Rodrigue, qui l'eût cru...
… que notre humble et simple
exposition sur la thèse Berthier fût destinée à déclencher cataclysmes et
déluges ?
Il est vrai qu’elle intéresse, et
c’était bien le but recherché. Qu’elle intéresse même puissamment, si j’en
crois les réactions aux quatre ou cinq présentations que j’en ai faites, au
terme desquelles les auditeurs, debout durant plus de deux heures, posèrent tous
la même question un peu effarée : «Mais comment peut-on être assez aveugle
pour refuser pareille évidence ?» C’est bien la question que nous nous
posons tous !
Je lui ai apporté, ici et
ailleurs, quelques réponses : les intérêts économiques d’une région en
mauvaise passe et qu’il fallait remettre en selle… les intérêts
politiques et la difficulté d’assumer les cinq ou six dizaines de millions
qu’a coûtés aux Bourguignons leur beau et ruineux Muséoparc… le séisme que
risquait d’entraîner pour l’archéologie et l’histoire un changement de
datation, contraignant à réécrire tous les livres concernant l’Antiquité romaine
de la République et à revoir la datation de tous les artefacts européens
ressemblant à ceux d’Alise sainte-Reine, estampillés jusque-là : «type
Alésia, donc 52 av. J.-C.».
Mais le plus grand mystère demeure
à mes yeux l’attitude des historiens, des latinistes, bref, des intellectuels de
tout poil qui sont censés, eux, pouvoir rassembler un dossier et en examiner
les pièces, apprécier les éléments d’une démonstration, exercer leur intelligence
et solliciter leur bon sens pour comprendre, comparer et, seulement alors,
juger. Qu’ils ne tranchent pas, soit ! on ne le leur demande pas au terme
d’un simple effleurement de la question. Mais au moins, qu’ils
s’informent ! qu’ils consentent à lire ce que d’autres écrivent !
qu’ils cessent de jouer les autruches ! qu’ils fassent, enfin, un travail
d’universitaires !
Pour n’importe quel sujet de
mémoire ou de thèse, en effet, le B.A.BA du travail consiste à rassembler une
documentation, à prendre des notes sur différents aspects de la question, et
surtout à comparer les hypothèses : il me souvient d’avoir décortiqué 92
articles traitant des Argées chez Ovide, après avoir subi une cruelle
leçon : mon directeur de thèse me rendit en effet la dizaine de feuilles
sur lesquelles j’avais consigné mes idées sur la question, avec un commentaire
gentiment ironique : «Bravo !... vous avez fait du Wissowa !» Je
n’eus plus qu’à les déchirer et à me pencher sur les écrits des autres avant de
bâtir les miens. Génial, oui, Wissowa et sa théorie des Argées, mais il l’avait été avant
moi !
Donc, on doit compiler pour
comparer, et ensuite, seulement, formuler un jugement sur la question, en
histoire surtout. Mais… sauf pour Alésia. On s’en tient, sur ce sujet maudit, à
la pensée unique, celle d’une «Communauté Scientifique» sans constitution
réelle, composée des seuls chercheurs partisans d’Alise. Il existe bien, il
existe forcément, une autre communauté, celle des opposants à Alise. Mais
celle-là, n’étant pas «officielle», n’existe pas.
Or, la conviction des Alisiens ne
respecte pas les normes du travail universitaire : on affirme, sans avoir
consulté les écrits adverses, on ignore toutes les objections faites à la thèse
qu’on soutient, on va jusqu’à soupçonner les sources antiques de tricherie et
de mensonge, sans se priver soi-même de gauchir les traductions, pire, de
modifier les textes. Et, bien sûr, on omet ce qui dérange : la plaine de
3000 pas en longueur enfilée entre des collines ; toutes les péripéties du
combat préliminaire et la description de son
emplacement avec sa distance au site du siège ; la remontée de
César chez les Lingons et le combat situé «en Séquanie» par Dion ; la
métropole religieuse et la «très grande ville» qu’évoque Diodore ; les
remparts de Plutarque… Bref, on
travaille au sécateur ! On se fait son petit corpus de textes après avoir
soigneusement expurgé la véritable liste des éléments probants et déformé les
traditions manuscrites. Et c’est ce travail de charcutage et d’ajustements
tendancieux que des universitaires s’entendent pour cautionner !
Quant aux archéologues, c’est plus
déplorable encore. Ont-ils vraiment pris connaissance des résultats précis des
fouilles ? Sûrement pas. J’en publierai la liste d’ici-peu, afin qu’on
juge en connaissance de cause les fameuses «preuves indubitables» que les
fouilles d’Alise ont permis d’établir. Je les ai tous relevés dans le livre de
vulgarisation de Michel Reddé (Alésia,
l’archéologie face à l’imaginaire), mais aussi dans l’énorme Rapport de
fouilles du même M. Reddé et de S. von Schnurbein. Nous avons examiné tous ces
éléments dans notre Supercherie dévoilée,
qu’aucun Alisien, à coup sûr, ne s’est donné la peine d’ouvrir. S’ils l’avaient
ouverte, ils n’oseraient plus cautionner les fossés de 30 cm, les camps de 35
ares et même ceux de 7,9 hectares, le bas pris pour le haut et la largeur pour
la longueur, les monnaies neuves usées, les amphores et les fibules
hors-contexte, les fossés baladeurs, les pièges capricieux, les distances
aberrantes, les retranchements perdus dans la nature, les 9 km de
fortifications inutiles… tous détails – et il en est combien d’autres ! –
qui plombent le dossier « Alise » au lieu de l’étayer.
C’est si facile de se prévaloir du
Rapport de fouilles, en s’abritant derrière le nom de Michel Reddé ! Mais
l’a-t-on ouvert ? Non. Si on l’avait étudié, on se serait vite aperçu
qu’en conclusion des exposés savants et des travaux minutieusement décrits, on
tombait régulièrement sur une phrase du type : «tel élément ne suffit pas
à prouver Alésia»… sans qu’on remette en
cause pour autant la formule magique Alésia = Alise. Un seul exemple : la
grande épée gauloise, qui est reconnue appartenir à la Tène II (c’est-à-dire
dater de 320 à 260 av. J.-C.), mais dont on écrit que le rapport établi
lors de sa découverte «montre indiscutablement que cette arme a bien servi
pendant les combats de 52[1]»,
ce qui n’empêche que, p. 148-150, elle est «trop ancienne» pour faire partie du
reste du mobilier découvert à «Alésia»… Et toutes les analyses sont de la même
facture ! On ne s’étonnera donc pas de lire que le dossier napoléonien qui, en 1993,
devait être «très sérieusement contrôlé point par point», est, en 2001, «parfaitement
fiable dans ses grandes lignes[2]».
Cela, après des centaines de pages qui ont démontré, chacune, que le bât
blessait de partout.
Dans cette coupable innocence, les
Alisiens ont réagi aux copieux articles de Presse[3]
qui ont salué tant l’exposition de Château-Chalon que la conférence de Franck
Ferrand à Baume-les-Messieurs, suivie par plus de 420 auditeurs. Réagi de la
façon la plus condamnable qui soit. Donné corps, sans s’en douter, à cette «théorie
du complot» qu’on nous accuse immanquablement de «brandir». Ils ont donc osé
adresser à toutes les instances départementales et régionales, toutes les
Autorités, tous les organismes détenteurs de fonds publics et, pour que nul
n’en ignore, à de nombreux journaux, un manifeste à la fois sommant et implorant ceux qui en disposent de… ne pas gaspiller les fonds publics en les
consacrant à un site sans intérêt archéologique, pour les réserver à ces nobles
chercheurs qui ont passé des examens et des concours, qui dirigent des
laboratoires, élaborent des projets, encadrent des étudiants, dirigent des
thèses, toute la lyre.
Mais croient-ils vraiment que les
défenseurs de la thèse jurassienne sont les premiers venus ? qu’ils n’ont
pas, eux aussi, passé examens et concours, dirigé des travaux, et même publié
des livres, ce que n’ont pas fait les Alisiens, incapables de discuter de leur
thèse parce que, précisément, ils ne consentent pas à en connaître les
faiblesses faute d’avoir lu les écrits adverses ? Croient-ils qu’on
devient expert de la recherche aéro-spatiale, par exemple, qu’on conçoit
l’habitacle de la fusée Ariane, qu’on obtient le contrôle de tous les vecteurs
aériens français ou qu’on place le pont Raymond Barre sur le Rhône en claquant
simplement des doigts ?
Car la question d’Alésia est,
parmi toutes et avant tout, une question pluridisciplinaire. Il faut faire
concourir tous les savoirs et conjuguer toutes les compétences : d’abord
les données textuelles, si l’on veut savoir ce que l’on cherche, en évitant
d’adapter César au terrain qu’on a prédéfini en fonction de trouvailles
archéologiques anciennes ; puis des compétences complémentaires et
indispensables : historiques, destinées à délimiter un contexte et
expulser les anachronismes ; géographiques pour tracer un cadre et
cartographiques pour l’exprimer concrètement ; militaires évidemment, avec
notions de polémologie antique ; architecturales, hydrauliciennes, pour
vérifier les vestiges apparents et les inclure dans le tableau ou les en
exclure. Enfin, seulement, vient l’archéologie, qui mettra au jour les
structures cachées et les artefacts témoins de l’événement qu’on recherche ou
adventices et hors chronologie. En cas d’impossibilité de fouilles, comme c’est
le cas pour l’Alésia jurassienne, le recours à l’archéologie non intrusive et
aux révélations dues aux procédés modernes : Lidar, magnétométrie,
géoradar, qui demandent des techniciens hautement spécialisés. Enfin,
l’archéologie. Elle a son mot à dire, mais pas tout de suite, pas à
l’aveuglette, pas sans contrôle. Et ne devrait pas ignorer superbement, comme
c’est le cas, les autres disciplines. Ni faire bon marché des textes s’ils
contrarient ses trouvailles. C’est là scier sa branche, et même son tronc, au
ras du sol et plus profond encore.
Et puis, couronnant le tout, l’exercice du bon
sens, apanage de tout un chacun ou qui devrait l’être, et supplante tous les
savoirs : s’apercevoir, par exemple, qu’on ne peut faire tenir sur 97
hectares 95000 guerriers dont 15000 chevaux et la population d’une «très grande
ville» avec ses bâtiments, ses troupeaux et leurs pâturages, outre ceux,
nombreux, que les Mandubiens avaient réunis en prévision du siège, les champs
de blé, les lieux sacrés… ; se demander pourquoi César écrit que les
Gaulois «escaladent les pentes» puisque le camp Nord alisien est au pied du
Réa…
Dès lors, intervient l’esprit critique. Mais
surtout pas d’esprit critique dans la communauté des Alisiens ! Leur seule
conviction tient en huit mots, que tous répètent comme un seul homme sans avoir
ouvert le dossier : «Alésia ne peut être qu’Alise sainte-Reine.» Leur credo ne s’appuie sur aucune étude
scientifique ni sur aucune observation de simple bon sens. Ils croient, avec la
foi du charbonnier.
Mais ce qui sied au charbonnier
n’est pas compatible avec un travail universitaire, qui exige, lui, discussion,
donc réflexion, donc connaissance. «Les fouilles ont démontré que…», l’éternelle
antienne, n’est pas la conclusion d’une recherche scientifique, puisque aucun
des articles de foi alisiens n’est jamais contrôlé. Refus de répondre à nos
questions, dérobades lors des propositions de colloques et de
débats… D’ivoire ou de papier, leur tour ne craint rien, tant qu’ils refusent
le combat.
Ne
pouvant argumenter, donc, ils essaient d’intimider et d’impressionner. Vingt archéologues bisontins, ont
co-signé ce manifeste, tous hautement titrés, en des laboratoires aux noms plus
prestigieux et plus abscons les uns que les autres : paléoenvironnement… archéologie spatiale et géomatique…
chrono-environnement… En guise de bibliographie : quatre ouvrages, deux de
M. Reddé et deux de Ch. Goudineau. Oui, vraiment, la Pensée Unique, ses pompes
et ses œuvres.
Leur
texte est long, verbeux, fourmillant de détails inutiles et risque fort de
tomber des mains de ses destinataires. Je l’ai relégué en annexe. On dirait
volontiers ; Avocat, ah !
passons au Déluge ! Il affirme, il dénigre, il insulte mais il ne
prouve rien. Dans l’ignorance où sont ses auteurs des réalités jurassiennes,
ils confondent statuaire gauloise et orthostates proto- voire préhistoriques,
ils s’imaginent que nos murs cyclopéens sont bel et bien les «murets agricoles»
que M. Reddé prétend, dans un film, avoir vus chez nous et, de ce fait, affirment
que ces murs «manifestent avec éclat (mon) ignorance». Qu’on me donne le
gabarit des paysans jurassiens qui manièrent ces blocs, simplement pour
délimiter leurs prairies !
et,
pour donner l’échelle, ce mur visité par Franck Ferrand, qui, lui,
est venu, a vu et, si Dieu le veut,
vaincra :
******
Puisqu’on
faisait jouer les titres, je soumis à mes collègues de Paris IV-Sorbonne le
texte bisontin, sans leur demander leur sentiment sur la localisation d’Alésia,
mais simplement sur l’élégance du procédé. Les réponses furent unanimes à le
condamner. «Inadmissible»… «inacceptable»… «bêtise incommensurable»… «absurdité
totale»… «scandaleux»… «franchement comique tellement il constitue une caricature
de l’argument d’autorité»… «les jugements d'autorité et plus encore
les tentatives d'intimidation sont inacceptables»… «C’est
dans leur nature à ces directeurs du CNRS de faire taire toutes thèses
contraires aux leurs»… «l'honnêteté intellectuelle n'est pas la qualité
la plus enseignée dans les universités». Et, en plus vigoureux : «un
ramassis d’abrutis qui commencent à sentir le roussi»… Je ne donne pas les
noms, de peur de déclencher une seconde guerre de Troie entre archéologues et
latinistes-historiens, mais je puis attester de leur qualité. D’ailleurs, ils
ont tous écrit directement leur façon de penser au collectif d’archéologues.
Parmi les causes de cette agressivité mal étouffée
et toujours renaissante, semperuirens auraient dit nos ancêtres, n’y aurait-il
pas une sorte de paresse intellectuelle ? Revenir sur la chose jugée…
quelle fatigue et quel ennui !
Cela ne date pas
d’hier :
«Que ne pouvons-nous voir ce qui se passe
dans l'esprit des hommes lorsqu'ils choisissent une opinion! Je suis sûr que si
cela était nous réduirions le suffrage d'une infinité de gens à l'autorité de
deux ou trois personnes qui, ayant débité une doctrine que l'on supposait
qu'ils avaient examinée à fond, l'ont persuadée à plusieurs autres par le
préjugé de leur mérite, et ceux-ci à plusieurs autres qui ont trouvé mieux leur
compte, pour leur paresse naturelle, à croire tout d'un coup ce qu'on leur
disait qu'à l'examiner soigneusement».
Il a déjà tout compris, Pierre Bayle, dans ses Pensées
sur la comète, en 1680[4]…
Elle a tout compris aussi, l’agrégée de
grammaire Ève-Marie Halba, dans un texte ineffable et délicieux envoyé par un
archiviste néerlandais :
«BASSE COUR UNIVERSITAIRE
Le monde universitaire est peu médiatisé. Son mode
de vie est pourtant digne d'intérêt : poussin, poulet et coq doivent suivre des
règles immuables pour la survie de l'espèce.
Le poussin doit choisir la cour d'un coq de renom
(le professeur en titre) qui orientera sa formation de poulet et son ascension
professionnelle. En échange, notre poussin sera d'un total dévouement et d'une
parfaite docilité.
Un bon coq sait se faire craindre des autres cours
: il étourdit de ses chants tous les conseils et commissions pour faire
admettre son favori. Il obtient que, lorsque le "poulet" soutient sa
thèse, il soit nommé dans la basse-cour "maître de conférence".
Le pouvoir du vieux coq ne s'éteint qu'à la fin de
sa carrière : c'est pourquoi il la prolonge jusqu'au dernier moment et tente
jusqu'à cette date fatidique de régner sans partage. La basse-cour se prépare
alors à se disputer le trône : le digne
héritier répètera le système à l'envi.
L'université est-elle condamnée au clientélisme ? En
matière de clonage, la génétique a émis des lois de bioéthique, quelles sont
celles de l'université ?»
Oserait-on écrire que «les volailles
se serrent les coudes ?» Ce serait peut-être une des clefs de
l’acharnement que montrent les archéologues et certains universitaires contre
la thèse Berthier, soutenue par des électrons libres ou des francs-tireurs ;
ou des chercheurs marginaux qui, venus dans le sérail sans y être nés, en ont
compris le système et s’en sont vite écartés. Nourri dans le sérail, j’en connais les détours… Toujours
d’actualité, Racine !
S’unissent
donc pour la défense et illustration d’Alise, des intérêts foncièrement
opposés : les honneurs et l’argent. Ou plutôt, les universitaires, à cause
de leur prestige, sont embauchés au service du tourisme.
Car, me l’écrit un collègue de la
Sorbonne, étruscologue, d’autres localisations ont été contestées sans soulever
la rage de ceux qui avaient adopté l’emplacement officiel :
«J'avoue ne pas
comprendre l'âpreté de cette polémique ; il y en a toujours eu en archéologie
(mon maitre R. Bloch a longtemps soutenu que la Volsinies étrusque était à
Bolsena, alors que l'on admet aujourd'hui qu'elle était à Orvieto = Vrbs Vetus.
Bolsena, qui a récupéré le nom, étant la ville romaine, aprés défaite et
déportation des habitamts ; mais il n'a jamais étè vilipendé comme vous l'êtes,
toi et tes amis). Est-ce parce qu'il y a des crédits importants en jeu ?»
Question,
bien sûr, cruciale, celle des subventions et des flots d’argent que draine, en
dépenses comme en recettes, le Muséoparc. Mais elle devrait intéresser plutôt
les économistes, les responsables financiers et politiques. Pour les
universitaires, je m’interroge moi-même, estimant, bien naïvement sans doute,
qu’ils doivent et se doivent d’être sourds au «bruit de l’ardent métal», comme
chante Méphisto dans Faust. Je préfère chercher la clef de leurs songes dans
l’obsession de la carrière. On ne va pas contre les maîtres à qui l’on doit
tout, on se tient coi, même si l’on est persuadé qu’Alise n’est pas Alésia (je
pourrais citer au moins cinq noms de hauts responsables qui l’ont avoué sous le
sceau du secret, tout en menant les révoltes des Alisiens, ou l’ont dit un peu
trop haut près d’oreilles amies) et l’on courbe le dos, fût-ce avec mauvaise
conscience.
Oui,
d’autres controverses agitent, ailleurs, les questions de lieu. Qu’on songe, me
souffle notre architecte-polémologue-interprète-Lidar, à la bataille célèbre de
Teutobourg, en 9 ap. J-C., qui vit l’anéantissement des trois légions de
Quintilius Varus, motiva la douloureuse colère d’Auguste et entraîna, selon
moi, l’exil d’Ovide. Sept cents
localités s’en disputaient la gloire, jusqu’au moment où l’emplacement
officieux, qui réunissait tous les critères, supplanta l’officiel et connut
l’honneur d’être inauguré par la Chancelière en personne. En Allemagne,
apparemment, l’on peut s’exprimer sans que la controverse dégénère en lutte au
couteau.
Et
surtout, sans qu’on prétende lutter en ôtant son couteau à son adversaire.
Comme l’écrit Colette
Bérard : «Dans le naufrage du Titanic, les musiciens en
tenue continuaient de jouer. Ce qui avait quand-même plus d'allure.»
***
À propos de guerre, ou des synonymes qu’admet le
mot, notre exposition et sa conférence eurent un résultat plus positif, que
l’affaire du manifeste, relayé par la Presse, a relégué au second plan :
le DÉBAT !
Oui,
on ne rêve pas : le dé-bat. Le dé-bat attendu, souhaité, de plus en plus
frénétiquement, depuis quarante années…
Il
nous fut offert, le surlendemain de la conférence, par un cartel qu’adressait
M. François Sauvadet, ex-ministre, grand partisan d’Alise, à Franck
Ferrand : un débat ouvert, public, en présence d’archéologues et
d’historiens… En-fin Sisyphe allait pouvoir laisser son rocher… et s’ennuyer
ferme, dès l’instant où il n’aurait plus à le pousser. Mais ne boudons pas
notre plaisir !
C’est
le Bien Public qui se fit messager de
l’événement :
«Dijon,
le 17 mai 2016
Communiqué de
presse de François SAUVADET
Invitation à M. Franck FERRAND de venir visiter et débattre
au MuséoParc Alésia
Suite aux remarques tenues ce week-end par le journaliste
Franck FERRAND sur le MuséoParc Alésia, François SAUVADET, ancien Ministre,
Député de la Côte-d’Or et Président du Conseil Départemental a tenu à le
convier à venir débattre sur le site du MuséoParc,
à Alise-Sainte-Reine.
Comme il lui en avait fait la proposition en 2016 lors de l'ouverture du site, François Sauvadet a adressé, ce jour, un courrier à Franck Ferrand, afin de lui proposer un débat public ouvert sur la localisation du site de la bataille d'Alésia.
Cet échange se fera en présence d'archéologues et d'historiens qui seront invités à venir échanger sur ce sujet qui fait partie du mythe d'Alésia. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une partie de la scénographie du Centre d'Interprétation lui est consacrée.
(...)
Une invitation à laquelle le journaliste a répondu dans la journée sur son compte Twitter : "François Sauvadet me propose un débat ouvert au Muséoparc Alésia ; mieux vaut tard que jamais. J'accepte donc avec joie."
Ce sera donc un duel en forme qui réglera, espérons-le, la question d'Alésia.
Mais l'hydre à vingt têtes visibles et cent autres cachées se tortillera très probablement de toutes ses écailles. En prolongeant ainsi pour nous les affres et les délices de la recherche et du combat.
Nous devrons donc modifier quelque peu notre leit-motiv habituel, "Avec Alésia on ne s'ennuie pas"... en : "Même morte au combat, Alise est toujours là" !
Mais nous aurons eu enfin la parole, et c'est là l'essentiel.
Comme il lui en avait fait la proposition en 2016 lors de l'ouverture du site, François Sauvadet a adressé, ce jour, un courrier à Franck Ferrand, afin de lui proposer un débat public ouvert sur la localisation du site de la bataille d'Alésia.
Cet échange se fera en présence d'archéologues et d'historiens qui seront invités à venir échanger sur ce sujet qui fait partie du mythe d'Alésia. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle une partie de la scénographie du Centre d'Interprétation lui est consacrée.
(...)
Une invitation à laquelle le journaliste a répondu dans la journée sur son compte Twitter : "François Sauvadet me propose un débat ouvert au Muséoparc Alésia ; mieux vaut tard que jamais. J'accepte donc avec joie."
Ce sera donc un duel en forme qui réglera, espérons-le, la question d'Alésia.
Mais l'hydre à vingt têtes visibles et cent autres cachées se tortillera très probablement de toutes ses écailles. En prolongeant ainsi pour nous les affres et les délices de la recherche et du combat.
Nous devrons donc modifier quelque peu notre leit-motiv habituel, "Avec Alésia on ne s'ennuie pas"... en : "Même morte au combat, Alise est toujours là" !
Mais nous aurons eu enfin la parole, et c'est là l'essentiel.
© Danielle Porte
******
Texte du manifeste
adressé, le 31 juillet 2016, «par courrier postal à tous les élus du
Conseil Général du Jura, les élus directement concernés du Conseil Régional
Bourgogne Franche-Comté, les maires des communes jurassiennes concernées (Chaux-des-Crotenay,
Champagnole, Equevillon, Saint-Germain-en-Montagne, Salins-les-Bains), le
directeur de la DDT du Jura… Nous pensons contacter d'autres médias».
Alésia
n’est pas dans le Jura….
En
1855, Alphonse Delacroix émit l’hypothèse que la bataille d’Alésia s’était
déroulée autour du village d’Alaise (25). Il y consacra une grande partie de sa
vie, effectua de nombreuses fouilles qui révélèrent un habitat fortifié et
plusieurs nécropoles… datant du premier âge du Fer (entre environ 600 et 450
avant notre ère). Quoique les plus fervents défenseurs de cette thèse aient
reconnu leur erreur, le plaidoyer en faveur d’Alaise reprit de plus belle en
1922, attisé par Georges Colomb (plus connu sous le pseudonyme de Christophe,
le père de la Famille Fenouillard et du Sapeur Camember) : elle tombe alors
dans le domaine de la polémique folklorique. Finalement, des fouilles
effectuées à Alaise de 1952 à 1954 et publiées dans la Revue Archéologique de l’Est confirmèrent l’indéniable intérêt
protohistorique (âges du Bronze et du Fer) du site, mais l’absence d’occupation
de l’époque gauloise. Alaise ne pouvait donc pas être Alésia.
Il y a
une vingtaine d’années, la traversée de la ville de Salins-les-Bains permettait
encore d’apercevoir quelques slogans affichés sur les vitrines : "Salins =
Alésia". Comme la précédente - et comme les nombreuses autres - cette
théorie était portée par quelques érudits locaux qui fondaient leur
raisonnement sur une interprétation du texte de César La Guerre des Gaules, et notamment sur les descriptions
topographiques qui s’y trouvaient. De plus, les sites archéologiques
exceptionnels proches de Salins, comme les nécropoles de la Forêt des Moidons
et le camp de Château-sur-Salins, soulignaient encore pour ces érudits
l’importance des lieux. Or, les travaux anciens et plus récents sur ces sites
ont montré très clairement qu’ils datent de l’âge du Bronze et surtout du début
de l’âge du Fer, mais aussi du Moyen Âge pour Château-sur-Salins. En dépit de
recherches assidues et approfondies sur ce secteur, les témoins d’occupation de
l’époque gauloise y restent timides et contredisent l’hypothèse ancienne
Salins/Alésia. Aujourd’hui, les slogans ont disparu et cette théorie semble,
elle aussi, abandonnée.
Se
fondant sur des arguments tour à tour historiques, géographiques,
philologiques, toponymiques ou politiques, plus d’une vingtaine de sites
concurrents ont ainsi été proposés, avec comme point commun l’absence de
dossier archéologique un tant soit peu tangible. Outre les deux exemples décrits,
on peut ajouter : Guillon (89), Eternoz (25), Mandeure (25), Novalaise (73),
Authezat (63), Izernore (01), Alès (30)…, et bien sûr aujourd’hui
Chaux-des-Crotenay (39). Une multitude de concurrents, soutenus par des érudits
locaux, des associations, des collectivités locales, des élus… qui trouvaient
parfois des appuis universitaires et médiatiques. Comme Alaise et Salins, ces
localisations d’Alésia disparaissent ou apparaissent au gré du charisme et de
l’opiniâtreté des personnalités qui les défendent.
Aujourd’hui,
l’ensemble des archéologues français et étrangers considère que tout concourt
pour faire des vestiges datés du milieu du Ier siècle avant notre ère,
découverts à Alise-Sainte-Reine (21) et dans ses environs, les preuves
indiscutables que ces lieux ont été le siège de la bataille d’Alésia relatée
par César dans La Guerre des Gaules.
Depuis
l’époque antique et médiévale, Alise-Sainte-Reine est connue pour être le siège
de cette célèbre bataille. Des textes du haut Moyen Âge confirment que l’agglomération
d’Alise se nommait alors Alésia. C’est le cas de la vita sancti Germani, écrite vers 480 par Constance de Lyon, qui
évoque un premier voyage de Germain, qui se déroule vers 430 : il emprunte un
trajet d’Auxerre à Alésia (“in
alesiensi loco”), puis la Saône en direction de Lyon et Arles. Au cours
d’un second voyage qui a lieu en 448, Germain part d’Auxerre, passe à Alésia,
puis sur le territoire d’Autun ; il traverse des cités gauloises non précisées
avant de franchir les Alpes, passer par Milan et atteindre Ravenne. Au IXe
siècle, Hoeric d’Auxerre signale encore l’antique renommée de la ville
"célèbre par le siège qu’y fit César". Les érudits de la Renaissance
défendent encore cette idée. En 1760, soit un siècle avant le début de la polémique,
une inscription sur pierre en langue gauloise est découverte à
Alise-Sainte-Reine. Sa traduction donne : "Martialis, fils de Dannotalis, a donné cette crypte (?) pour Ucuetis,
avec (ou / et pour) les forgerons qui façonnent [la statue d’] Ucuetis à
Alisiia". Le fait que la ville antique d’Alise-Sainte-Reine
s’appelait à cette époque « Alésia » n’est donc pas discutable.
L’intérêt
du site archéologique d’Alise-Sainte-Reine a conduit, en 1990, plusieurs
universités françaises et allemandes à développer un programme commun de
recherche. Ce programme, piloté par Michel Reddé (directeur d'études à l'École
pratique des hautes études) et Siegmar Von Schnurbein (Professeur à
l’Université de Frankfurt-am-Main), s’est étendu sur les années 1991-1997
autour de quatre axes : 1. reprise de l’étude du mobilier trouvé lors des
fouilles anciennes ; 2. analyse des données nouvelles offertes par la
prospection ; 3. mise en oeuvre de fouilles de vérification à grande échelle ;
4. publication des résultats.
On sait
que l’agglomération fortifiée d’Alésia, édifiée sur le Mont-Auxois dans les
années 100 avant notre ère, est le centre vital d’un petit territoire dont
l’identité culturelle a été bien mise en évidence par les recherches récentes
(à partir des faciès céramiques et monétaires notamment). Les contours de ce
territoire sont pérennisés à l’époque romaine dans ceux du pagus alisiensis, d’abord intégré à
la cité des Lingons, puis à celle des Eduens. Initialement oppidum, Alésia se transforme à
partir du changement d’ère en agglomération gallo-romaine, suivant un processus
bien connu désormais. C’est finalement une des nombreuses agglomérations
d’origine gauloise qui prospèrent au Haut-Empire, tant en Bourgogne qu’en
Franche-Comté : Alise-Saint-Reine/Aliisia,
Mâlain/Mediolanum, Vertault/Vertillium, Nuits-Saint-Georges,
Mandeure/Epomanduodurum,
Lons-le-Saunier, Grozon …
L’agglomération
et le territoire d’Alésia/Alise-Sainte-Reine font partie des sites les mieux
étudiés actuellement par l’archéologie. Les multiples fouilles menées depuis la
fin du XIXe siècle sur la colline du Mont-Auxois ont permis de restituer
l’organisation d’une agglomération, fouillée sur près de 40% de sa surface. Les
clichés obtenus par les prospections aériennes et les images issues des mesures
géophysiques sont très nombreux et de grande qualité : ils révèlent de façon
précise les vestiges d’occupations anciennes, tant au sommet du Mont-Auxois que
dans la campagne environnante. Les différents quartiers de la ville
gallo-romaine, ses monuments, ses axes de circulation, ses accès, les
fortifications gauloises se distinguent parfaitement. Les clichés aériens
permettent également de visualiser avec une très grande précision les
dispositifs de siège décrits par César permettant d’isoler l’oppidum gaulois et de se protéger des
éventuelles armées de secours, les fameuses contrevallations et
circonvallations. Certains clichés permettent même de déceler des détails
particuliers des dispositifs césariens, tels que des éléments des systèmes
d’entrée des camps (tutulus et clavicula de l’entrée nord du Camp
C), les fondations des tours qui rythment l’agger (talus) édifié à l’arrière des fossés des lignes
d’investissement construites par César ou encore les étroites tranchées de
fondation de défenses avancées. L’archéologie révèle également la structure des
camps romains et des fortins cernant l’oppidum,
dont la physionomie générale correspond assez précisément à celle du siège de
Numance, par Scipion Émilien, en 134-133 avant notre ère. Les terrassements
reconnus, et notamment la présence de deux lignes de défenses caractéristiques,
sont d’ailleurs les plus importants vestiges de cette période et de ce type
connus en Gaule. Au passage, la qualité et la précision des relevés
topographiques effectués à la fin du XIXe siècle, sur commande de Napoléon III,
ont été largement confirmées.
Le
mobilier découvert en fouille est lui aussi très parlant. Il confirme que le
site a bien été le lieu d’une bataille entre Gaulois et Romains. Les armes
découvertes (casques, fers de lance, pila,
épées, éléments de boucliers …) appartiennent aux panoplies militaires gauloise
et romaine du Ier siècle avant notre ère, telles qu’elles peuvent désormais
être restituées grâce aux travaux des spécialistes de cette période. Les
nombreuses monnaies découvertes datent dans leur immense majorité du milieu du
Ier siècle avant notre ère. Les mors de bride équipaient les chevaux gaulois.
Les clous de chaussures proviennent d’équipements romains comme les fragments
de toile et piquets de tente, de meules et de louches… De plus, ces données
confirment l’origine des protagonistes. L'analyse des restes osseux et
dentaires de chevaux retrouvés sur le lieu de la bataille a montré la
coexistence de plusieurs espèces de chevaux correspondant aux variétés
morphologiques de chevaux présents à cette époque en Italie, en Gaule et en
Germanie. Un umbo circulaire de bouclier, isolé, pourrait peut-être aussi
révéler la présence d’auxiliaires germaniques. Celle de légionnaires romains
est attestée par les nombreuses amphores à vin de type Dressel 1B, produites en
Campanie ou en Étrurie. On mentionnera également la présence de balles de
fronde en plomb, dont deux portent une estampille T.LABI, abréviation du nom
d’un des principaux légats de Jules César, Titus Labienus. Le faciès d’armes de
jet (pointes de flèches, traits de catapulte …) et de fragments d’équipement
militaire romain mis en évidence à Alise-Sainte-Reine trouve des
correspondances très précises sur d’autres sites des batailles menées par César
explorés ces dernières années (Merdogne/Gergovie, Le Puy-d’Issolu/Uxellodunum, notamment).
Il est
donc certain qu’une grande bataille, appuyée sur un siège, a eu lieu au milieu
du Ier siècle avant J.-C. autour de cette ville fortifiée, dont on sait par
ailleurs qu’elle se nommait Alésia. La présence de l’armée romaine de César est
certaine, comme l’indiquent les éléments mobiliers et la mention du général
Labienus.
Devant
l’ensemble de ces éléments, pourquoi existe-t-il donc encore aujourd’hui un
débat pour refuser d’interpréter, malgré l’évidence, ces éléments, comme ceux
du siège d’une ville nommée Alésia et décrit par César dans ses commentaires
sur la Guerre des Gaules ?
Depuis
les années 1860, une polémique s’est développée, remettant en cause la
localisation traditionnelle et jusque là consensuelle de la bataille d’Alésia.
Napoléon III, empereur des français entre 1852 et 1870, est féru d’histoire. Il
veut écrire un grand ouvrage sur Jules César, son idole. Pour cela, il va
mettre en action les services de l’État pour repérer et fouiller les sites de La Guerre des Gaules, dont bien sûr
Alésia. Ces travaux archéologiques napoléoniens, de premier ordre, livrent le
plan de fortifications d’époque césarienne et mettent au jour un matériel
permettant de définir la fonction des différents sites fouillés et d’avancer
une datation fiable.
L’élément
déclencheur de la polémique à propos d’Alésia réside dans l’exploitation
politique de cet épisode de La Guerre
des Gaules par le Second Empire. Napoléon III fait de cette bataille
l’origine de la nation française. La surexploitation politique du site atteint
son paroxysme dans la fameuse statue de Vercingétorix où Napoléon III apparaît
sous les traits du chef gaulois. Les fondements de cette polémique sont en fait
multiples : différents politiques exacerbés à la suite de l’effondrement de la
France lors de la guerre franco-allemande de 1870-1871 ; développement des
recherches locales et des sociétés savantes qui veulent valoriser leur
patrimoine local ; développement des micronationalismes (folklore et
régionalisme) ; complot supposé de l’État et de la "Faculté"
entretenu par des militants politiques et/ou des universitaires ainsi que des
journalistes en mal de reconnaissance ; vieille opposition culturelle entre
Bourgogne et Franche-Comté, réactivée récemment par la fusion des deux
régions... De multiples sites concurrents sont alors inventés en Franche-Comté
et ailleurs, en s’appuyant sur deux arguments : la toponymie (Alaise dans le
Jura, Alès dans le Gard, …) et sur les descriptions géographiques imprécises de
César, en particulier sur une discussion du texte mentionnant le passage des
troupes « aux confins » ou « à travers le territoire des Lingons en direction
des » ou « chez les Séquanes » (… cum
Caesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret…, De bello Gallico, VII, 66, 2).
Au
début de 52 avant Jésus-Christ, il reste à César à stabiliser la région pour
protéger les territoires romains de la Provincia,
la Gaule Transalpine, future Gaule Narbonnaise. Dans ce sens, le général Labienus
est chargé de mater les peuples du Bassin parisien et de Belgique, révoltés à
la suite des Sénons et des Carnutes. Il écrase les armées coalisées à Lutèce.
En juin 52 avant J.-C., après la défaite de Gergovie, César paraît avoir perdu
la partie ; il cherche alors à rallier les légions de Labienus qui, depuis
Lutèce, remontent la Seine et l’Yonne. César veut sauver son armée et ses
bagages dans cette retraite en direction de la province par la vallée de la
Saône, à travers le territoire des Lingons, un des seuls peuples à lui être
resté fidèle. Vercingétorix tente de lui couper la route pour remporter une
victoire complète… et qui serait prestigieuse pour lui. Il lance toute sa
cavalerie alors que César remonte la vallée de l’Armançon (sud-ouest du territoire
lingon), mais il est défait et doit se réfugier non loin de là, dans un oppidum mineur : Alésia. Nous sommes
dans les premiers jours d’août 52 avant notre ère… En septembre, une armée
levée par les Gaulois vient au secours de Vercingétorix. César, qui est pris en
tenaille, entreprend les importants travaux de fortifications que l’on connaît
qui lui permettront à la fois de se protéger de cette armée de secours et de
contenir les troupes de Vercingétorix à l’intérieur de l’oppidum d’Alésia. Après un siège de
plusieurs semaines et des batailles à l’issue incertaine, les Gaulois finissent
par jeter les armes.
Grâce à
cette victoire, César peut se glorifier d’avoir ramené la paix en Gaule. Cette
paix promet la poursuite d’un commerce lucratif car il doit s’enrichir, d’abord
pour ses besoins personnels, et surtout pour contrôler et payer ses légions. Le
retour de la paix magnifie l’action de César auprès des citoyens romains et lui
permet d’acquérir une aura politique et militaire que possèdent déjà ses concurrents
pour le pouvoir, en particulier Pompée. Il doit pour cela faire entériner
l’importance des moyens qui lui ont été confiés : "l’ennemi était vraiment
puissant et très dangereux pour le monde romain…". Il doit aussi faire
accepter la longueur de la conquête et l’importance des pertes subies. Il doit
répondre aux attentes des Romains, valoriser leur civilisation et leur armée
face aux "barbares" gaulois. Ainsi, les descriptions que César donne
de cette campagne militaire sont souvent exagérées et peu précises dans les
détails. Il ne fait pas oeuvre de géographe mais de reporter et surtout de
propagandiste. Il s’adresse à des lecteurs romains qui ignorent et se moquent
de la topographie, des moeurs et de la géopolitique locale. Les positionnements
topographiques sont souvent vagues : une colline avec une ville… deux rivières
et une plaine… des collines autour… vers le nord, une grande colline… Cette
description correspond à bien des lieux dans le centre-est de la Gaule !
Cette
polémique sur le texte de César, particulièrement sur les descriptions
topographiques, est un débat d'un autre siècle qui n'a fait que tourner en
rond, repris et adapté aux contraintes locales de "leur" site par
tous les partisans de tous les pseudo-Alésia. Les données archéologiques, les
structures mises au jour comme le matériel découvert démontrent sans conteste
qu’Alésia se trouve à Alise-Sainte-Reine… et pas dans le Jura ! Tous les plus
grands experts internationaux de cette période reconnaissent la qualité des
travaux menés à Alise-Sainte-Reine. De quelle expertise les défenseurs de la
localisation d’Alésia à Chaux-des-Crotenay peuvent-ils se prévaloir ?
De ce
point de vue, le meilleur plaidoyer pour ruiner l’hypothèse d’Alésia à
Chaux-des-Crotenay se trouve dans les considérations de Danielle Porte sur un
prétendu rempart et sur des blocs de calcaire brut interprétés comme des
statues (Canal+, décembre 2008) : ce qui manifeste avec éclat son ignorance à
la fois des murs de soutènement édifiés par les agriculteurs depuis des
siècles, de la statuaire gauloise, mais aussi de la géologie locale. Par
ailleurs, la clouterie retrouvée sur le site ne comporte aucun vestige gaulois
ou antique. À trop vouloir prouver, on ne prouve rien et on se couvre de
ridicule.
C’est
toutefois indiscutable : Chaux-des-Crotenay a sur son territoire des sites
archéologiques… comme presque toutes les autres communes du Jura. Les
différentes fouilles qui y ont été conduites ont permis de découvrir plusieurs
sites, en particulier un établissement rural antique et médiéval, dont le
mobilier (une clé en bronze, de la céramique) ne présente pas de caractère
militaire. Absolument rien ne justifie que des fonds publics financent des
recherches dans cette commune plutôt que dans ses voisines. Si les défenseurs
d’Alésia à Chaux-des-Crotenay cherchent un site archéologique à défendre et à
financer, ils ont à quelques kilomètres de chez eux et au dessus de Champagnole
l’important complexe gaulois et gallo-romain qui englobe le Mont Rivel et les
communes de Saint-Germain-en-Montagne et d’Équevillon : ce site mériterait
indiscutablement d’être réinvesti par une archéologie moderne et les résultats
pourront faire l’objet d'une mise en valeur qui attirera certainement un large
public. Il s’agit en effet là d’un couple associant un authentique oppidum gaulois avec des vestiges
nombreux et une agglomération de plaine (Saint- Germain-en-Montagne) fondée au
IIe siècle avant notre ère au plus tard, tous deux encore occupés jusqu’à la
fin de l’époque romaine, à l’image de ce que l’on connaît à
Alise-Sainte-Reine.
Les
signataires de cet article ont passé des concours très sélectifs pour entrer
dans l’université ou des organismes de recherche spécialisés, puis pour accéder
aux différents grades offerts à leur fonction. Tout au long de leur carrière,
elles ou ils ont soumis au jugement de nombreux spécialistes français et
étrangers des ouvrages et des articles scientifiques pour que ces spécialistes
les critiquent et proposent des corrections afin d’arriver à une version scientifiquement
satisfaisante. Toutes et tous ont construit des programmes de recherche
complexes qu’elles ou ils ont soumis à des organismes pour obtenir des
financements, organismes qui ont fait appel à des experts (le plus souvent
étrangers) afin de sélectionner les projets qui seraient effectivement financés
(pour donner une idée de la difficulté de l’exercice : moins de 10 % des
projets déposés à l’ANR = Agence Nationale de la Recherche, obtiennent des
financements). Toutes et tous ont présenté leurs travaux lors de réunions et de
colloques internationaux. Toutes et tous ont enseigné devant des centaines
d’étudiants, encadré des mémoires de master et dirigé de nombreuses thèses. Un
grand nombre ont dirigé et dirigent encore des équipes et des laboratoires de recherche,
administrent la recherche de notre pays dans l’enseignement supérieur, des
organismes de recherche comme le CNRS, les ministères…
Si l’on
en croit les détracteurs de la thèse Alise-Sainte-Reine/Alésia, tous ces
acteurs majeurs de la recherche archéologique et historique française se
tromperaient ! Pire encore, ils seraient la main armée d’une conspiration
ourdie par on ne sait quel pouvoir…
Soyons
sérieux !
Juillet 1016
François
Favory, professeur émérite d’histoire ancienne et archéologie gallo-romaine,
université de Bourgogne Franche-Comté, Besançon
Hervé
Richard, directeur de recherche, paléoenvironnement, CNRS-université de
Bourgogne Franche- Comté, Besançon
Pierre
Nouvel, Maître de conférences d’archéologie gallo-romaine, université de Bourgogne
Franche- Comté, Besançon
Philippe
Barral, professeur d’archéologie protohistorique, université de Bourgogne
Franche-Comté, Besançon
Anne-Marie
Adam, professeure émérite d'archéologie, université de Strasbourg
Stephan
Fichtl, professeur d'archéologie, université de Strasbourg
Emilie
Gauthier, professeure d’archéologie et paléoenvironnement, université de
Bourgogne Franche-Comté, Besançon
Vincent
Guichard, archéologue spécialiste de protohistoire européenne, directeur de
l'établissement public de coopération culturelle de Bibracte
Jean-Paul
Guillaumet, directeur de recherche émérite, expert pour l’étude du matériel
métallique des sites de Chaux-des-Crotenay, CNRS-université de Bourgogne
Franche-Comté
Luc
Jaccottey, archéologue, Institut national de recherches archéologiques
préventives et laboratoire chrono-environnement, UMR 6249/CNRS-UBFC,
Besançon
Martine
Joly, professeure d’archéologie gallo-romaine, université de Toulouse
Sylvie
Lourdaux-Jurietti, responsable des collections d’archéologie, musées de
Lons-le-Saunier
Laure
Nuninger, chargée de recherche, archéologie spatiale et géomatique,
CNRS-université de Bourgogne Franche-Comté, Besançon
Pierre
Pétrequin, directeur de recherche émérite, pré- et protohistorien, MSHE C.N.
Ledoux, CNRS-université de Bourgogne Franche-Comté, Besançon
Matthieu
Poux, professeur d'archéologie, université de Lyon II
Annick
Richard, ingénieure, DRAC de Bourgogne-Franche-Comté - service régional de
l'archéologie et laboratoire chrono-environnement, UMR 6249/CNRS-UBFC,
Besançon
Matthieu
Thivet, ingénieur de recherche, archéologue, laboratoire chrono-environnement,
CNRS-université de Bourgogne Franche-Comté, Besançon
Claudine
Munier, archéologie urbaine gallo-romaine, service d’archéologie de la ville de
Besançon et laboratoire chrono-environnement, UMR 6249/CNRS-UBFC, présidente de
l’association française d’archéologie du verre
Stéphane
Venault, archéologue, Institut national de recherches archéologiques
préventives et laboratoire chrono-environnement, UMR 6249/CNRS-UBFC,
Besançon
Valérie
Pichot, ingénieure au CNRS, archéologue, Centre d’Etudes Alexandrines -
USR3134
Stefan
Wirth, professeur de protohistoire européenne, université de Bourgogne
Franche-Comté, Dijon
À lire :
Goudineau Christian, 2001. Le dossier
Vercingétorix, Paris, Actes Sud/Errance.
Goudineau Christian, 2002. Par Toutatis ! Que
reste-t-il de la Gaule ? Paris, Le Seuil.
Reddé Michel et von Schnurbein Siegmar (dir.),
2001. Alésia : fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires
romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Paris : Mémoires de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres ; 22).
Reddé Michel, 2003. Alésia, l’archéologie face à
l’imaginaire, hauts-lieux de l’histoire, Errance, Paris.