Touche pas à mon dogme !
Ce titre s'appliquerait aussi bien aux propos de Luc
Allemand dans la Recherche qu'à ceux de Claude Grapin recueillis par
Jean-Marc Toussaint pour l'Est-Républicain. Tous deux pratiquent avec la
même maestria la politique de la Borne ou, si l'on préfère, celle de
l'Autruche, toutes deux enracinées dans le même sable - ou, puisqu'on parle
d'Alise, dans le même marécage : ne surtout rien toucher à ce qui fut décrété
par Napoléon III relayé par Michel Reddé.
Mais avant d'entamer la lutte, admirons le cadeau de
Noël que nous font conjointement Vosges-matin et l'Est-Républicain, tout
de suite après la diffusion du film télévisuel "Jules César" dans
l'émission Secrets d'Histoire (Fr. 2) : depuis Science et Inexpliqué,
n°16, aucune publication n'avait consacré si riche espace à André
Berthier et à sa thèse. L'auteur des articles me l'ayant permis, je les
reproduirai ici (sauf, et c'est dommage, les photos), pour le plus grand
plaisir de tous.
******
Suppl. de l’Est-Républicain / Vosges-Matin
n°
1396, d. 7 déc. 2014
Titre général, accompagné de la photo du "Captif d'Arles" :
Titre général, accompagné de la photo du "Captif d'Arles" :
le mystère ALÉSIA
L’AUTRE
BATAILLE D’ALÉSIA
Alésia ne serait pas en Bourgogne,
mais à Chaux-des-Crotenay,
dans le Jura.
C’est la thèse défendue par une
historienne
de la Sorbonne, que semblent confirmer
de récents travaux de télédétection par laser.
Mythe fondateur de l’histoire de France,
la défaite de Vercingétorix à Alésia face aux légions de César s’est-elle bien
déroulée à Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne, comme l’assure l’histoire
officielle ? Non, affirment sans réserve plusieurs historiens, au premier rang
desquels figurent Franck Ferrand et Danielle Porte, une enseignante de la
Sorbonne, latiniste et spécialiste de l’histoire romaine, auteur de plusieurs
livres sur le sujet. Ces passionnés de l’antiquité ont repris et poursuivi les
travaux engagés dans les années soixante par l’archéologue André Berthier, qui
ont permis de situer Alésia à Chaux-des-Crotenay, dans le Jura.
Leurs recherches ont d’abord consisté à
confronter les textes antiques à la réalité du terrain. Alise-Sainte-Reine, le
site supposé de la bataille, ne correspond en rien au descriptif topographique fait
dans le livre VII de « La guerre des Gaules ».
L’oppidum « fort élevé » aux flancs
raides, léché par « deux fulmina* » (rivières vigoureuses) et ceinturé d’autres
collines, n’existe pas sur le site bourguignon. Pas plus que la plaine de 3.000
pieds* (4,5 km) censée lui faire face. La montagne nord, où l’armée gauloise de
secours a lancé son ultime attaque, est
également absente du paysage. Pire, le mont Auxois, lieu officiel de la bataille,
flotte littéralement dans le périmètre d’encerclement rapporté par César. La
surface des camps (immuable, selon Polybe, de 45 ha pour deux légions), varie entre
7 ha et 36 ares. Le grand fossé, tel que les archéologues de Napoléon l’ont identifié,
n’est pas à 400 pieds (120m) des fortifications, mais oscille
entre 700 et 1.000 m. Sans parler de la distance entre les tours qui varie de 15
à 58 m, quand César les établit précisément à 80 pieds (23,68 m). Au-delà de
ces considérations, bien d’autres points inspirent la circonspection. À
commencer par la taille de l’oppidum. À Alise-Sainte-Reine, les fouilles ont
fixé sa superficie à 97 ha. « Une surface largement insuffisante pour
accueillir et abreuver les 95.000 soldats et cavaliers de Vercingétorix, leurs
chevaux, le bétail pour tenir un siège, ainsi que la population déjà existante
de cette importante cité religieuse », souligne Danielle Porte. Autre point qui
fragilise la thèse bourguignonne, le site de la
bataille de cavalerie, qui s’est déroulée la
veille du siège d’Alésia, n’a jamais pu être localisé.
« Parti à la tombée du jour, Vercingétorix a
dû gagner Alésia la même nuit, et César,
renonçant à la poursuite à cause de l’obscurité,
est arrivé sous Alésia le lendemain. Ces indications
permettent d’envisager une distance d’une demi-journée
de marche, soit une quinzaine de kilomètres »,
explique Danielle Porte. Seulement, la plaine bourguignonne
pouvant accueillir une bataille de cavalerie
de cette importance n’existe pas à moins de
soixante kilomètres. Coriace dilemme. Bref, « à Alise-Sainte-Reine,
il est impossible de comprendre
la bataille décrite par César, alors que sur
le site jurassien, tout se met admirablement en place
», insiste Danielle Porte, qui dispose désormais
d’images aériennes, réalisées au LiDAR, qui
conforte sa thèse d’une Alésia jurassienne. Cette
télédétection laser a permis de restituer l’enceinte
du camp nord avec ses rampes, ses poternes,
ses murs à double parement, ses tours distantes
de 80 pieds… Exactement les mesures indiquées
par César. Des données auxquelles s’ajoutent à
présent des observations tirées de relevés
effectués par magnétométrie et géoradar, qui
ont permis de retrouver les fossés du camp nord et
les traces de l’effondrement des palissades après l’incendie final…
Face à ces éléments, les tenants de
la thèse bourguignonne (qui ont aussi quelques solides arguments, lire pages
suivantes) continuent d’affirmer que César affabule dans ses écrits. Jusqu’à
inventer la description des lieux ? Difficile à admettre quand on connaît les
textes du Romain, confondants d’exactitude quand il décrit des lieux qui ont
survécu comme Chalon-sur-Saône, Bourges ou Besançon… Alors Alise-Sainte-Reine
ou Chaux-des-Crotenay ? La solution de cet incroyable jeu de piste est
finalement à portée de main. Il faudrait simplement, qu’au nom de la vérité historique,
l’État autorise des fouilles dans le Jura. Ce qu’il refuse obstinément depuis
plus de 40 ans.
Jean-Marc TOUSSAINT
************
UN SIÈGE
SOIGNEUSEMENT PRÉPARÉ
On a souvent
considéré que Vercingétorix était venu se
réfugier à Alésia après avoir perdu une bataille de cavalerie. Les textes de
César montrent tout le contraire. Le militaire romain explique fort bien qu’à son arrivée devant
Alésia, la ville était fortifiée,
que des fossés étaient déjà creusés. Plus tard, César apprendra de la voix des
prisonniers que du bétail, de la nourriture avaient été apportés en grand nombre
avant la bataille. La preuve qu’Alésia n’était pas un refuge de fortune et son
siège un concours malheureux de circonstances, mais bien un acte réfléchi et
longuement préparé depuis la réunion de Bibracte. À l’époque, Alésia était une
ville sainte pour toute la celtique, écrit notamment Diodore de Sicile. En
menant la bataille jusqu’à Alésia, Vercingétorix plaçait ainsi tous les espoirs
de l’unité gauloise dans les mains des dieux celtes. De nombreux vestiges
cultuels (mégalithes, pierres levées, dalles pour les sacrifices, dolmens…) ont
été retrouvés sur le site jurassien. Il n’existe en revanche aucune trace de
cette cité religieuse celtique à Alise-Sainte-Reine.
Dans une Gaule en révolte, Vercingétorix a donc tout
fait pour que César emprunte la seule voie laissée libre devant lui, celle qui
lui permettait de rejoindre Genève, celle qui allait l’emmener vers le cul-de-sac
d’Alésia, dans une embuscade. Et pour cela, il fallait d’abord un obstacle naturel de taille.
Une colline « d’une grande
hauteur » comme la décrit César. Une description qui ne cadre pas vraiment avec
l’insignifiant monticule du mont Auxois. Obliger César à faire le siège
d’Alésia, c’était le contraindre à déployer son armée tout autour et faciliter
ainsi son encerclement par les 240.000 Gaulois de l’armée de secours. Bref,
Vercingétorix avait tout prévu pour faire chuter César. Tout, sauf la division de
son hétéroclite armée, composée d’hommes aussi téméraires qu’indisciplinés.
Tout sauf le génie de César. Tout sauf la trahison de plusieurs tribus gauloises
qui n’ont jamais attaqué les Romains.
Vercingétorix, qui disposait de cinq fois plus d’hommes
que César, aurait dû pourtant gagner la partie. Et le cours de l’histoire en
aurait été changé.
J-M.T.
Pourquoi refuser de nouvelles fouilles ?
Autoriser des fouilles pour savoir enfin,
c’est prendre le risque de découvrir une
autre vérité sur Alésia. C’est
prendre le risque de contredire ce que l’Éducation nationale enseigne depuis 150 ans, et mettre au pilon les
centaines de livres évoquant la thèse officielle. C’est prendre le risque de rayer de la carte un projet touristique, le
muséoparc d’Alise-Sainte-Reine qui a coûté la
bagatelle de 27 millions d’euros.
C’est aussi remettre en cause l’époque de la plupart des armes antiques. La datation au carbone 14 n’étant pas possible sur le métal, seule la comparaison permet de l’établir. « Depuis 150 ans, ce qui a été trouvé à Alise-Sainte-Reine sert d’étalon. Admettre que ces armes ne sont pas du Ier siècle avant J-C, revient
donc à réviser le résultat de toutes les fouilles autour de cette période, depuis l’époque
napoléonienne », explique Danielle Porte.
Bref les enjeux sont beaucoup plus importants qu’il n’y paraît. Quoi qu’il en soit, « Alise-Sainte-Reine a la force d’une injonction divine ». Dès lors, « l’honnêteté et la vérité historique n’ont plus qu’à s’esquiver en rasant les murs », juge l’historienne, qui n’est pas la seule à se démener
pour réclamer des fouilles. Fin octobre, Gérard Lacroix, membre de l’association Alésia-André-Berthier*, a écrit à la ministre de la Culture
Fleur Pellerin, pour déclarer administrativement le site archéologique
jurassien. Ce qu’aurait omis de faire
officiellement André Berthier.
Repères
> 52 avant JC.
Une coalition des armées de Gaule,
conduite par Vercingétorix, est défaite à Alésia par les légions romaines de
Jules César.
Le site de la bataille se perd dans l’oubli au cours des siècles suivants.
En 864, Heric, moine de l’abbaye bénédictine d’Auxerre, compose un poème
célébrant sainte Reine, vierge de la cité d’Alisia, sur le mont Auxois. Et il écrit : « Toi aussi Alisia où s’est joué le destin de César, je ne puis refuser de te célébrer sur notre lyre
». Dès lors, l’idée qu’Alise-Sainte-Reine, Alisia et Alésia désignent un même lieu s’impose, même si aucun texte antique n’a jamais utilisé le mot « Alise » ou « Alisia » pour évoquer le lieu de la
bataille.
Napoléon III, féru d’histoire romaine, veut trancher la question une bonne fois pour toutes. Sur
la base de l’argument toponymique, il
ordonne des fouilles archéologiques au mont-Auxois, qui s’avèrent peu convaincantes.
Faute de résultat, les savants de la
commission sont mis à l’écart et Napoléon III nomme à
la tête des recherches le capitaine Stoeffel.
Dès lors, les découvertes se succèdent (armes
antiques, monnaies, poteries…).
Pour complaire à l’empereur, Stoeffel exhume, au
mont Auxois, un statère d’or à l’effigie de Vercingétorix. Une monnaie découverte en réalité à Pionsat, en
Auvergne, et achetée dans une vente publique à l’hôtel Drouot…
D’autres éléments curieux, notamment des témoignages* d’ouvriers racontant que des armes étaient trouvées « encore empaquetées et
par brassées » dans les fossés qu’ils avaient creusés la veille, laisse planer le doute sur la sincérité des
fouilles napoléoniennes. Malgré cela, Alise-Sainte-Reine est déclarée site
officiel de la bataille.
1962, l’archéologue
André Berthier localise le site d’Alésia à Chaux-des-Crotenay dans le Jura.
2012, ouverture du muséoparc d’Alise-Sainte-Reine en Côte-d’Or.
2014, publication de l’ouvrage de Danielle Porte et Franck Ferrand,
« Alésia, la supercherie dévoilée* », aux
éditions Pygmalion.
André Berthier, le convaincu
En 1962, quand il découvre le livre «
Alésia et les ruses de César » de Jérôme Carcopino, André Berthier est
directeur de la circonscription archéologique de Constantine, en Algérie. Les explications
avancées par l’ancien ministre l’interrogent. Curieux, il lit le texte original de « La guerre des Gaules ».
Ce qui le convainc qu’Alise-Sainte-Reine ne peut être
Alésia. À partir des textes de César, il identifie une quarantaine d’éléments topographiques qui caractérisent le lieu de la bataille. Il demande
alors au dessinateur Alain Daunic d’établir un portrait-robot du site, qu’il confronte aux cartes d’état-major
de l’est de la France, de Montbard à
Montbéliard, de Vienne à Chambéry. Il étudie ainsi plus de 300 sites. Pour finalement
s’arrêter sur celui de Chaux-des-Crotenay, où
l’intégralité des données correspond aux descriptions
de César. En 1963, il se rend sur place.
La confrontation du terrain confirme les
premiers travaux. La plaine de Syam, en avant de l’imposant oppidum, mesure bien 3.000 pas. La délimitation de l’oppidum sur 140 ha, auxquels s’ajoutent plus de 800 ha de pâturage, est bien plus adaptée à l’accueil de 95.000 soldats. Les deux lignes d’encerclement de 14.000 et 11.000 pas sont conformes au texte antique. Pour
la bataille de cavalerie, la plaine de Crotenay est bien située à une demi-journée
de marche, au bord de l’Ain. La hauteur sur la droite
existe également : c’est la butte de Montsogeon.
L’année suivante, André Berthier obtient de son ami André Malraux l’autorisation de procéder à des sondages sur le site. Mais très vite, le
petit monde de l’archéologie s’y oppose. Les autorisations ont été données par un politique et non par la
Direction nationale des antiquités… Et puis on ne remet pas en cause une tradition centenaire. Les quelques sondages
et les fouilles de sauvegarde de quelques mètres carrés seulement permettent néanmoins
de mettre à jour de nombreux vestiges, des milliers de clous, dont des clous à
globules pour sandales de légionnaire, des céramiques du Ier siècle avant JC, une
clé romaine de la même époque, des armes celtiques et gauloises. En 1972, dans
un champ proche des fortifications que Berthier a localisé, une dizaine de trous
coniques sont mis à jour lors de travaux. Plusieurs ont conservé la base d’un pieu.
Berthier les identifie comme des lilas*,
ces pièges césariens décrits dans « La guerre des Gaules ». D’autres lilas sont ensuite identifiés. Berthier démontre ainsi la romanité
militaire du site. Mais cela ne suffit pas aux yeux du CSRA (Conseil supérieur
de la recherche archéologique), qui estime que les sondages n’ont pas apporté « d’éléments nouveaux justifiant la
poursuite des recherches ». Pour en avoir le coeur net, la commission aurait pu
tenter la datation des pieux
au carbone 14. Mais non, elle a préféré
renoncer à étudier cette hypothèse que Berthier défendra jusqu’à sa mort en 2000.
************
UNE
THÈSE « RÉVISIONNISTE »
Pour Claude Grapin, conservateur départemental du patrimoine chargé du
MuséoParc et du Musée Alésia, la localisation de la bataille se situe bien en
Bourgogne. Il explique pourquoi.
(Rédaction) Que pensez-vous de la thèse défendue par Danielle
Porte qui localise la bataille d’Alésia dans le Jura ?
(C.G.) J’ose dire que c’est une thèse
révisionniste. Je peux comprendre que sous Napoléon III, le choix d’Alise-Sainte-Reine
ait pu susciter des doutes. La faiblesse des connaissances scientifiques ne permettait
de répondre à toutes les interrogations. Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas
la preuve irréfutable que cette bataille a bien eu lieu à Alise-Sainte-Reine.
En revanche, nous disposons de nombreux
indices concordants.
Quels sont ces indices ?
On a retrouvé sur le site un fragment de
tente romaine, des armes romaines, gauloises et germaniques, des balles de
frondes frappées au nom de Labienus, un lieutenant de César. On a également
exhumé quantité de pièces venant de toute la Gaule, mais aussi des deniers romains
en argent, ainsi que des monnaies de sièges en laiton à l’effigie de
Vercingétorix, qui attestent de la présence du chef gaulois sur le site. On a
également retrouvé les traces du double encerclement de l’oppidum décrit par César,
les fossés, les élévations. L’analyse faite au carbone 14 montre que ces
éléments de construction datent bien de la moitié du premier siècle avant JC. Les
tessons de céramiques retrouvés lors des fouilles sont également datés de la
même époque.
Pour autant, la description topographique du
site figurant dans le texte de César ne cadre pas très bien avec l’environnement
d’Alise-Sainte-Reine. La plaine de 3.000 pieds n’existe pas. Il n’y a pas de
cours d’eau abruptes, pas de collines qui enclavent la plaine, ni de montagne
nord…
C’est faux, la plaine existe. Tout dépend comment
on la mesure. En largeur, elle correspond aux dimensions données par César. Quant
à la montagne nord, c’est le mont Réa. En revanche, on est en droit de douter de
la véracité historique des textes de César. Sa description du site se résume en
onze phrases, et il est aujourd’hui démontré qu’il a souvent travesti la réalité
dans ces récits pour les tourner à son avantage. N’oublions pas qu’il
s’agissait de rapports destinés au Sénat pour justifier la guerre et obtenir de
nouveaux crédits.
Il existe également une controverse concernant
la capacité de l’oppidum d’Alise-Sainte-Reine à abriter les 80.000 fantassins
de Vercingétorix sur seulement 97 ha.
Là encore, on peut douter des informations
avancées. Dans les textes de César, ce chiffre de 80.000 revient plusieurs fois
pour d’autres batailles, d’autres sièges. Il est permis de penser qu’il s’agit
en réalité d’une expression, comme on dirait aujourd’hui, « des milliers ». Ce
chiffre est censé donner un ordre de grandeur, mais il n’a sans doute pas de
réalité comptable.
Autre point qui pose question : la plaine qui
a accueilli la bataille de cavalerie la journée précédant le début du siège n’a
jamais été localisée en Bourgogne…
C’est vrai. Il y a eu beaucoup de sites
évoqués, mais rien n’a jamais pu être démontré. Aujourd’hui, on pense que cette
bataille a eu lieu dans la vallée de l’Armançon, au nord-ouest de Montbard, ce
qui correspond aux distances données par César entre ce lieu et la ville d’Alésia.
Finalement, pour mettre tout le monde d’accord,
le plus simple ne serait-il pas d’engager des fouilles sur le site jurassien ?
Sans doute, mais je crains que même si les
autorités de l’archéologie française se décidaient à fouiller le site et
qu’elles n’y trouvaient rien, on les accuserait encore d’avoir volontairement
fait chou blanc.
Propos recueillis
par Jean-Marc TOUSSAINT
***
*Lire : flumina
*lire : 3000 pas
*J’ai démissionné cette année de la présidence de
cette association. Je me désolidarise complétement des démarches de M. Lacroix
auprès du ministère.
* Lire : lilia
* Rendons à César : Outre la préface de Franck
Ferrand et mes propres textes, on trouve dans ce volume les contributions de :
François Chambon, l’alaisien Georges Colomb, Éric de Vaulx, Bernard Gay, Yannick Jaouen, Arnaud Lerossignol, René Marchand, Jacques
Rodriguez, Régis Sébillotte.
********************************************************
`
L'Est-Républicain du 29 décembre 2014 a eu
la courtoisie de publier
ma réponse à Claude
Grapin. La voici :
Alésia : la
réponse du berger
Suite au dossier paru sur la bataille d’Alésia, et la controverse
sur sa localisation, l’historienne Danielle Porte auteur du
livre « Alésia, la supercherie dévoilée » répond à l’interview
de Claude Grapin, conservateur de la mission Alésia publié
dans notre édition du 7 décembre. « Selon Wikipédia, « le
révisionnisme est le travail de base de l’historien. » Je suis
donc révisionniste, et j’assume. [...] Je ne conçois la
recherche que comme libre de travailler sur tous les sujets.
Que la science fût moins avancée qu’aujourd’hui sous
Napoléon III n’empêchait pas de relever nombre d’aberrations
sur le site d’Alise-Sainte-Reine (21) : des fossés «militaires »
de 30 cm de profondeur, des camps de 35 ares et même de
7,5 ha pour loger deux légions, des lignes fortifiées pour
protéger des camps installés hors des lignes ; 17 + 21 km
de fortifications pour encercler une colline de 7 km de tour ;
un « grand fossé » à 750 m des lignes au lieu des 120 m
précisés par César ; des tours distantes de 10 m à 50 m
quand elles devraient l’être de 24…
Quant aux armes retrouvées en Bourgogne, elles datent de
l’Âge du Bronze aux Mérovingiens, expliquées parfois comme
un « dépôt votif ». Le denier d’or «Vercingétorix » a été acheté à la vente Gréau le 6 mai 1867 et provient d'Auvergne
Par ailleurs, César mesure la plaine de 3.000 pas en longueur, in longitudinem, pas en largeur
[...]
L’argument des fantaisies de César est une dérobade et
n’explique pas la précision des mesures, celle du relief
(pourquoi écrire que les rivières "léchaient" l'oppidum
si elles coulaient à 300 m ? ), ni le déroulement du siège,
impossible à reconstituer à Alise, ni l'exiguïté du plateau
(97 ha) pour une ville + une armée.
Les Commentaires ayant été écrits après la fin des opérations, en 51 av. J.-C. et pas au fur et à mesure, César
n’a pas besoin de troupes, à la veille de la guerre civile.
Le Sénat ne lui en enverrait sûrement pas, et contre qui en
aurait-il besoin ?
À propos du combat de cavalerie, aucun des sites proposés en Bourgogne ne tient la route. Des fouilles ? On peut les
faire exécuter par un organisme étranger, comme à Alise en
1991-1996 !
C.Grapin n’évoque pas les éléments impériaux non-césariens
ni les "énormes remparts" (Plutarque), la "métropole religieuse de toute la Celtique et la "très grande ville"
(Diodore), la situation d'Alésia "en Séquanie" (Dion); ni les
absurdités stratégiques (comme le départ nocturne de
15.000 cavaliers à travers la plaine, sous le nez des Romains.
« Révisionnisme » ? Oui. À condition de tout revoir à Alise, et
c’est ce que nous avons fait ».
****************
J'avais fourni une longue réponse argumentée à J.-M. Toussaint, à charge pour lui d'en extraire un entrefilet publiable, ce dont je le remercie. Pour l'édification des lecteurs, je donne ici la version complète :
(Rédaction)
Que pensez-vous de la thèse défendue par Danielle Porte qui localise la
bataille d’Alésia dans le Jura ?
(CG) J’ose dire que c’est une thèse
révisionniste.
(DP) Si
l’on consulte tout simplement Wikipedia, on y découvre une définition intéressante :
« une démarche critique consistant à réviser de manière rationnelle certaines
opinions couramment admises en histoire. »…
Selon Wikipedia, « Le révisionnisme
est le travail de base de l'historien. Ce
dernier se doit de voir, revoir et réviser les faits historiques afin de se
rapprocher au plus près de la vérité ».
Je suis donc révisionniste, et j’assume. Se contenter
de l’histoire réécrite par Napoléon III, ce serait de la stagnation indigne.
S’abstenir de toucher aux sujets déclarés tabou par la communauté scientifique
serait se courber servilement sous l’argument d’autorité. Je ne conçois la
recherche que comme libre d’avancer, et sur tous les sujets. La Liberté
n’est-elle pas inscrite en première place dans la devise-même de la
France ?
(CG) La faiblesse des connaissances Scientifiques
ne permettait de répondre à toutes les interrogations.
(DP)
Scientifique ou non, n’importe quel
esprit de bon sens pouvait déjà s’aviser que des fossés de 30 cm de profondeur
ne pouvaient pas être des fossés militaires ; que des camps de 35 ares et
même de 7,5 ha ne pouvaient suffire à loger les 6000 soldats de la légion remaniée
par Marius, grand-oncle de César ; que construire des lignes fortifiées
pour protéger ses camps ne rimait à rien si ces camps étaient installés hors
des lignes ; qu’épuiser ses hommes à la tâche pour édifier 17 + 21 km de
fortifications quand on a à encercler une colline de 7 km de tour est pure
inconscience ; que trouver un « grand fossé » à 750 m des lignes
quand il devrait être à 120 m prouve simplement que ce n’est pas le bon !
(CG) On a retrouvé sur le site un fragment
de tente romaine, des armes romaines, gauloises et germaniques
(DP)
De quelle époque ? Tout est
là ! Leur diversité stylistique invite à considérer qu’elles peuvent appartenir,
comme les fossés disparates, à l’un des quatre sièges que subit Alisija, prouvés
par couches de cendres et monnaies, dont le plus destructeur eut lieu sous
Septime-Sévère, le premier datant de la fin des Julio-Claudiens et le dernier
de Valentinien II, au IVè ap. J.-C.
César mentionne l’usage de glaives au
camp Nord. On devrait donc trouver des glaives on n’en trouve pas. Pour ce
qu’on trouve, on évoque à présent des sépultures du Bronze, des dépôts votifs,
bref : on affirme toujours qu’on est à Alésia, alors que les découvertes
plaident pour d’autres époques. Quant au fragment de peau de tente (?) censé
prouver Alésia, c’est vraiment une preuve bien fragile.
(CG) des balles de frondes frappées au nom
de Labienus, un lieutenant de César
(DP) Est-on bien sûr qu’il y soit
gravé LAB et non LAR ?
À
présent qu’on a récusé le camp Nord au mont Réa, et installé ce camp sur le
Bussy, on est très embarrassé par ces balles de fronde tant vantées. Car :
si l’on installe Réginus et Rébillus au Bussy, on doit en expulser
Labiénus ; et si l'on y garde Labiénus à cause des belles de fronde, on va
entasser trois légions au minimum là où une seule était déjà à l’étroit…
(CG) On a également exhumé quantité de
pièces venant de toute la Gaule, mais aussi des deniers romains en argent,
ainsi que des monnaies de sièges en laiton à l’effigie de Vercingétorix, qui attestent
de la présence du chef gaulois sur le site.
(DP) Mieux vaudrait oublier les
trésors monétaires que les vainqueurs s’abstinrent étrangement de récupérer en
partant. Le statère d’or marqué VERCINGETORIX ne provient pas d’Alise mais d’Auvergne.
Il fut acheté par Félix de Saulcy, numismate impérial, le 6 mai 1867, à l’Hôtel Drouot. Pour les pièces
en orichalque, elles sont extrêmement usées, ce qui ne serait pas le cas si
elles avaient été frappées pendant le siège : en un mois d’usage, une
pièce reste neuve. Et à quoi bon frapper de la monnaie sur une citadelle
assiégée depuis un mois, où règne la famine ? Pour payer une solde à des
gens qui vont mourir ?
(CG) On a également retrouvé les traces du
double encerclement de l’oppidum décrit par César, les fossés, les élévations.
L’analyse faite au carbone 14 montre que ces éléments de
construction datent bien de la moitié du premier
siècle avant JC.
(DP)
Aucune des dimensions données par César, tant pour les fossés que pour les
camps, pour les pièges, pour les tours etc. ne se retrouve sur le terrain, où
règne la fantaisie la plus complète. P. ex., les tours sont espacées de 10 m, 15
m, 16 m, 17,50 m, 58 m, pas une seule fois des 24 m indiqués !
Quant
à analyser un fossé ou des palissades au Carbone 14, est-ce un gag ?
(CG) Les tessons de céramiques retrouvés
lors des fouilles sont également datés de la même époque.
(DP) À ma connaissance, les morceaux
d’amphores récoltés sont datables des années 30 av. J.-C., selon les Alisiens
eux-mêmes (voir étude d’A. Lerossignol dans la Supercherie dévoilée). La seule méthode envisageable pour dater une céramique n’est pas le
C14 mais la thermoluminescence.
(Rédact.) Pour
autant, la description topographique du site figurant dans le texte de César ne
cadre pas très bien avec l’environnement d’Alise Sainte Reine. La plaine de
3.000 pieds (D.P. erreur, ce
sont 3000 pas) n’existe
pas, il n’y a pas de cours d’eau abruptes, pas de collines qui enclavent la plaine,
ni de montagne nord…
(CG) C’est faux, la plaine existe. Tout
dépend comment on la mesure. En largeur, elle correspond aux dimensions données
par César.
(DP) César a écrit : in longitudinem, c’est-à-dire « en longueur », pas « en largeur »
(traduction fausse de Y. le Bohec). Il précise aussi qu’elle est « glissée
entre des collines », alors que la plaine des Laumes s’étale à perte de
vue.
(CG) Quant à la montagne nord, c’est le mont
Réa.
(DP) La montagne nord n’est pas le
Réa, orienté nord-ouest. Il serait étonnant que les Gaulois aient eu besoin
d’« escalader », ex
ascensu temptant, pour atteindre un camp
situé en bas de pente ! En outre,
il est englobé dans les lignes, et César dit qu’on l’avait laissé en-dehors.
(CG) En revanche, on est en droit de douter
de la véracité historique des textes de César. Sa description du site se résume
en onze phrases, et il est aujourd’hui démontré qu’il a souvent travesti la réalité
dans ces récits pour les tourner à son avantage.
(DP) L’argument de la fantaisie de
César a si souvent resservi qu’il est usé jusqu’à la corde. N’oublions pas
qu’il n’était pas tout seul, et que ses officiers et ses légionnaires
correspondaient avec leurs familles (p.ex. Quintus Cicéron, son légat, frère de
l’orateur). J’attends toujours la démonstration sur textes des fameux
« mensonges » de César, inventés par M. Rambaud pour conforter la
thèse Alise. Comment savoir qu’il ment si l’on n’a pas d’éléments de
comparaison ? Je ne sache pas qu’un chef d’armée s’évertue à aligner des
pages et des pages de chiffres faux : quelle utilité ? Et quelle
utilité aussi à dire que le camp était au nord et en haut, s’il était au
nord-ouest et en bas ? que les rivières « léchaient les pentes »
si elles coulaient à 300 m ? que les fossés étaient en V s’ils étaient à
fond plat ? Qu’il en existait deux alors qu’on en a trouvé trois ?
(CG) N’oublions pas qu’il s’agissait de rapports
destinés au Sénat pour justifier la guerre et obtenir de nouveaux crédits.
(DP) Les Commentaires ont été écrits après la fin des opérations, en 51 av. J.-C. et pas au
fur et à mesure. César, alors, n’a pas besoin de troupes, à la veille de
déclencher la guerre civile (passage du Rubicon en janvier 49). Le Sénat ne lui
en enverrait sûrement pas, et contre qui en aurait-il besoin ?
(Réd.) Il existe
également une controverse concernant la capacité de l’oppidum d’Alise Sainte Reine
à abriter les 80.000 fantassins de Vercingétorix sur seulement 97 ha.
(CG) Là encore, on peut douter des
informations avancées. Dans les textes de César, ce chiffre de 80.000 revient
plusieurs fois pour d’autres batailles, d’autres sièges. Il est permis de
penser qu’il s’agit en réalité d’une expression, comme on dirait aujourd’hui, «
des milliers ».
(DP) Non. Les Romains employaient
« 60 », « 600 », là où nous disons « 100 »,
« 1000 » ; pas « 80 » ni « 800 ».
(Réd.) Autre point
qui pose question : la plaine qui a accueilli la bataille de cavalerie la
journée précédant le début du siège n’a jamais été localisée en Bourgogne…
(CG) C’est vrai. Il y a eu beaucoup de
sites évoqués, mais rien n’a jamais pu être démontré. Aujourd’hui, on pense que
cette bataille a eu lieu dans la vallée de l’Armançon, au nord-ouest de Montbard,
ce qui correspond aux distances données par César entre ce lieu et la ville d’Alésia.
(DP) Aucune des localisations
avancées ne tient la route (voir F. Chambon dans la Supercherie dévoilée).
(Réd.) Finalement,
pour mettre tout le monde d’accord, le plus simple ne serait-il pas d’engager
des fouilles sur le site jurassien ?
(CG) Sans doute, mais je crains que même
si les autorités de l’archéologie française se décidaient à fouiller le site et
qu’elles n’y trouvaient rien, on les accuserait encore d’avoir volontairement
fait chou blanc.
(DP) Et si elles y trouvaient quelque
chose, comme cela a déjà été fait lors des sondages au camp Nord ? Pas
folles, les Autorités !
On peut toujours faire surveiller
les fouilles, ou les faire exécuter par un organisme étranger, comme on le fit
à Alise en 1991-1996 !
Il n’a pas été parlé des éléments
« impériaux » (monnaies, clavicula, tribuli) ni des éléments
protohistoriques ; pas des grandes absences : les « énormes
remparts », Plutarque, la « métropole religieuse de toute la
Celtique » et la « très grande ville », Diodore, la situation « en
Séquanie » (Dion Cassius) ; ni des absurdités stratégiques (départ
nocturne de 15 000 cavaliers à travers le plaine, sous le nez des Romains,
reconstitution impossible de la dernière bataille).
Le seul point qui justifie l’aimable
appréciation de Claude Geapin est qu’il faut tout « réviser » à
Alise. En ce cas précis, il est plus honorable d’être
« révisionniste » que de gober tout cru, les yeux fermés, n’importe
quel argument préfabriqué !
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Pas de nouvelles de la Recherche à laquelle nous avions demandé un droit de réponse (article de Luc Allemand, voir blog précédent). Nous réitérons cette demande sous une forme plus "officielle".
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En revanche, la Voix du Jura du 14 janvier 2015 nous fait l'aimable surprise de reproduire un passage de ce blog que pas mal de gens concernés par la controverse ne pourront ignorer !
ALÉSIA : PAS DE RÉPONSE À L'OUVRAGE CONTRE LA THÈSE OFFICIELLE
Huit défenseurs de la localisation de la bataille d'Alésia dans le Jura ont collecté leurs travaux dans un ouvrage publié en mai dernier : "Alésia, la supercherie dévoilée". L'œuvre tend à prouver en vingt-deux chapitres les incohérences qui existent à localiser l'affrontement entre César et Vercingétorix en 52 avant notre ère à Alise-Sainte-Reine en Bourgogne. Elle pose ainsi plusieurs centaines de questions aux défenseurs de la thèse officielle. En retour, les auteurs n'ont reçu "aucune réaction des Alisiens (défenseurs de la thèse officielle. NDLR) impliqués dans la question (...) leur silence est assourdissant" indique Danielle Porte, docteur d'État, enseignant-chercheur, latiniste et historienne spécialiste de l'Antiquité romaine, qui a dirigé l'ouvrage. "Leur stratégie ? Ne pas traiter le fond du problème, mais s'en prendre à Franck Ferrand (journaliste qui a préfacé l'ouvrage NDLR) et ignorer radicalement tout le reste (...) C'est bien facile plutôt que de s'en prendre à moi qui suis universitaire et ai supervisé tout ce qui a été écrit dans le livre." Danielle Porte évoque une "communauté scientifique" indignée. "Ils se sont acharnés à pourfendre la thèse Berthier (qui localise Alésia dans le Jura (NDLR) dont j'avais bien pris soin de ne pas parler dans le tome I, puisqu'elle va faire l'objet du tome II" Le blog de Danielle Porte : janua52.blogspot.fr
=> "Alésia, la supercherie dévoilée", ouvrage sous la direction de Danielle Porte. Éditions Pygmalion, 421 pages. Prix : 21 €
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Pour parodier Alphonse Allais : "le monolithisme ne passera pas !"
© Danielle Porte