstration visuelle n’a rien de scientifique …». On ne peut que partager
son avis. On notera que, comme tous les «berthiéristes», Y. Jaouen décrète l’existence
d’une ville au sens moderne du terme sur le Mont Auxois, ce qui montre sa
totale méconnaissance du peuplement des oppida du Ier siècle avant J.-C.
L’essentiel des auteurs modernes
cités par les partisans d’Alésia à Chaux-des-Crotenay sont intervenus dans le
cadre de débats stériles d’une autre époque où les seules sources exploitables
étaient les textes antiques. Les contradictions entre les auteurs de
l’Antiquité ont même conduit certains érudits à imaginer deux «Alésia», comme
on avait un temps imaginé deux Cenabum (Orléans). Ce temps est révolu : aujourd’hui,
l’archéologie_n’est_ plus là pour valider des hypothèses d’historiens, comme le
pense D. Porte, mais elle est capable de produire des informations solides et
datées et des éléments d’analyse qui remettent en cause l’essentiel des connaissances
anciennes sur les Gaulois._ Balbutiante
à la fin du XIXe siècle, elle est devenue une science à part entière, avec ses
outils et ses méthodes propres.
L’ensemble du discours des
personnes qui soutiennent la localisation jurassienne n’est fondé que sur des
hypothèses sans aucun fondement
historique et archéologique. «César
va de Langres à Genève en passant par Chaux-des-Crotenay», hypothèse
invérifiable et très contestable. César écrit seulement qu’il_se porte au secours
de la «province» (la Transalpine, future Narbonnaise), sans préciser
comment il_compte s’y rendre. Tel amas pierreux devient un mu défensif, telle
zone naturelle une esplanade militaire, sauf que les fouilles conduites n’y
trouvent rien de militaire. «Le site de Chaux correspond au texte de
César», alors qu’il ne correspond, comme d’autres, qu’à un modèle élaboré
par A. Berthier.
16
En
conclusion
Nous notons que le discours sur
l’absence de fouilles relève du mythe et qu’André Berthier a bénéficié, au
contraire, d’appuis politiques, journalistiques et logistiques importants dans
le contexte des années 60 et 70.
Que les fouilles et sondages
d’André Berthier n’ont découvert que des éléments du IIe siècle après J.-C. ou
de la période médiévale, ce qui a été confirmé par tous les travaux
archéologiques réalisés depuis lors.
Que de pseudo-chercheurs tiennent
un discours sans base scientifique, décrivant de façon poétique sinon
fantaisiste des pseudo-structures archéologiques sans apporter aucune preuve
concrète pour justifier leur affirmation.
Que les défenseurs du site de
Chaux-des-Crotenay ne s’appuient sur aucune expertise scientifique et se
contentent d’hypothèses anciennes qu’ils font passer pour des vérités
historiques.
Que ces personnes ignorent les
progrès des recherches historiques et archéologiques des 30 dernières années,
alors même que celles-ci sont dûment publiées.
Que ces mêmes personnes
dissimulent sciemment des expertises sur le terrain, anglaises et
franco-suisses (2008) qui confirment les analyses des archéologues et géologues
français réalisées depuis 40 ans et qu’ils ne publient que de très courts
passages, anodins, des expertises du mobilier réalisées (par exemple, par J.-P.
Guillaumet, A. Desbat, S. Marquié, M. et J.-R. le Nézet, en 2011). Pire, malgré
ces preuves évidentes, ils continuent, au mépris de toute déontologie, à
présenter le site de la Chaux-des-Crotenay comme un site militaire du Ier s.
avant J.-C. alors que les vestiges qui s’y trouvent sont agricoles et plus
tardifs.
Ce culte du secret est
caractéristique de personnes dépourvues de pratique scientifique, qui se
satisfont de l’absence de rapport de fouille et de sondage détaillés, de
l’absence de tout enregistrement chrono-stratigraphique, ce qui est commode
pour transformer des structures médiévales, modernes ou contemporaines en
vestiges celtiques ou gallo-romains, de l’absence de toute publication
scientifique argumentée, catégorie de publication dont D. Porte et F. Ferrand
sont parfaitement incapables, faute de formation adéquate, du moins quand ils
évoquent le dossier d’Alésia.
Pour
toutes ces raisons, nous confirmons que les
différents sites de Chaux-des-Crotenay témoignent d’une occupation agricole
de l’Antiquité tardive et de l’époque médiévale
liée à la proximité de l’agglomération gallo-romaine du Mont Rivel, puis à une
seigneurie médiévale et donc au château
de Chaux-des-Crotenay. Et qu’avant d’y envisager des fouilles, il est
nécessaire d’y conduire un travail historique sur les archives et les plans anciens
afin de préciser l’histoire globale du site. Ce qu’A._ Berthier aurait dû effectuer avant d’investir de l’argent public
dans cette_ aventure _ Il est évident que les différents sites de Syam, Crans
et de Chaux-des-Crotenay- présentent un réel intérêt archéologique et
historique, comme l’ont montré les_
rapports de Ch. Méloche, et qu’ils devraient faire l’objet non seulement de
publications scientifiques, mais aussi d’une valorisation appropriée. Mais il faudrait, pour cela, monter un projet
scientifique rigoureux avec des spécialistes des périodes concernées
(médiévistes et modernistes) et cesser
de faire croire que ces sites ont un quelconque rapport avec un siège militaire
du Ier siècle avan J.-C. L’acharnement
des_ défenseurs d’une Alésia jurassienne à nier la réalité des faits porte
clairement préjudice à ces sites, qu’ils sont pourtant censés défendre, en
empêchant tout travail scientifique serein dans cette zone.
L’archéologie a en revanche
démontré, dès 1861, que l’oppidum_du Mont Auxois avait été l’objet d’un siège militaire au milieu
du 1er siècle av. J.-C. dont
les
17
vestiges nombreux, vérifiés à de
multiples reprises par des techniques diverses (dont la photographie aérienne et
des fouilles scientifiques, de grande ampleur dans les années 1990),
correspondent avec une grande précision à la description que donne César du
siège d’Alésia. Quand on ajoute que le nom antique Alesia est attesté par plusieurs
inscriptions gallo-romaines trouvées sur
le mont Auxois, on comprendra que la communauté archéologique du début du XXIe
siècle soit lassée de l’audience que la presse, et parfois même les pouvoirs
publics, accordent aux élucubrations de
Monsieur Berthier et de ses émules.
À
lire :
Grand
public
Dossier d’Archéologie n°305, Alésia. Comment un
oppidum gaulois est entré dans l’histoire, Dijon, juillet/août 2005.
REDDÉ Michel, 2003. Alésia,
l’archéologie face à l’imaginaire, Hauts-lieux de l’histoire, Errance,
Paris.
Ouvrages
et articles savants
GOUDINEAU Christian, 2001. Le
dossier Vercingétorix, Paris, Actes Sud/Errance.
GOUDINEAU Christian, 2002. Par
Toutatis ! Que reste-t-il de la Gaule ? Paris, Le Seuil.
REDDÉ Michel et VON SCHNURBEIN
Siegmar (dir.), 2001. Alésia : fouilles et recherches franco-allemandes sur
les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Paris,
Diffusion de Boccard (Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
; 22).
REDDÉ Michel et VON SCHNURBEIN
Siegmar (dir.), 2008. Alésia et la bataille du Teutoburg. Un parallèle critique
des sources, Thorbecke, 2008.
REDDÉ Michel, von SCHNURBEIN
Siegmar, BARRAL Philippe, BÉNARD Jacky, BROUQUIER-REDDÉ Véronique, GOGUEY René,
JOLY Martine, KÖHLER Heinz-Jürgen, PETIT Christophe, 1995. “Fouilles et
recherches nouvelles sur les travaux de César devant Alésia (1991-1994). Neue
Ausgraben und Forschungen zu den Belagerungswerken Caesars um Alesia
(1991-1994)”, Bericht der Römisch-Germanischen Kommission, 76, p.
73-158, pl. 25-38, cartes 1-10.
VIDAL Jonhattan et PETIT Christophe,
« L’eau sur le site d’Alésia : la contrainte hydrogéologique lors du siège de
52 av. J.-C. », Revue archéologique de l'Est, Tome 59-1 | 2010, [En
ligne], mis en ligne le 05 janvier 2012. URL : http://rae.revues.org/6500. »
________________________________________________
On remarquera sans peine
l’objectivité de cette bibliographie : aucun de nos ouvrages n’est cité,
pas même ceux d’André Berthier. Le «grand public», ainsi orienté, ne risque pas
de sortir de l’orthodoxie , ni, surtout, de vérifier la véracité des
griefs qu’on nous oppose.
Car, pour cela, il faudrait avoir lu ce que nous écrivons,
perspective devant laquelle les Alisiens, surtout les 753 commentateurs cités à
la suite de leur texte, se bouchent les yeux avec l’horreur de la vierge
outragée : «Quoi ! s’abaisser à lire trois lignes émanant de ces
débiles profonds… se peut-il ?»
Mieux vaut se rallier à la thèse
officielle. Mieux vaut éviter de se poser les questions gênantes et
essentielles qui surgissent dès la lecture des mouvements décrits par
César ; éviter, donc, de se demander pourquoi le général romain montre que
les Gaulois «escaladent les pentes
abruptes» pour atteindre «les camps des
hauteurs», puisque le camp Nord(-ouest) d’Alise, d’où ont surgi toutes les preuves matérielles
souhaitables, se trouve au pied du
mont Réa… Car, si l’on a bel et bien abandonné le pseudo-camp du Réa (tout en
le conservant dans toutes les reconstitutions cartographiques publiées) il faut
bien expliquer la présence dans son fossé des milliers de monnaies et d’armes
découvertes.
Peut-être faudrait-il y réfléchir
à deux fois avant de parler des «délires» de l’adversaire.
Vous
voilà dûment édifiés. La «révisionniste
hétérodoxe proche de Franck Ferrand» retourne retrouver Auguste. Momentanément.
Mais pas sans avoir remercié Raphaël Enthoven - pour ce qui est des aimables appréciations
publiées sur Twitter après notre entretien concernant Vercingétorix-, d’avoir
rétabli une vérité très gênante pour mes détracteurs, en révélant que leurs
commentaires fielleux avaient été postés avant
la diffusion de l’émission. Ce qui veut, hélas ! tout dire…
[1] La coïncidence entre ce nombre et la date de la fondation de Rome est amusante!
[2] La mesure est dépassée, je crois, par cette phrase fielleuse : "Franck
Ferrand, le sémillant et papillonnant journaliste qui aime à se montrer en
train de lire César dans le texte, assis dans une cabine d’hélicoptère"...
Indigne d'universitaires ou assimilés.
Danielle Porte ©
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