la Colline inspirée

la Colline inspirée

mercredi 10 mai 2017

Ridi, Pagliaccio...


Ridi, Pagliaccio...


Le temps passe, furtif… et nous attendons toujours une réaction des archéologues bisontins à notre mise au point collective, postée, je le rappelle, en décembre dernier, concernant le manifeste que M. François Favory et 24 de ses collègues avaient cru bon d’adresser à tous les Élus comtois et bourguignons, puis à tous les journalistes de cette région, puis à change.org, qui le transforma en pétition, laquelle recueillit 753 [1] signatures venues du monde entier, et pour les meilleures raisons du… monde, depuis des étudiants de licence dijonnais jusqu’à des historiens en toutes branches, parfois opérant aux antipodes, outrés de voir piétiner la Tradition sacro-sainte avec autant de désinvolture.

La récente émission à laquelle m’a invitée Raphaël Enthoven, sur Europe 1, pour parler de Vercingétorix, remet la question sous les feux de l’actualité.  

Bien cadré ? Continuons.

Étaient visés avant tout dans le Manifeste 2, qui changeait gravement de ton par rapport au premier envoi (vous en avez eu le texte dans le blog : "Rodrigue, qui l'eût cru ?") :
- Franck Ferrand, d’Europe 1, grâce à qui la thèse d’André Berthier (Alésia à Chaux-des-Crotenay) avait fait un bond en avant plutôt inouï depuis 2005 et son adhésion enthousiaste à la démonstration jurassienne ;
- moi-même, dont l’Imposture Alésia, éditée par Olivier Magnan en 2004, avait été pour lui la fulguration qui frappa Saint Paul sur le chemin de Damas – ou, pour respecter la non moins sacro-sainte laïcité, le «Bon sang, mais c’est bien sûr !» du commissaire Maigret.
- Enfin, François Chambon, architecte DPLG de Lyon, coupable d’avoir restitué, dans les années 2008-2011, en interprétant les clichés LIDAR, la physionomie du camp Nord, à Crans, dont la disposition et les vestiges répondaient parfaitement à la description du chef romain et remettaient en place, lieux et temps, les opérations militaires évoquées pour le dernier combat. Y compris l’incendie des palissades, révélé par la magnétométrie.

Pour ce qui est d’Archéojurasites : plutôt les Alisiens devaient-ils les remercier pour leur avoir fourni des arguments suite à leur malencontreuse expertise ! La critique à eux adressée porte exclusivement sur la carrière et les appuis d’André Berthier, non, évidemment, sur sa théorie. L’association y a déjà répondu dans un contre-manifeste, mais j’y reviendrai bientôt.
Car il y a beaucoup à dire sur la réalité militaire du camp Nord, et les «retournements de veste» dont elle a fait l’objet !

Abasourdie, dans un premier temps, par la virulence des accusations proférées, par la haine qui suintait de certaines appréciations [2], et par la logorrhée dont témoignait ce manifeste en cet étalage pompeux de connaissances absconses destinées à pulvériser notre regrettable amateurisme, je finis par me convaincre d’une triste, mais incontestable réalité : non seulement ce dialogue imposé était un dialogue de sourds, mais les archéologues et historiens signataires étaient totalement dépourvus du sens de l’humour ; on en dirait autant des intervenants, récemment, sur Twitter, qui ont pris au pied de la lettre des expressions employées par moi avec une intention humoristique… immédiatement saisie par tous les auditeurs et lecteurs, mais qui échappa radicalement à mes détracteurs. Pourtant, c’était tellement énorme…

C’est cette conclusion-là qui me paraît la plus importante ; c’est donc elle que je traiterai d’abord.

***

L’humour, c’est avant tout l’art d’user du «second degré» ; d’exprimer par images parlantes, par décalages avoués ou subreptices, par comparaisons outrées tout exprès mais d’autant plus révélatrices, des vérités que le pédantisme ou la rigueur mathématique préfèrent énoncer sous leur aspect rigide et froid.

L’humour est pédagogique, le pédantisme veut impressionner. Le premier aime à convaincre en faisant partager ses connaissances – sérieuses contre toute apparence – à tous ceux que la question intéresse, quels que soient leur savoir et leur formation intellectuelle. Le second préfère conserver jalousement pour son sérail d’initiés sa déesse Science, inaccessible au profane grâce au rempart inexpugnable d’un vocabulaire et de concepts aussi hermétiques que runes ou hiéroglyphes.

Surtout, les Gens Sérieux qui vous lisent prennent tout au premier degré… et vous infligent des pages de considérations aussi inutiles qu’érudites pour commenter des expressions qu’un peu de recul ferait apparaître comme des traits plaisants.

Petits exemples : si l’on écrit «aux calendes grecques», on risque les foudres : Il n’y avait pas de calendes en Grèce, et l’on vous le démontrera textes à l’appui ; ou plutôt, en invoquant l’absence de textes antiques où elles seraient mentionnées.

Si l’on écrit : «vieux comme Hérode», on subira une démonstration analogue : pas si vieux que cela, Hérode, qui vécut au temps du Christ, entre 73  et  4 av. J.-C. Mieux eût-il valu écrire «vieux comme Mathusalem», lequel présente l’avantage d’avoir vécu bien plus tôt, durant 969 ans, et d’être mort l’année du Déluge, en 2370 av. J.-C. Mais… ce Déluge… fallait-il le caser en -2348 selon la chronologie de James Ussher, ou en 2600, si l’on en croit les tablettes mésopotamiennes, ou en 10500 selon l’opinion générale, tandis que la traversée de la queue de la comète l’assigne formellement au 18 novembre 2565 ? La chute de la Méditerranée dans la Mer Noire accréditerait, pense-t-on en 1998, les récits des Protoceltes qui peuplaient les rives du Bosphore dans les années 6000 av. J.-C. Pourtant, les analyses au carbone 14, ajouterait-on d’après Wikipedia, sont venues bousculer le Déluge et le placer en 7500, tout autant que le recours à la dendrochronologie (n’oublions pas la vigne de Noé) et à l’étude des roches, qui le déplacent en 4000 ou 5000 av. J-C. On objectera que la couche argileuse d’Ur l’installe très précisément vers 9500, tandis que l’étude des dunes sous la Mer Noire envisage 7100, le réchauffement de la planète 12000, et… et…
Submergé, on en perd son grec et son latin… bien que les raisonnements modernes admettent, pour le Déluge, les textes de Platon et les Métamorphoses de mon cher Ovide, plus fiables, évidemment, que ce qu’écrit Diodore de Sicile sur Hercule et Alésia.  

Comme on voit, les datations des Scientifiques, pour ces temps très reculés, présentent toute la rigueur qui nous manque… Évitons donc de réveiller le Déluge qui dort.

Et puis ne nous risquons pas à écrire «connu comme le loup blanc» puisque chacun sait que les loups possèdent plutôt un pelage gris fer... et que la parfaite orthodoxie voudrait qu’on écrivît : «rare comme le loup blanc». Même si l’orthodoxie peut se faire puissamment ennuyeuse, respectons cette vénérable aïeule.

On aura compris, je crois, que si vous avez osé comparer une œuvre de Polyclète à un orthostate naturel vaguement retouché par l’homme arbitrairement mais éloquemment baptisé «de Cro-Magnon», on déchaînera une averse de  lignes formant un savant exposé sur les périodes de glaciation du Jura, et démontrant, au finale, que vous vous trompez regrettablement d’époque. Le capitaine Haddock était sûrement mieux informé que vous lorsqu’il se référait aux hypothétiques «anthropopithèques» du Ternaire plutôt qu’à Cro-Magnon.

Quel rapport avec les habitudes religieuses des peuples qui occupèrent, avant la venue des Celtes, les forêts du Jura ? Aucun ; le Cro-magnonnais (?) concentrant dans son seul nom toute la Préhistoire, n’était là que pour donner une approximation… pédagogique. Allez dater des mégalithes remarquables seulement par leur taille, leur forme et les agencements de pierres qui les entourent, autrement que par approximation ! «Antérieurs à l’art de la sculpture, mais présentant des traces d’interventions anthropiques», voilà tout ce qu’on peut en dire et c’est déjà beaucoup.

Mais pendant que vous ergotez sur des pointes d’épingle sans intérêt pour la question et accablez l’adversaire d’un torrent d’érudition inutile, vous vous dispensez de traiter l’essentiel, soit : d’aborder et de contrer les arguments avancés contre Alise-Sainte-Reine ; qui a le tort de ne remonter, elle, et au grand maximum, qu’aux années 80 av ; J.-C. Passez muscade !
         (oh ! pardon… la noix de muscade est cultivée en Indonésie et connue seulement depuis le XVème siècle… Elle ne saurait donc être invoquée dans un texte sérieux traitant des Gaulois. Supprimons la muscade).

Se cantonnant dans la dérision, les partisans d’Alise regardent ainsi du haut de leurs titres et de leur CNRS ces excréments de la terre assez audacieux pour rejeter l’affirmation séculaire et vide, dont la force magistrale se dispense – et les dispense – de toute démonstration : «Alise est Alésia parce que l’Ensemble de la Communauté Scientifique en a décidé ainsi.» En voilà, une preuve indiscutable ! Lorsqu’on m’accuse de répéter les mêmes arguments depuis quinze ans, on ferait bien de s’aviser que cette antienne de la Communauté Scientifique revient, depuis quarante et quelques années, chaque fois que n’importe quelle plume alisienne ou assimilée se mêle d’écrire sur la question.

Ma foi ! il existe aussi des francs-tireurs pas plus benêts que les admirateurs du dogme. Il me souvient d’un sujet de dissertation, proposé jadis à nos jeunes réflexions : «Les animaux lâches vont en troupe ; le lion marche seul dans le désert ; qu’ainsi marche toujours le poète !» C’était du Vigny. J’adorais Vigny ; et me fis dès lors une règle de vie d’un sujet de philo…

«Eux» ont fait des études. Certes. Nous aussi. Pas dans la même branche, certes encore. Mais pour ce qui est d’apprécier les arguments qui plaident pour Alise ou la condamnent, des étrangers à l’archéologie sont plus qualifiés que des spécialistes de la Préhistoire : ils ont concentré leurs efforts sur une année de l’Antiquité,  qu’ils ont souvent étudiée à fond, au lieu que des plus savants, tout occupés de leurs spécialités, ne peuvent raisonner sur 52 av. J.-C. qu’après un ou deux coups d’œil distraits, accordés seulement parce qu’il faut donner son nom à la défense de la Doctrine Officielle. Les «amateurs» que nous sommes s’arment, eux, de leur Bon Sens,  dont ils ont fait leur saint patron. Ce qui leur permet de saisir d’emblée la valeur ou l’inanité d’une thèse ou d’une démonstration. Rien ne sert de dauber dans le vide sur notre qualité d’amateurs ; comme si l’on ne pouvait pas être autodidacte dans une branche quelconque… grâce, d’ailleurs, aux écrits des historiens des générations précédentes, qui ne jugeaient pas infamant, eux, d’écrire pour être compris ; et compris de tout un chacun doué d’un brin de jugeote et ayant pris la peine de lire César plutôt que... Allons ! laissons des pointillés, la liste des noms à citer excéderait les limites à la fois d’un article et de la courtoisie.

Au passage, remarquons aussi que si les archéologues prétendent n’être lus que par des archéologues, leur public va se restreindre avant peu comme peau de chagrin…

***

Cette mise au point me paraissait nécessaire, et l’on en tombera d’accord, j’espère bien, dès la lecture du texte bisontin.

Toutefois, ayant pris connaissance des commentaires venus de tout le globe aussi bien que du Manifeste 2, je crois encore plus utile de mettre les points sur les i, puisque leurs auteurs sont incapables de dépasser le premier degré.

Et que cela soit fait une fois pour toutes : je commence à me lasser des accusations insanes ou des insinuations fielleuses. Je répondrai en détail au Manifeste 2 dont vous avez le texte ci-dessous, mais dois corriger d’urgence les épreuves définitives de mon Dictionnaire du siècle d’Auguste. J’interromps donc la réfutation en cours et la reprendrai au terme de 369 pages en petits caractères et de 35 pages d’index. Désolée ! Pour une fois, Auguste passera avant César.

***

Une accusation, toutefois, est tellement aberrante qu’elle demande mise au point immédiate. On se gausse à longueur de pages, tant dans le Manifeste que, sur Twitter, après l’émission de Raphaël Enthoven diffusée le 22 avril,  de mes «délires» qui font croire que les partisans de l’Alésia jurassienne, en «siphonnés» qu’ils sont, forment une «secte» du fait que la «charlatane» (!) que je suis parle souvent de la «déesse Alésia».

Donc, à l’usage de ces grands naïfs, je dois bien entrer dans les détails.

Lorsque nous découvrîmes et inventoriâmes, André Berthier et ses compagnons, les dizaines de dizaines de structures lithiques (n’écrivons plus : «menhirs») éparses sur tout le plateau (n’écrivons plus «oppidum») de Chaux et des alentours, le GPS n’existait pas, et dans les fourrés, l’usage du mètre en ruban se révélait parfois problématique, outre qu’il était déjà nécessaire d’identifier les fourrés en question, les uns ressemblant furieusement aux autres, et il y en avait beaucoup.

Devions-nous respecter le sabir archéologique et écrire, par exemple, «l’orthostate-naturel-mais-à-retouches-anthropiques-visible-dans-un-bosquet-de-feuillus-à-une-distance-de-122,4-mètres-du-parking-du-tennis-situé-à-826-mètres-du-centre-de-Chaux,-à-l’origine-orienté-Est» ? D’autant que les orthostates pullulent, tant sur les pâturages avoisinant le secteur de la cote 801 que dans toute la forêt de Cornu, et que même une précision sur leur cote cartographique serait trop… imprécise pour le localiser.

J’avoue ma responsabilité dans les appellations bien plus parlantes, si regrettablement fantaisistes, dont nous baptisâmes les monuments (écrivons plutôt : les «tas d’épierrement» ou les «blocs erratiques») dont nous avions analysé les agencements (ouvrons notre parapluie et hâtons-nous d’ajouter : «à supposer que la main de l’homme eût relayé celle de dame Nature»), suivant leur forme, bien souvent animale, du reste.

L’orthostate-naturel-mais-à-retouches-anthropiques-présentant-un-aspect-très-vaguement-anthropomorphique, étant orienté Est, et situé près d’une des entrées de ce qui n’est pas un oppidum mais possède cependant des portes ménagées dans un rempart cyclopéen (pardon : «un muret agricole» constitué de «dalles apparemment de la Tène I ou du Bronze final de 5 mètres de hauteur apparente situé à 238 mètres du parking du tennis de la bourgade de Chaux-des-Crotenay»)... ouf ! – il était plus pratique de lui attribuer une parenté avec cette ouverture, comme c’est l’usage dans les formes de la religiosité primitive (j’ai tout de même étudié quelque peu les mécanismes archaïques des religions anciennes) et par voie de conséquence, un possible patronage sur la ville qu’entourait ce rempart (ou, si l’on préfère, le «Muret Michel Reddé» qui a remplacé le traditionnel «Mur du Chemin aux Ânes»).

Lorsqu’on a affaire à une civilisation anépigraphe (traduction en français-plouc : «qui ignore l’écriture»), on est bien obligé de recourir à des expédients, des suppositions, des évaluations, des comparaisons pour aider au repérage des monolithes (pas besoin de traduction, les «Jurassiens» connaissant souvent le grec et disposant, sinon, d’une teinture issue du Petit Larousse). Tout le monde n’a pas la chance de posséder sur ses terres un Ucuetis dieu des forgerons, ou un Apollon Moritasgus - ce qui avance beaucoup leurs propriétaires, puisque personne ne sait qui ils sont, et si même, pour Ucuetis en tout cas, ce sont des dieux.

Qui se ressemble s’assemble ! il nous est arrivé, j’avoue, d’aller, à minuit, sacrifier un boudin sacré à la divine Saine en prononçant les incantations qu’a recueillies le manuel des Textes Archaïques latins d’Alfred Ernout, Paris, Klincksieck, 1916, et en langue originale. Bescu, bescu, berebescu… N’allons pas plus loin, nous risquerions de donner des idées malignes.

Je reconnais qu’il est difficile à des gens fermés à l’humour de discuter sérieusement avec des interlocuteurs pratiquant couramment le second degré. Lisons leur prose : «Néanmoins, nous ne suivrons pas D. Porte dans ses propos extravagants sur l’intervention des Cyclopes dans la construction des murs des cités grecques ou sur les obscurs «contemporains d’Hercule» […] Nous voulons bien lire les ouvrages de D. Porte, mais on comprendra qu’il est compliqué d’avoir un débat scientifique avec quelqu’un qui possède un système de datation basé sur des récits mythologiques et qui pense visiblement, à la lire, que les Cyclopes ont existé.» 
Hallucinant ? Oui. Mais authentique. Vous trouverez cette appréciation p. 8 du Manifeste des Archéologues ci-après.

Il est vrai qu’avant d’avoir vérifié sur Internet que le mot «cyclopéen» était un adjectif couramment usité, même par des non-spécialistes, pour désigner «un mode de construction primitif, constitué de grosses pierres équarries ou non, agencées ou simplement entassées de manière à former un mur défensif ou une jetée, un barrage, un pont, une route», j’étais persuadée que les frères de Polyphème avaient construit de leurs mains nos puissantes murailles ; et chaque soir passé à Syam ou à Chaux, je regardais peureusement sous mon lit, armée d’un balai, au cas où quelque N’a-Qu’un-Œil s’y serait tapi. Le monstre du Loch Ness existe toujours, n’est-ce-pas ? Alors pourquoi pas les Cyclopes ? 

Il m’arrive aussi, afin de célébrer le Lugnasad au mois d’Elembivios, de me lever à l’aube, et de me prosterner sur ma descente de lit, tournée vers l’Est, en chemise de nuit blanche et la tête ceinte d’une couronne d’olivier. J’adresse ainsi selon les règles mes dévotions à notre «déesse Alésia» et appelle ses bénédictions sur les cerveaux fêlés de notre secte. Mais si je l’avoue, je risque de voir débarquer sous mes fenêtres un véhicule blanc à croix rouge, d’où descendront des hommes eux aussi en blanc. Je n’avouerai donc pas.

Pour ce qui est des gens sensés qui nous rejoignent, et, depuis un an, ils sont légion, ils appellent «déesse Alésia», sans chercher midi à quatorze heures, ce sacré orthostate-quasi-anthropique-mais-pas-tout-à-fait qui occupe les Alisiens au détriment de leur absence de camp Nord, des dimensions aberrantes de leurs fossés aussi bien que des tours, ou des découvertes ahurissantes de monnaies et d’armes à l’intérieur de leurs palissades alors que leurs propriétaires étaient restés à l’extérieur…   Ils savent, dès le nom prononcé, où «elle» se trouve, cela leur suffit amplement.

***

Je reviendrai donc bientôt au style premier degré, pour aborder enfin les choses sérieuses.

Mais d’abord, dégustez la prose des archéologues et historiens de Besançon et d’ailleurs. Ceux d’entre vous qui reçoivent Ephemeris ont déjà pu l’apprécier et sauteront, s’il leur plaît, ce qui les sépare de la dernière page.

________________________________________________

 «  1

 20 octobre 2016
Madame, Monsieur,
En juillet dernier, nous avons diffusé un texte intitulé «Alésia n’est pas dans le Jura» pour alerter les élus et le grand public sur les incohérences, les sur-interprétations, les mensonges des tenants de la thèse Alésia/Chaux-des-Crotenay.
Afin d’être totalement exhaustifs, nous avons voulu dans le texte joint revenir sur tous les arguments avancés par les défenseurs de Chaux-des-Crotenay pour montrer à quel point ces pseudo-chercheurs se trompent et trompent depuis des années le public, certains élus et certains journalistes. Nous espérons ainsi rétablir la vérité scientifique concernant ce site d’Alésia.
Plusieurs points sont abordés dans ce texte. Vous verrez ainsi que :
- nous confirmons d’abord que l’oppidum du mont Auxois à Alise Sainte Reine et le siège militaire du Ier siècle av. J.-C. qui y a été révélé par l’archéologie correspondent bien à la bataille d’Alésia ;
- les différents sites décrits à Chaux-des-Crotenay témoignent d’une occupation agricole de l’Antiquité tardive et de l’époque médiévale liée à la proximité de l’agglomération gallo-romaine du mont Rivel, puis à une seigneurie médiévale et non pas au site d’une bataille qui s’est déroulée au Ier siècle avant J.-C. ;
- avant d’envisager des fouilles, il est nécessaire de conduire un travail historique sur les archives et les plans anciens afin de préciser l’histoire globale du site de Chaux-des-Crotenay.

Vous pourrez mesurer l’ampleur de la supercherie alimentée depuis des décennies par les associations de défense du site jurassien soutenues par Danielle Porte et Franck Ferrand. Plusieurs points sont disséqués dans le détail, ils concernent :
- l’absence supposée de fouilles sur le site de Chaux où vous verrez qu’en fait André Berthier a bénéficié d’appuis politiques et logistiques très importants ;
- les fouilles et sondages d’André Berthier n’ont découvert que des éléments du IIe siècle ou de la période médiévale, ce qui a été confirmé par tous les travaux archéologiques plus récents ;
- les défenseurs du site de Chaux-des-Crotenay dissimulent sciemment des expertises de terrain qui confirment les analyses des archéologues et géologues réalisées depuis 40 ans ;
- ainsi, au mépris de toute déontologie, ils ignorent volontairement les rapports de fouille et de sondages, font abstraction de la chrono-stratigraphie pour transformer des structures médiévales, modernes ou contemporaines en vestiges celtiques ou gallo-romains ;
- ils tiennent un discours sans base scientifique, décrivant des pseudo-structures archéologiques sans apporter de preuve concrète ;
- ils ne s’appuient sur aucune expertise scientifique et se contentent d’hypothèses anciennes qu’ils font passer pour des vérités historiques ;
- ces personnes ignorent les progrès des recherches historiques et archéologiques des 30 dernières années ;
- ils refusent de publier leurs théories dans des revues scientifiques reconnues comme ils refusent de communiquer leurs résultats lors de colloques nationaux et internationaux.

2

Nous vous invitons à prendre connaissance du détail de nos arguments dans le texte ci-dessous, en espérant clore ainsi un débat parfaitement vain et exaspérant pour la communauté archéologique française, et nous restons à votre disposition.
Recevez, Madame, Monsieur, nos respectueuses salutations.
François Favory, historien et archéologue de l’Antiquité
Hervé Richard, paléoenvironnementaliste-archéologue
Philippe Barral, archéologue-protohistorien
Yannick Favory, historien
Vincent Guichard, archéologue-protohistorien
Pierre Nouvel, archéologue de l’Antiquité
Michel Reddé, archéologue et historien de l’Antiquité
Anne-Marie Adam, archéologue-protohistorienne
Stephan Fichtl, archéologue-protohistorien
Emilie Gauthier, paléoenvironnementaliste-archéologue
Jean-Paul Guillaumet, archéologue-protohistorien
Luc Jaccottey, archéologue
Martine Joly, archéologue de l’Antiquité
Sylvie Lourdaux-Jurietti, muséologue
Claudine Munier, archéologue de l’Antiquité
Laure Nuninger, géomaticienne-archéologue
Christophe Petit, géoarchéologue
Pierre Pétrequin, archéologue-pré- et protohistorien
Matthieu Poux, archéologue-protohistorien
Annick Richard, archéologue
Marie-Jeanne Roulière-Lambert, archéologue-protohistorienne
Matthieu Thivet, archéologue
Stéphane Venault, archéologue de l’Antiquité
Valérie Pichot, archéologue de l’Antiquité
Stefan Wirth, archéologue-protohistorien

Le site de Chaux-des-Crotenay, mythe et réalités _

À la suite des propos de Danielle Porte et d’André Alix, sans oublier les invectives gratuites et insultantes de Franck Ferrand, nous tenons à répondre aux principaux points abordés.
Nous pouvons d’abord rassurer A. Alix : l’ensemble des signataires a travaillé et travaille encore à l’interprétation du patrimoine régional. Certains d’entre nous ont consacré l’essentiel de leur carrière à des sites franc-comtois et bourguignons. Citons les travaux les plus connus de Chalain et Clairvaux-les-Lacs (39), Villards d’Héria (39), Mandeure (25), Autun (71), Bibracte (58-71). Visiblement A. Alix confond sauvegarde du patrimoine local et défense de la mémoire d’André Berthier.

3

On rappellera qu’on peut être archéologue, historien de l’Antiquité et capable de traduire du latin. Nous travaillons régulièrement sur des textes antiques et médiévaux et sur des corpus d’inscriptions latines. Enfin, il faut souligner que les deux chercheurs le plus souvent pris à partie par les partisans de la localisation d’Alésia à Chaux-des-Crotenay (Michel Reddé et Christian Goudineau) sont des agrégés de lettres classiques, formés à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, pensionnaires de l’École française de Rome, et des philologues reconnus avant d’être des historiens et des archéologues.

Les sornettes des partisans d’Alésia à Chaux-des-Crotenay concernant le site d’Alise Sainte Reine
L’oppidum d’Alésia

D. Porte affirme, dans La Voix du Jura du 1er septembre 2016, que les «90 hectares (du site d’Alise) ne peuvent accueillir que 9000 hommes (Polybe) et (qu’)ils sont 95 000 nouveaux arrivants sur le Mont Auxois»._ _Cette affirmation suscite deux questions : pourquoi 90 hectares – en l’occurrence plutôt 97 – ne pourraient accueillir que 9000 hommes, et où Polybe évoque-t-il la question du peuplement des oppidums gaulois ? On rappellera que l’oppidum d’Alise fait partie des grands oppidums de Gaule, même si certains dépassent exceptionnellement les 100 ha comme Villejoubert, en Haute-Vienne, et Bibracte, en Saône-et-Loire et dans la Nièvre (200 ha au moment de sa fondation, par exemple).
En outre, il faut souligner que les calculs des partisans d’Alésia à Chaux-des-Crotenay oublient une donnée essentielle : l’ensemble des effectifs estimés n’a jamais, d’après César, occupé l’oppidum en même temps. Au début du siège, les soldats de Vercingétorix campent devant les murs d’Alésia («Au pied du rempart, tout le flanc oriental de la colline était occupé par les troupes gauloises, et en avant elles avaient creusé un fossé et construit un mur grossier de six pieds.» ; BG, 7, 69 (trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). C’est sur ces retranchements que les Germains en massacrent d’ailleurs un grand nombre et leur prennent leurs chevaux. («Vercingétorix fait fermer les portes, pour éviter que le camp ne se vide. Après avoir tué beaucoup d’ennemis et pris un très grand nombre de chevaux, les Germains se replient» (BG, 7, 70 : trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). Ce qui aboutit logiquement à moins d’hommes et à moins de chevaux, sachant que les Germains avaient déjà largement éliminé les hommes qui avaient abandonné leurs chevaux : «Ils en tuent beaucoup ; un assez grand nombre abandonnent leurs chevaux pour tenter de franchir le fossé et d’escalader la muraille» (BG, 7, 70 : trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). Ensuite, Vercingétorix renvoie ce qui reste de sa cavalerie et fait entrer ses troupes dans l’oppidum, puis fait évacuer les civils et les malades, qui sont voués à un triste sort (BG, 7, 78). Nous confirmons donc que l’oppidum d’Alise n’a pas accueilli en même temps l’ensemble de l’armée gauloise et les Mandubiens, ce qui est clairement indiqué par le texte de César. Pourquoi Vercingétorix, s’il avait bénéficié du site de Chaux, aurait laissé ses troupes hors des remparts, les exposant ainsi aux raids des Germains ? On signalera aussi que le relatif manque de ressources du site du Mont Auxois explique sans doute la durée relativement courte du siège (l’estimation courante est d’un mois et demi). On rappellera pour comparaison qu’il aura fallu 15 mois à Scipion Emilien pour obtenir la reddition de Numance. On peut aussi se demander comment les charges de la cavalerie germaine auraient pu se dérouler dans les gorges des rivières du site de Chaux, la Lemme et la Saine, avant d’en escalader les pentes fortement escarpées.
On notera aussi que, pour D. Porte (Alésia. La supercherie dévoilée), les flancs du mont Auxois sont trop escarpés pour accueillir le camp de Vercingétorix, ce qui montre qu’elle connaît peu le site du Mont Auxois et particulièrement sa partie orientale sur lequel

4

César situe le camp gaulois. Ici D. Porte fait preuve d’une mauvaise fois (sic) inadmissible lorsqu’elle cite les travaux de Joël Le Gall, dont elle utilise des phrases tronquées, et lorsqu’elle mélange des descriptions de différentes zones de l’oppidum. J. Le Gall distingue bien les zones où les falaises escarpées forment une défense naturelle imprenable, des zones qui sont encore aujourd’hui les accès routiers du site et qui possèdent des flancs plus accessibles équipés de voie d’accès. Ce sont surtout les flancs sud et nord qui possèdent des falaises. Les affirmations de D. Porte sont d’ailleurs contredites, dans le même ouvrage (Alésia. La supercherie dévoilée), par un de ses co-auteurs, Bernard Gay, qui évoque des «flancs accessibles».
On trouve d’ailleurs chez D. Porte d’autres affirmations stupéfiantes. Elle s’étonne que Napoléon III place le camps gaulois «à l’est de l’oppidum», On rappellera que c’est César qui affirme que le camp gaulois se trouve à l’est («tout le flanc oriental de la colline était occupé par les troupes gauloises » ; BG, 7, 69 (trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926), que c’est le seul flanc où les pentes permettent l’installation des troupes et que, d’autre part, c’est à cet endroit que se trouvent les portes de l’oppidum. On rappellera aussi que ce flanc oriental réputé moins naturellement défendu a été barré par un murus gallicus du Ier siècle avant J.-C. dont les vestiges ont été retrouvés en fouille. Ce qui confirme parfaitement la description de César. On se demande, en revanche, comment un camp gaulois aurait pu occuper l’ensemble du «flanc oriental» du site de Chaux, étant donné sa longueur et ses pentes prononcées.
Plus étonnant, D. Porte trouve curieux que «les camps gaulois aient choisi l’arrière de la montagne, où s’était apparemment implanté l’habitat, plutôt qu’à l’avant, vide de construction même à l’époque gallo-romaine. S’il se passe quelques événements en front de plaine, il est impossible à ses occupants d’intervenir et même d’être avertis.» En premier lieu, nous rappellerons que la situation est identique sur le site de Chaux-des-Crotenay. Le camp de Vercingétorix est, d’après César, forcément localisé à l’est, devant l’entrée de l’oppidum : étant donné le profil des pentes du site de Chaux, ce camp aurait été nécessairement placé assez loin de la fameuse plaine de Syam. Par ailleurs, malgré les affirmations de D. Porte, aucun habitat gaulois n’a été retrouvé à ce jour à l’est de l’oppidum du Mont Auxois, alors que les fouilles ont montré qu’un habitat groupé était implanté au centre de l’oppidum. D’autre part, D. Porte ignore aussi visiblement qu’à l’avant de l’oppidum, qu’elle considère comme vide, on a identifié, sur le site exigu de la fouille d’En Curiot, cinq maisons et un mobilier homogène très abondant : céramique gauloise et campanienne, amphores vinaires italiques, fibules... ainsi que les fragments d'armes en fer (pointe de flèche, éléments de fourreaux d'épées et de boucliers), le tout permettant d’affirmer que ce quartier, situé à une porte de l'oppidum, a été densément occupé au Ier siècle avant J.-C.
Nous constatons donc que D. Porte confond visiblement l’urbanisme de la ville gallo-romaine (qui occupe, entre autres, la partie orientale de l’oppidum) et l’habitat antérieur à la conquête. On trouve ce même type d’erreur dans les déclarations des défenseurs du site hypothétique de Chaux-des-Crotenay, qui affirment qu’il n’y a pas, à Alise, de peuplement antérieur à la conquête romaine et que l'on y a seulement retrouvé une ville gallo-romaine, donc postérieure à la conquête romaine (Jean Michel, secrétaire général de l'association ArchéoJurasites, dans Presse Pontissalienne, n° 201 : «Les fouilles effectuées à Alise-Sainte-Reine ont néanmoins révélé la présence d’une ville gallo-romaine datant du IIème siècle après J.-C. Mais cela ne confirme pas l’option bourguignonne»). C’est une affirmation étonnante pour un site daté par l’archéologie du début du Ier siècle av. J.-C., et dont le peuplement permanent est attesté dès 80 av. J.-C. La création de l'oppidum d'Alise s'inscrit donc dans le mouvement général d'émergence de cette catégorie particulière de sites urbains (charnière des IIe-Ier s. av. n. è.), le floruit de l'occupation correspondant à La Tène D2 (entre 80 et 30 avant J.-C.), donc à la période du siège.

 5

On constate enfin que le mont Auxois correspond bien à la description de César, «La ville proprement dite était au sommet d’une colline, à une grande altitude, en sorte qu’on voyait bien qu’il était impossible de la prendre autrement que par un siège en règle. Le pied de la colline était de deux côtés baigné par des cours d’eau. En avant de la ville, une plaine s’étendait sur une longueur d’environ trois milles ; de tous les autres côtés la colline était entourée à peu de distance de hauteurs dont l’altitude égalait la sienne» (BG, 7, 69, L. A. Constans. Paris, Société d'édition "Les Belles lettres," 1926.) Une colline imprenable car tout simplement on ne peut en approcher des machines de siège, à la différence des autres places fortes attaquées par César ; elle est bien entourée de collines de taille équivalente (altitude de 380 m contre 400 pour le Mont Auxois), deux rivières coulent au pied de ses falaises et une plaine s’étend bien à l’avant (à l’ouest) de l’oppidum. C’est bien l’interprétation qu’A. Berthier fait du texte qui ne correspond pas au Mont Auxois et non pas la description lapidaire de César.

La ressource en eau

La question de l’eau a été définitivement tranchée en 2010 par Jonhattan Vidal et Christophe Petit : https://rae.revues.org/6500 : l’eau mobilisable par les Gaulois avec les moyens techniques de l’époque est en quantité largement suffisante sur le site de l’oppidum d’Alise.

Les objectifs de Vercingétorix
A. Alix s’interroge sur ce que Vercingétorix va faire à Alésia "Où Ph. Barral a-t-il lu que Vercingétorix se réfugiait sur l'oppidum d'Alésia. Le texte de César n'évoque pas le concept de fuite vers un refuge. C'est là que la thèse alisienne devient incohérente" (La Voix du Jura du 1er septembre 2016). Il semble évident que quelqu’un qui vient d’être mis en déroute, bat en retraite (retraite qui lui coûtera, d’après César, 3000 hommes) et gagne sans faire de pause l’oppidum des Mandubiens, a l’intention de s’y réfugier. On peut discuter pour savoir si ce repli était prévu dans le but de tenter à nouveau la manoeuvre d’encerclement qui avait presque fonctionné à Gergovie ou si cette manoeuvre sera mise en place après le début du siège romain : mais, après la défaite de sa cavalerie, Vercingétorix fuit vers un oppidum, talonné par César. Quelle que soit la suite des évènements, Vercingétorix vivra cette dernière bataille réfugié dans son oppidum et en sacrifiant les civils, qu’A. Alix le veuille ou non. Quoi que l’on pense de la stratégie de Vercingétorix, on voit peu en quoi le fait de dire qu’il s’est réfugié à Alise rendrait la thèse alisienne incohérente. On notera qu’un confrère d’A. Alix, J. Michel, indique, dans ses présentations de conférence, que Vercingétorix se «replie» sur Alésia.

Le camp du Mont Réa

Toujours dans la Voix du Jura, D. Porte localise le camp du Mont Réa en bas de la pente : «escalader les abrupts, pour parvenir au camp nord lorsque celui d’Alise est installé au pied de la colline». Les fouilles de 1997 ont invalidé l’interprétation des vestiges de ce pseudo-camp par les équipes du Second Empire. Cette remise en cause des certitudes de D. Porte a justement été effectuée par un des signataires de notre courrier. L’acharnement de D. Porte à localiser un camp au pied du Mont Réa est étonnant de la part de quelqu’un qui assure avoir «étudié tout ce qui concerne Alise» (Le Progrès, 11 août 2016) et qui, visiblement, ignore les principales publications sur cette question. Acharnement d’autant plus étrange que, dans sa contribution publiée dans Alesia, la supercherie dévoilée, elle affirme, avec raison, que ce camp n’existe plus, «Fort bien. Le camp du Réa n’existe plus. Mais pourquoi conserve-t-on alors, les fossés qui l’entouraient (…) Bien sûr ils sont bien étranges ces fossés sans camp». Nous pouvons rassurer D. Porte qui s’étonne de l’absence de camp, mais note ironiquement la présence

6

de fossés, en lui précisant que ces fossés sont ceux de la circonvallation et de la contrevallation, ainsi qu’un dispositif inédit (fossé et défenses avancées), probablement attribuable au tout début du siège.
Le camp du Mont Réa évoqué par César et localisé sur les pentes du Réa n’a, à ce jour, pas été identifié (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas), mais les hypothèses des équipes napoléoniennes qui ont identifié un secteur potentiel à mi-pente n’ont pas pu être confirmées par manque d’investigations récentes1. Les sondages réalisés dans les pentes du Mont Réa ont mis en évidence un seul fossé attribuable au siège césarien, au demeurant très arasé par les processus d’érosion liés aux pratiques culturales modernes.
1 Sur les flancs du Réa, différents indices laissent supposer l'existence d'au moins un camp, sur un faux plat sensible, au-dessus du «camp D $», les fouilles du XIXe siècle y avaient mis au jour une structure très particulière, qui ressemble beaucoup à une clavicula, et du matériel militaire romain a été trouvé en prospection juste au-dessus. Plus à l'ouest, au-dessus des abattoirs des Laumes, différentes lignes brisées laissent supposer l'existence possible d'un grand cantonnement : là aussi la documentation de Stoffel est insuffisante (...)». M. Reddé, Alésia, L'archéologie face à l'imaginaire, 2003, p. 162.
2 “reliquum spatium, quod est non amplius pedum MDC, qua flumen intermittit, mons continet magna altitudine, ita ut radices eius montis ex utraque parte ripae fluminis contingant,” (BG, 1, 38).
3 “Ipsum erat oppidum Alesia in colle summo admodum edito loco.” (BG, 7, 69).

Le modèle polybien du camp romain
Le recours au modèle des camps romains de Polybe présente le même type d’approximation. D. Porte s’appuie sur une description des camps romains par un auteur mort vers 126 av. J.-C., soit plus de 70 ans avant la conquête de la Gaule. En outre Polybe y décrit des camps d’étape d’une armée en déplacement, et n’évoque en aucun cas la question de camps construits dans le cadre d’un siège. D’autre part, César ne donne pas les dimensions des camps implantés autour d’Alésia. On sait qu’il a fait construire 23 postes (praesidia) répartis sur l’ensemble des fortifications pour les surveiller. Si tous ces postes avaient eu la taille des camps évoqués par D. Porte, César aurait alors disposé de plus de 12 légions. Les troupes romaines ne sont pas concentrées dans quelques camps de type polybien, mais dispersés sur l’ensemble du réseau défensif : «Labiénus, voyant que ni terrassements ni fossés ne pouvaient arrêter l’élan de l’ennemi, rassemble trente-neuf cohortes, qu’il eut la chance de pouvoir tirer des postes voisins» (BG, 7, 87 : trad. L. A. Constans, Les Belles Lettres, 1926). Il est donc plus qu’aberrant de chercher des camps pouvant contenir plusieurs légions alors que Labienus tire l’équivalent de quatre légions des seules garnisons installées à proximité de la dernière bataille. César a très logiquement déployé ses troupes sur l’ensemble des fortifications et ne les a pas concentrées dans un nombre réduit de grands camps.

Le discours césarien

Concernant le récit de César, personne d’entre nous n’affirme qu’il ment : en revanche, il faut constater qu’il est très imprécis et pas seulement dans le cas d’Alésia. C’est d’ailleurs ce qui suscite les débats et les polémiques. Les imprécisions les plus importantes concernent ses temps de trajet : il est impossible de localiser Genabum (Orléans) si on respecte les temps annoncés par César dans la Guerre des Gaules. De même la description des sites est souvent vague dans la plupart des ouvrages de César : la description topographique de César ne suffit pas plus à identifier le site de Gergovie, par exemple. César décrit la citadelle de Vesontio (Besançon) comme une «montagne» de grande altitude (mons, -tis)2 alors qu’elle culmine royalement à 370 m, soit 100 m de dénivelé à partir du pied de la colline, et soit moins que la «colline» (collis, -is)3 du Mont Auxois (407 m), dont le sommet domine de 150 m la vallée de l'Ozerain.

7

Il en est de même au sujet des localisations : par exemple, dans le cas qui nous intéresse : "per extremos fines Lingonum…" (BG, 7, 66, 2). La simple préposition per possède une pluralité d’acceptions et J. Carcopino laisse, dans sa traduction, « à la phrase de César les apparences de l’ambiguïté » (J. Carcopino, Per extremos fines Lingonum, Revue des Études Anciennes, 1969, 71-1, p. 57-64). Ambiguïté d’autant plus compréhensible que cette zone extrêmement contestée entre les puissances locales (Séquanes, Lingons et Eduens) a été à l’origine de la Guerre des Gaules, les Séquanes appelant César à la rescousse pour les débarrasser de mercenaires germains recrutés pour prendre le contrôle de cette frontière. L’exploitation des différents textes (Strabon, César entre autres) confirme que le Val de Saône était une zone de conflits, dans laquelle les frontières sont mouvantes durant la première moitié du Ier siècle avant notre ère. (Fichtl 20094).
4 Les peuples du Jura à l'époque de César, in Richard (A.) dir. - L'isthme européen Rhin-Saône-Rhône dans la Protohistoire, Mélanges Jacques-Pierre Millotte, Annales littéraires de l'Université de Franche-Comté, Besançon, 2009, p. 361-367 (Annales littéraires de l'Université de Franche-Comté 860, Environnement, sociétés et archéologie, 13).
En réalité, ce n’est pas le texte latin qui peut éclairer la localisation, mais la localisation qui permet de choisir comment traduire le texte de César. De fait, c’est un des intérêts majeurs des résultats des fouilles autour du Mont Auxois que de permettre de mieux comprendre comment César a construit son récit, comme l’a brillamment démontré Michel Reddé (Alésia : du texte de César aux vestiges archéologiques. In : Reddé Michel, et von Schnurbein Siegmar, dir. : Alésia et la bataille du Teutoburg : un parallèle critique des sources, Ostfildern 2008, p. 277-289).
Au final, César localise peu les évènements et les données topographiques sont donc extrêmement vagues. Comme cela a déjà été démontré (M. Reddé, Alésia. L’archéologie face à l’imaginaire, Errance, Paris-Arles, 2012, p. 111-116), le modèle théorique d’A. Berthier s’applique à une multitude de sites. Ces imprécisions ne sont pas contradictoires avec le fait que les généraux de César écrivaient à Rome et limitaient ainsi de possibles contre-vérités. Il est douteux qu’un déplacement opéré en trois jours au lieu de deux ou qu’un élément défensif soit plus ou moins espacé en fonction de l’endroit, ait pu être utilisé politiquement contre César. Il est aussi démontré (Michel Rambaud, «L'art de la déformation historique dans les commentaires de César», Lyon, 1953) que César utilise des procédés rhétoriques pour se valoriser, inquiéter le Sénat ou dissimuler certaines erreurs d’officiers dont l’appui familial lui est nécessaire. Sur ces questions, on attend avec impatience que D. Porte publie les témoignages des généraux de César qu’elle affirme posséder et avoir traduits (interview dans Le Progrès, 11 août 2016). Ces documents seraient du plus grand intérêt pour la communauté scientifique. En fait, il n’existe que quelques commentaires de Cicéron dans sa correspondance avec son frère Quintus, qui s’avère un bien piètre officier (Ch. Goudineau, César et la Gaule, Seuil, coll Points, 1990 ; rééd. 2000). En réalité, les sources évoquées par D. Porte n’existent pas.

À propos du témoignage de Diodore de Sicile sur Alésia

, extrait de la Bibliothèque historique, IV, 19 :
«Hercule donna le royaume des Ibères aux plus vertueux des indigènes. Quant à lui il se mit à la tête de son armée, et pénétra dans la Celtique ; parcourant toute cette contrée, il abolit des coutumes sauvages, et entre autres celle de tuer les étrangers. Comme son armée se composait de volontaires accourus de toutes les nations, il fonda une ville qu'il appela Alésia, nom tiré des longues courses de ses troupes. Un grand nombre d'indigènes vinrent s'y établir, et comme ils étaient plus nombreux que

8

les autres habitants, il arriva que toute la population adopta les moeurs des Barbares. Cette ville est, jusqu'à nos jours, en honneur parmi les Celtes, qui la regardent comme le foyer et la métropole de toute la Celtique. Elle est demeurée libre et imprenable depuis Hercule jusqu'à nos jours. Mais enfin, Gaius César, divinisé pour la grandeur de ses exploits, la prit d'assaut, et la soumit avec le reste de la Celtique à la puissance des Romains.» (trad. Ferdinand Hoefer, Paris, Adolphe Delahays, 1851)
On note d’abord que l’essentiel du texte est un récit mythologique intégrant le grand héros civilisateur de l’Occident méditerranéen, Héraclès5, procédé classique chez les auteurs grecs (Robert Turcan, Revue de l’histoire des religions, 187, 1975 : «Alésia aurait dû son nom aux courses errantes d’Héraclès qui l’aurait fondé, étymologie qui confirme l’importance du héros dans les interprétations gréco-romaines de la mythologie celtique»). Le texte se termine par une référence à la prise de la ville par César, avec d’ailleurs une erreur sur la façon dont César s’en est emparé. C’est un texte postérieur à la divinisation de César. Il est évident que Diodore ne connaît pas grand chose à Alésia. Son texte mentionne la ville, car elle a été rendue célèbre par les commentaires de César sur la Guerre des Gaules : Diodore invente donc un récit qui insère la ville dans la geste d’Héraclès en ajoutant des détails pour valoriser le site. Le problème est qu’il est l’unique auteur à citer ces éléments. Il est significatif que César n’ait pas signalé dans son texte le fait qu’Alésia était «la métropole de la Celtique et une grande place religieuse» (D. Porte), un type d’argument propre à valoriser sa victoire. Au contraire, il traite son cas en quelque mots lapidaires : «et prit la route d’Alésia, ville des Mandubiens (oppidum Mandubiorum. D’autre part, il est étonnant qu’une telle cité soit restée inconnue jusqu’à l’arrivée de César et après la conquête. La célébrité d’Alésia n’existe donc que chez Diodore qui est réputé comme un auteur peu fiable. (R. Turcan, ibidem, «Il faudrait connaître les sources de cette donnée pour l’apprécier à sa juste valeur (…) Le problème des sources de Diodore (Posidonius ? Timagène ?) méritait d’être posé»). On pourrait à la rigueur envisager l'hypothèse que ce texte, comme d'autres récits fondateurs, soit un témoignage mythologique d'une possible colonisation grecque au nord de Lyon mais, dans ce cas, il faudrait que D. Porte nous en apporte la preuve.
5 Jourdain Annequin C., Héraclès aux portes du soir. Mythe et histoire, Paris, Les Belles Lettres, 1989.
Néanmoins, nous ne suivrons pas D. Porte dans ses propos extravagants sur l’intervention des Cyclopes dans la construction des murs des cités grecques ou sur les obscurs «contemporains d’Hercule» : «En cela les murs de Chaux font très honorable figure à côté des constructions auxquelles les Cyclopes mirent la main. C’est précisément si on avait un murus gallicus autour de Chaux-des-Crotenay qu’il faudrait s’inquiéter : voilà qui affecterait à la ville une naissance autour du IIe siècle avant J.-C. … au plus tôt. En fait de métropole de toute la Celtique bâtie par des contemporains d’Hercule, on peut trouver mieux». (L’imposture Alésia, p. 217). Nous voulons bien lire les ouvrages de D. Porte, mais on comprendra qu’il est compliqué d’avoir un débat scientifique avec quelqu’un qui possède un système de datation basé sur des récits mythologiques et qui pense visiblement, à la lire, que les Cyclopes ont existé. D. Porte, comme d’habitude, affirme de façon péremptoire des vérités qui ne sont que des hypothèses invérifiables, voire extravagantes.

Les vestiges du siège d’Alésia

Demeure la question des vestiges du siège qui ne correspondent pas toujours précisément à la description de César. On notera d’abord que d’éminents spécialistes comme R. Turcan (http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1993_num_137_2_15213, p. 312), que D. Porte ne pourra accuser de ne pas connaître le latin, estiment que

9

l’énumération par César de ses défenses s’en tient à des directives générales (haec genera munitionis instituit : BG, 7, 72), nécessairement variables dans le détail, selon le terrain à aménager. Sur une vingtaine de kilomètres, n’importe quel militaire comprend que l’on s’adapte en renforçant les points les plus menacés et en limitant les éléments défensifs quand ils sont moins nécessaires (défense naturelle). Ce point précisé, sur l’ensemble des zones fouillées à Alise, aucun piège ou élément défensif n’échappe à la description césarienne : c’est essentiellement leur association et leur organisation spatiale qui peuvent varier. Tout ceci est bien évidemment expliqué en détail dans les différentes publications liées aux fouilles de 1991-1997 que D. Porte est censée avoir lues. Il est aussi démontré que, dans certains cas, des fossés temporaires ont été aménagés pendant la période du siège. On observe aussi des repentirs (c’est à dire des corrections de tracés de lignes césariennes), qui indiquent clairement que le dispositif césarien est un système dynamique, en continuelle transformation, comme on peut s’y attendre logiquement dans la pratique d’un siège.

La question des monnaies

Franck Ferrand, le sémillant et papillonnant journaliste qui aime à se montrer en train de lire César dans le texte, assis dans une cabine d’hélicoptère (film de Canal+, 12 décembre 2008), fervent adepte de la thèse d’A. Berthier et compagnon de route de D. Porte, fait souvent référence à l’existence d’un mystérieux faux utilisé par les défenseurs du site d’Alise. En fait, les spécialistes du sujet savent bien que ce faux n’en est pas un, ou plutôt n’en est plus un, depuis l’étude de J.-B. Colbert de Beaulieu, le grand spécialiste de la monnaie celtique, à la fin des années 1960, et qu’en réalité, on est très loin d’un quelconque complot. Ce statère d’or n’est pas référencé dans l’ouvrage de Napoléon III publié en 1866 et n’a donc pas été utilisé comme preuve par l’empereur, ce qui est normal puisque l’Etat ne l’a acquis qu’en 1867 pour le verser au Musée des Antiquités nationales.
En 1866, Napoléon ne décrit que les fameux bronzes dits "obsidionaux". Ces monnaies frappées avec les coins servant aux monnaies d’or sont en réalité façonnées dans un alliage de cuivre (laiton) et servaient de reconnaissance de dette, le possesseur pouvant les échanger contre des pièces d’or après la fin de conditions exceptionnelles, comme par exemple un siège ou une campagne militaire. Elles sont extrêmement rares et Napoléon III ne s’est pas rendu compte de l’utilisation qu’il pouvait en faire pour sa démonstration : mieux, ces monnaies ont été un moment sorties de la collection du musée (J. Harmand déclarant « il semble y avoir eu évanouissement de la monnaie de Grésigny aux Antiquités Nationales dans les dernières années du XIXe s. »), le statère d’or de 1867 remplaçant de façon absurde les monnaies de laiton jusqu’à leur re-découverte par J.-B. Colbert de Beaulieu dans les collections du musée. Comme d’habitude, dans ce dossier, il suffit de lire les résultats des recherches récentes. Depuis la fin des années 1960, le statère qui ne prouve rien a été sorti des collections d’Alise et les monnaies issues des fouilles de Napoléon III réintégrées à leur place.
Aujourd’hui, la très abondante collection monétaire d’Alise a été de nouveau expertisée et elle participe largement à conforter l’identification du site.
Comme d’habitude, les défenseurs du site de Chaux-des-Crotenay se contentent d’hypothèses dépassées et révèlent leur profonde méconnaissance des travaux récents (pour plus d’informations sur ce dossier, voir par exemple: Brigitte Fischer, Les monnaies gauloises du siège d’Alésia, Dossier d’Archéologie n° 305, Alésia. Comment un oppidum gaulois est entré dans l’histoire).

Les défenseurs du site de Chaux-des-Crotenay ignorent, dans la totalité de leurs affirmations sur Alise, les données récentes et les résultats de fouilles conduites dans les années 2000 : ils s’accrochent à des interprétations datant du siècle dernier, voire du XIXe siècle.

10

Que reste-t-il désormais du site de Chaux-des-Crotenay ?
Dans le dossier de la localisation d’Alésia à Chaux-des-Crotenay, on assiste à une réécriture de l’histoire, A. Berthier étant présenté comme un martyre persécuté par un obscur complot et qui aurait travaillé sans moyens, notamment sans micro-ordinateur, instrument effectivement relativement rare 15 ans avant son invention ! Cette description est étonnante quand on lit les synthèses de Jean Michel (fervent berthiériste), réalisées à partir des archives de l’association ArchéoJurasites. On se contentera ici de ces synthèses, l’accès aux archives Berthier étant refusé aux contradicteurs de son oeuvre : ces archives, selon un procédé étonnant, ne sont ouvertes qu’«aux personnes qui s’intéressent positivement à la cause de l’inventeur du site Alésia-Chaux-des-Crotenay» (précision de Jean Michel, secrétaire général de l'association ArchéoJurasites) et interdites à toute personne ayant un lien familial avec un des signataires du manifeste des chercheurs de juillet 2016. Les collectivités territoriales, qui ont contribué aux 32000 euros de subventions dont l’association ArchéoJurasites a bénéficié en 2014, apprécieront6.
6 On est d’ailleurs en droit de s’étonner du soutien apporté à ces associations pro-Alésia en Franche-Comté, par certaines collectivités locales, pourtant dûment averties, à maintes reprises, par les autorités de l’Etat, voire par leurs propres services, du peu de crédit scientifique dont ces thèses sont créditées.

André Berthier et le gouvernement français
On découvre, dans lesdites synthèses, un Berthier qui bénéficie d’autorisations de fouilles de ministres importants et de personnages influents du gaullisme, André Malraux, emblématique ministre de la Culture du Général de Gaulle, puis Jacques Duhamel, député du Jura, maire de Dole et Ministre des Affaires culturelles dans les gouvernements de Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer. Il a obtenu des subventions reconduites par le Ministère de la Culture, puis des subventions d’Edgar Faure et du Conseil général du Jura (un million d’anciens francs) qui se sont ajoutés aux 200 000 anciens francs annoncés par les autorités archéologiques. Il a aussi bénéficié de la mise à disposition de tirailleurs marocains appartenant à une compagnie du 27e Régiment d’Infanterie, ainsi que d’une pelleteuse mécanique grâce à Pierre Messmer, alors ministre des Armées, et de relevés effectués par les Ponts et Chaussées, sans parler évidemment des appuis chez les archivistes, son corps d’origine. On passe aussi sous silence les sondages de l’été 1965 annoncés avec le soutien du 27e RI du Fort des Rousses et avec recours à un hélicoptère. Ce soutien de l’armée se vérifie encore sous la présidence de F. Mitterrand, quand un Mirage III-R de la base aérienne de Strasbourg effectue, en 1983, une mission photographique sur le secteur de Chaux-des-Crotenay. Nombreux sont les archéologues qui auraient apprécié, à la même période, de telles sollicitudes de la part de l’Etat et des autorités militaires. Ces soi-disant “petits sondages” de 1964 ont demandé une remise en état du site par l’entreprise A. Pernot de Champagnole qui a rebouché les cinq tranchées, et une indemnisation de l’agriculteur qui n’est pas parvenu à ré-ensemencer son champ. Cette indemnisation nécessite une intervention d’huissier en mai 1965 et l’intervention du préfet qui menace de prélever dans les subventions pour régulariser la situation (mentionné dans Jean Michel, Il y a 50 ans… 7 journées de fouille Berthier autorisées en 1965.)
Et tous ces investissements pour quels résultats ? Un rapport de fouille envoyé très tardivement et qui ne donne rien de probant, y compris pour les fouilleurs d’A. Berthier : «Le 3 janvier 1966, Albert Girard, son chef de chantier, accuse réception du rapport d’A. Berthier, soulignant l’importance du gros mur (mur militaire) du camp des Sarrazins. S’il

11

est globalement d’accord avec A. Berthier, il dit regretter qu’il n’y ait rien de “plus palpable et d’indiscutable” sur l’oppidum lui-même alors que les vestiges sur celui-ci ne demandent qu’à parler.» (dans Jean Michel, Il y a 50 ans… 7 journées de fouille Berthier autorisées en 1965). En fait, l'analyse des synthèses d’ArchéoJurasites montre le total amateurisme du projet : aucune investigation de terrain n’ayant été faite au préalable pour étayer la demande de fouilles, A. Berthier a perdu 26 jours de son mois de fouilles à faire des repérages qui auraient dû être effectués en amont. Dans ces conditions, il était bien évidemment impossible que les autorités archéologiques accordent des autorisations de fouilles et détachent une partie leurs maigres moyens de l’époque qui étaient mobilisés sur le site de Villards d’Héria, menacé par des travaux effectués par le Génie rural. Plutôt que de comprendre ces raisons et d’étayer son projet, A. Berthier décida de passer outre les autorités locales et d’utiliser ses propres réseaux.
Au début des années 70, les fouilles reprennent grâce à l’intervention de Bernard Edeine, un archéologue confirmé, membre du CNRS, proche d’A. Leroi-Gourhan. Bernard Edeine a contribué par sa rigueur à faire de l’archéologie une véritable science qui s’appuie sur des protocoles précis et sur l’analyse des vestiges. Comme A. Leroi-Gourhan, il limite au maximum les hypothèses pour ne partir que des données des fouilles. Un personnage très éloigné des méthodes de D. Porte ! B. Edeine est, d’autre part, comme A. Leroi-Gourhan, un formateur qui a fondé l’Ecole internationale du Mont Joly, qui sera installée sur le site de Chaux entre 1969 et 1972. Les fouilles sont dans un premier temps refusées : A. Berthier fait alors jouer ses réseaux politiques et obtient le soutien du Président du Conseil Général (10 000 francs) et un hélicoptère de la gendarmerie. En août 1969, 25 stagiaires du Mont Joly s’installent dans le centre de vacances des Messageries Maritimes au hameau de Cornu : il y a là des physiciens, des géologues, des géomorphologues, des architectes, des photographes, des dessinateurs, des techniciens du CNRS et des étudiants. Ils conduisent toutes les expertises nécessaires à la mise en place d’un projet de fouilles, y compris des relevés photographiques en infra-rouge. Sur cette base, A. Berthier obtient du Ministre des Affaires culturelles une autorisation de fouilles pour l’été 1970. Face au manque de résultats probants, l’autorisation de fouilles est refusée pour 1971 mais, là encore, elle est acceptée par le Ministre des Affaires culturelles, Jacques Duhamel, ce qui entraîne la démission du Directeur des Antiquités historiques de Franche Comté, Lucien Lerat, agrégé de Lettres classiques, ancien pensionnaire de l’École d’Athènes, professeur d’Histoire de l’Art et d’Archéologie classique à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Besançon, en plein désaccord avec ces recherches.
Suite à la découverte en 1971 de nouveaux éléments lors de travaux de drainage, à La Grange d’Aufferin (Syam), une autorisation de fouilles est accordée pour l’année 1972 par Jacques-Pierre Millotte, qui a succédé à Lucien Lerat à la Direction des Antiquités de Franche-Comté. Elles sont, là encore, conduites par B. Edeine. Elles seront ses dernières, car un conflit éclate entre B. Edeine et A. Berthier sur l’analyse des résultats, le premier contestant les sur-interprétations des résultats. Il rédige un contre-rapport rappelant que l’archéologie « est l’école de la patience et de la ténacité ». La datation au carbone 14 réalisée par le laboratoire de Saclay montrera que les fosses, identifiées par A. Berthier comme des pièges de César (lilia), loin d’être romaines, datent des XIIe et XIIe siècles après J.-C. et correspondent à des pieux d’une structure agricole non identifiée. Les céramiques collectées lors des opérations de 1971 sont datées de la même époque. Mais comme nous l’avons vu, les berthiéristes s’embarrassent peu de chronologie. B. Edeine quitte alors le chantier en pleine fouille et ne procédera à aucune publication scientifique de ses travaux sur le site de Chaux.
D’autres archéologues connaîtront les mêmes mésaventures en tentant de collaborer avec A. Berthier. Le conflit entre Christophe Méloche et A. Berthier présente les mêmes caractéristiques : A. Berthier, au mépris de toute analyse du mobilier trouvé,

12

transforme une grange médiévale en un édifice romain. Cette ultime dispute conduit à une grave crise au sein de l’association A.L.E.S.I.A, en 1993, A. Berthier refusant tout simplement de publier, dans le bulletin de l’association, les résultats et analyses de Ch. Méloche sur les éléments découverts sur le site de Crans (http://berthier.archeojurasites.org/content/le-secteur-de-la-cote-poire-etat-de-la-recherche-et-perspectives).

Ainsi donc, malgré le discours dominant des défenseurs du site hypothétique de Chaux-des-Crotenay, des fouilles ont bien été conduites dans ce village,  et alentour, ainsi que de nombreux sondages. Des interventions sont d'ailleurs encore régulièrement conduites dans le cadre de fouilles de sauvetage commandées par l’État. 

Des contrôles archéologiques récents

Contrairement aux affirmations péremptoires de D. Porte, le site de Chaux a bien été visité, à plusieurs reprises, par des professionnels.
En 1999, une équipe composée de Pierre Nouvel, alors archéologue bénévole et secrétaire de l’Association archéologique universitaire de Bourgogne, et de chercheurs de l’AFAN y a conduit des prospections. Ils n’ont récolté que du mobilier identique à celui trouvé par A. Berthier : l’ensemble est datable des IIe et IIIe s. après J.-C.
En 2001, un journaliste de Libération, Thierry Secrétan, accompagne deux archéologues anglais de l’université de Lincoln sur le site de Chaux : étrangement, ce rapport n'est pas rendu public par les partisans du site de Chaux. http://www.liberation.fr/cahier-special/2001/08/18/syam-le-mystere-reste-dans-le-champ_374500. Il semble que la substance du rapport des deux archéologues anglais soit bien éloignée du discours enthousiaste de Th. Secrétan.
En 2008, une équipe d’archéologues suisses et français et de géologues français a expertisé le site de Chaux-des-Crotenay, à la demande d’ArchéoJurasites : le bilan est implacable et confirme les analyses des géologues des années 1960 (N. Théobald). Aucune des structures hors-sol présentées n’a de finalité militaire ou religieuse plausible, et n’est datable de l’Antiquité : l’ensemble relève de structures agricoles « récentes », le plus souvent liées à l’évacuation de pierres pour en débarrasser les champs. Certaines structures sont tout simplement naturelles. Pourtant ces structures continuent à être présentées comme des éléments d’un supposé oppidum ou d’une ville gallo-romaine. Rappelons simplement que rien ne prouve que les murs de Chaux-des-Crotenay soient militaires : ils sont liés à l’activité agricole comme ceux du pseudo-site de Gergovie aux Côtes-de-Clermont. Les novices sont souvent stupéfaits de ce que pouvaient réaliser les agriculteurs de l’époque moderne : http://www.cotes-de-clermont.fr/Ascot-pierres-origine.html.
En 2011, le matériel trouvé par A. Berthier a été expertisé par J.-P. Guillaumet, A. Desbat, S. Marquié, M. et J.-R. le Nézet. Le rapport d’expertise montre que le matériel trouvé ne date pas de la période du siège et qu’il ne présente aucun caractère militaire. Il est tardif (second siècle après J.-C., médiéval et moderne). Les pièces métalliques sont très tardives (XVIe-XVIIIe siècle après J.-C.) et pour l’essentiel caractéristiques d’objets perdus lors de travaux forestiers, de réparation de clôtures ou de rejets de fumures. La céramique expertisée, si elle atteste bien une présence gallo-romaine postérieure au Ier siècle après J.-C et donc, de fait, à la conquête romaine, est atypique pour un habitat : elle correspond sans doute à des dépôts éventuellement en lien avec la présence de la source voisine.
On constate donc que l'ensemble des travaux conduits sur le site de Chaux-des-Crotenay ont invalidé les théories d’A. Berthier : absence de peuplement au Ier siècle av.

13

J.-C., absence de mobilier militaire, absence de traces de bataille. Des éléments qualifiés d’«anthropiques» s’avèrent purement naturels. On relève aussi la découverte de mobilier médiéval lié au château de Chaux et de l’époque moderne. Des sites prétendument gallo-romains, selon A. Berthier, se révèlent être en réalité des édifices médiévaux, etc.

Toute l’exploration scientifique du site de la Chaux-des-Crotenay conduit à montrer qu’A. Berthier s’est trompé sur toute la ligne. Son refus, au début des années 90, de reconnaître la réalité des résultats des opérations des fouilles et sondages conduites depuis les années soixante, ainsi que les expertises chronologiques des structures et du mobilier, a conduit à la scission de son association, à la dispersion du matériel découvert et à l’absence d’une publication scientifique des résultats, donc de fait à l’abandon du travail d’identification des vestiges mis au jour.
Nous notons que l'association Archéojurasites refuse de publier ces rapports alors qu'elle s'y était engagée. "Ils ont rédigé un rapport que nous publieront intégralement sous une forme qui n'est pas encore définie". Lettre d’information ArchéoJurasites de janvier 2012). On attend encore cette publication.

Concernant la pseudo-statue de la « déesse Alésia »
Les affirmations de D. Porte dans la Voix du Jura sont comme d'habitude "chronologiquement confuses". Si on tente de reprendre les choses dans l'ordre, la statue remonterait, selon elle, "vraisemblablement à bien plus loin dans le temps" que l'Âge du Bronze et relèverait "plus de l'art préhistorique que de l'art gaulois" ; elle aurait été réalisée par "des hommes de Cro-Magnon" et aurait été usée par le passage "de quelques milliers d'années". C’est là un florilège rare d’ignorance.
Essayons donc de replacer chronologiquement la «statue» de D. Porte.
Il y a 24 000 ans, l'emplacement de la ville actuelle de Champagnole était recouvert de plus de 200 mètres de glace ; seul le sommet du Mont-Rivel émergeait de ce glacier. Le territoire de Chaux et des environs était donc lui aussi sous la glace. Le recul complet de ce glacier a été long. La végétation à caractère très boréal mettra longtemps à s'installer, limitant ainsi le développement de la faune et, par voie de conséquence, l'exploration de ces contrées par les chasseurs-cueilleurs (au passage, nous informons D. Porte que c'est à ces reconstitutions que servent les recherches en paléoenvironnement). Ainsi donc, dans l'état actuel des recherches, les plateaux du Jura et la Haute-Chaîne (sauf dans sa partie sud), sont vides d'occupations magdaléniennes (Magdalénien qui se termine il y a environ 12 000 ans) et, bien sûr, d'occupations plus anciennes. Les sites connus pour cette époque restent à basse altitude, dans les vallées (Doubs, Ain, Suran, Seille, Ognon...) ; dans le Jura, il faut citer Arlay et Gigny. Ces sites ont été très largement - et sérieusement - fouillés. Les seules preuves d'art se présentent sous la forme de quelques bâtons percés et des séries de stries sur des outils en os. Aucune gravure. Aucune sculpture. Et bien sûr, si des sculptures avaient été façonnées par des hommes avant cette dernière glaciation (ce qui nous projette au-delà de 70 000 ans, donc au-delà des formes d'art connues aujourd'hui), elles auraient été emportées par le glacier.
Pour la période suivante (Epipaléolithique-Mésolithique), qui voit se développer les dernières tribus de chasseurs-cueilleurs ayant fréquenté notre région, là aussi, les recherches menées jusqu'à ce jour démontrent que les plateaux jurassiens, s'ils étaient fréquentés, ne révèlent aucun site majeur d'habitat ; ce type de sites se retrouve encore à des altitudes plus basses. À cette époque aussi, les découvertes d'objets relevant de l'art sont très limitées, les plus connus et les plus proches du Jura étant les galets peints et les galets gravés de Rochedane (25). Quelques galets striés, quelques parures de coquillages et d'os sont également connus. Mais là encore, pas de sculptures.

14

La période suivante est le Néolithique. Pour se concentrer sur le Jura, de très nombreux sites y ont été fouillés. Les plus célèbres étant ceux de Chalain et de Clairvaux-les-Lacs, proches de Chaux-des-Crotenay. À cette période, les représentations figuratives sont inconnues dans notre région. Il faut aller plus à l'est de l'Europe pour trouver des sculptures de petite taille représentant des personnages. La pseudo-statue de D. Porte ne peut donc être raisonnablement préhistorique, sauf à imaginer que D. Porte ait identifié un modèle unique qui mériterait une publication dans une grande revue scientifique.
La sculpture n'est en fait qu'une merveilleuse bizarrerie de la Nature. Le lapiaz est une formation géologique très commune – presque emblématique – sur le massif jurassien. Ces formations sont retrouvées partout sur le territoire de Chaux-des-Crotenay et de ses environs, comme le soulignent les rapports de visite de M. Campy, géologue, et de Ph. Curdy, archéologue, en 2008. La "statue" n'est que l'expression de ce phénomène géologique naturel. On trouve beaucoup de ces pierres en Franche-Comté et elles ont longtemps été utilisées pour décorer les jardins des pavillons des villages de la région.

Là encore l'ignorance de D.Porte sur ces éléments a entraîné de sa part des interprétations délirantes.

Une polémique conduite par des amateurs.

L’ensemble du propos des défenseurs de la thèse de Berthier est soutenu par des amateurs, certes respectables, mais dépourvus de compétences spécifiques dans les domaines évoqués. F. Ferrand a un DEA d’histoire moderne sur Versailles et se contente de recycler des thèses éculées et complotistes, sans rien apporter de nouveau. La plupart de ses ouvrages est démonté (sic) par les différents spécialistes des périodes évoquées. L'historien Philippe Oriol, spécialiste de l'affaire Dreyfus, commente ainsi le chapitre de F. Ferrand consacré à cet événement : «En 2008, ce fut au tour de Franck Ferrand de nous donner son point de vue sur l'Affaire dans son Histoire interdite. Révélations sur l'histoire de France. En trente pages qui accumulent les approximations, les erreurs et les naïvetés (on notera le superbe : «cette pièce prendra le nom de faux Henry, ce qui nous en dit long, déjà, sur son authenticité...»), il reprenait la thèse du troisième homme, occasion de fustiger la «vulgate» de «l'histoire officielle.» Ph. Oriol conclut : «Nous voulons bien qu'il y eût un deuxième, un troisième, même un quatrième homme... Mais il faudrait pour cela développer une argumentation plus convaincante et, comme toujours, avoir une connaissance du dossier un peu plus sérieuse et retourner aux sources archivistiques» (http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http%3A%2F%2Faffaire-dreyfus.com%2F2014%2F08%2F09%2Flhistoire-interdite-de-franck-ferrand-la-legende-du-troisieme-homme%2F).
D. Porte est une latiniste sans compétences archéologiques (elle le reconnaît elle-même, ce qui ne l’empêche pas d’identifier des statues dans des blocs de calcaire brut !) et elle n’est entourée que d’amateurs dans le domaine. Elle définit ainsi leur méthode de travail : «Chacun a fait ce qu'il a voulu en fonction de ses propres compétences» (Voix du Jura du 15 mai 2014). Reprenons donc la liste de ses fameux «chercheurs et experts» : Éric de Vaulx (vétérinaire), Régis Sébillotte (retraité des sociétés autoroutières), Yannick Jaouen (chargé d'études dans le BTP), Bernard Gay (retraité de l'armée), Jacques Rodriguez (professeur au Conservatoire), René Marchand (journaliste de presse halieutique), Arnaud Lerossignol (secteur bancaire) et François Chambon (architecte), ce dernier s’étant auto-proclamé spécialiste du LIDAR.
Attardons-nous sur ce dernier qui a annoncé dans la presse avoir découvert par LIDAR des socles de tour du système défensif romain. Cette affirmation qui, comme d’habitude, n’a donné lieu a aucune publication sérieuse, est plus qu’étonnante puisque les tours considérées n'ont pas de socle. Comme César l’indique et comme cela a été

15

vérifié par des fouilles, ces tours sont fichées dans le remblai qui sert de muraille, elles sont en bois et seuls les trous de poteaux qu’elles laissent permettent de les identifier. Ces trous sont invisibles par technique LIDAR. Ce qu’à la rigueur M. Chambon pourrait voir, c’est l’ensemble du rempart, mais pas des socles espacés de 24 mètres. Le LIDAR est une technique en développement, très compliquée à manipuler même par des professionnels et qui, quoi qu’il en soit, ne fournit aucune preuve si elle n'est pas confrontée à une grande connaissance des structures observables et surtout de l’évolution de leurs vestiges dans le temps. On notera que le laboratoire d’archéologie de Besançon, Unité Mixte de Recherche du CNRS, possède, dans le domaine des expertises LIDAR, une reconnaissance internationale et que, contactés par M. Chambon, ses chercheurs ont invité ce dernier à venir présenter ses résultats. Il n’a jamais donné suite.
Le cas de M. Chambon n’est pas isolé. Il est impossible d’aborder scientifiquement cette question avec des auteurs rédigeant les propos suivants : «Nous en sommes donc réduits à des extrapolations aussi laborieuses qu’aléatoires, fondées sur des observations contemporaines», B. Gay, La supercherie dévoilée. On ne construit pas un argumentaire scientifique avec des extrapolations laborieuses et aléatoires sans rien connaître des travaux conduits par les archéologues. Et que dire de l’analyse démographique de Yannick Jaouen, dans le même ouvrage, analyse qui extrapole la densité du Mont Auxois à partir d’une estimation du nombre de spectateurs lors d’un concert de …. Nolwenn Leroy donné sur l’esplanade Charles-de-Gaulle de Lille, et qu’il conclut ainsi : «Toutefois, j’en conviens, cette démonstration visuelle n’a rien de scientifique …». On ne peut que partager son avis. On notera que, comme tous les «berthiéristes», Y. Jaouen décrète l’existence d’une ville au sens moderne du terme sur le Mont Auxois, ce qui montre sa totale méconnaissance du peuplement des oppida du Ier siècle avant J.-C.
L’essentiel des auteurs modernes cités par les partisans d’Alésia à Chaux-des-Crotenay sont intervenus dans le cadre de débats stériles d’une autre époque où les seules sources exploitables étaient les textes antiques. Les contradictions entre les auteurs de l’Antiquité ont même conduit certains érudits à imaginer deux «Alésia», comme on avait un temps imaginé deux Cenabum (Orléans). Ce temps est révolu : aujourd’hui, l’archéologie_n’est_ plus là pour valider des hypothèses d’historiens, comme le pense D. Porte, mais elle est capable de produire des informations solides et datées et des éléments d’analyse qui remettent en cause l’essentiel des connaissances anciennes sur les Gaulois._ Balbutiante à la fin du XIXe siècle, elle est devenue une science à part entière, avec ses outils et ses méthodes propres.
L’ensemble du discours des personnes qui soutiennent la localisation jurassienne n’est fondé que sur  des  hypothèses  sans aucun  fondement  historique  et archéologique. «César va de Langres à Genève en passant par Chaux-des-Crotenay», hypothèse invérifiable et très contestable. César écrit seulement qu’il_se porte au secours de la «province» (la Transalpine, future Narbonnaise), sans préciser comment il_compte s’y rendre. Tel amas pierreux devient un mu défensif, telle zone naturelle une esplanade militaire, sauf que les fouilles conduites n’y trouvent rien de militaire. «Le site de Chaux correspond au texte de César», alors qu’il ne correspond, comme d’autres, qu’à un modèle élaboré par A. Berthier.
16

En conclusion
Nous notons que le discours sur l’absence de fouilles relève du mythe et qu’André Berthier a bénéficié, au contraire, d’appuis politiques, journalistiques et logistiques importants dans le contexte des années 60 et 70.
Que les fouilles et sondages d’André Berthier n’ont découvert que des éléments du IIe siècle après J.-C. ou de la période médiévale, ce qui a été confirmé par tous les travaux archéologiques réalisés depuis lors.
Que de pseudo-chercheurs tiennent un discours sans base scientifique, décrivant de façon poétique sinon fantaisiste des pseudo-structures archéologiques sans apporter aucune preuve concrète pour justifier leur affirmation.
Que les défenseurs du site de Chaux-des-Crotenay ne s’appuient sur aucune expertise scientifique et se contentent d’hypothèses anciennes qu’ils font passer pour des vérités historiques.
Que ces personnes ignorent les progrès des recherches historiques et archéologiques des 30 dernières années, alors même que celles-ci sont dûment publiées.
Que ces mêmes personnes dissimulent sciemment des expertises sur le terrain, anglaises et franco-suisses (2008) qui confirment les analyses des archéologues et géologues français réalisées depuis 40 ans et qu’ils ne publient que de très courts passages, anodins, des expertises du mobilier réalisées (par exemple, par J.-P. Guillaumet, A. Desbat, S. Marquié, M. et J.-R. le Nézet, en 2011). Pire, malgré ces preuves évidentes, ils continuent, au mépris de toute déontologie, à présenter le site de la Chaux-des-Crotenay comme un site militaire du Ier s. avant J.-C. alors que les vestiges qui s’y trouvent sont agricoles et plus tardifs.
Ce culte du secret est caractéristique de personnes dépourvues de pratique scientifique, qui se satisfont de l’absence de rapport de fouille et de sondage détaillés, de l’absence de tout enregistrement chrono-stratigraphique, ce qui est commode pour transformer des structures médiévales, modernes ou contemporaines en vestiges celtiques ou gallo-romains, de l’absence de toute publication scientifique argumentée, catégorie de publication dont D. Porte et F. Ferrand sont parfaitement incapables, faute de formation adéquate, du moins quand ils évoquent le dossier d’Alésia.
Pour toutes ces raisons, nous confirmons que les  différents sites de Chaux-des-Crotenay témoignent d’une occupation agricole de l’Antiquité  tardive et de l’époque médiévale liée à la proximité de l’agglomération gallo-romaine du Mont Rivel, puis à une seigneurie médiévale et donc au  château de Chaux-des-Crotenay. Et qu’avant d’y envisager des fouilles, il est nécessaire d’y conduire un travail historique sur les archives et les plans anciens afin de préciser l’histoire globale du site. Ce qu’A._ Berthier aurait dû  effectuer avant d’investir de l’argent public dans cette_ aventure _ Il est évident que les différents sites de Syam, Crans et de Chaux-des-Crotenay- présentent un réel intérêt archéologique et historique, comme l’ont montré  les_ rapports de Ch. Méloche, et qu’ils devraient faire l’objet non seulement de publications scientifiques, mais aussi d’une valorisation appropriée. Mais  il faudrait, pour cela, monter un projet scientifique rigoureux avec des spécialistes des périodes concernées (médiévistes et modernistes) et  cesser de faire croire que ces sites ont un quelconque rapport avec un siège militaire du Ier siècle avan  J.-C. L’acharnement des_ défenseurs d’une Alésia jurassienne à nier la réalité des faits porte clairement préjudice à ces sites, qu’ils sont pourtant censés défendre, en empêchant tout travail scientifique serein dans cette zone.
L’archéologie a en revanche démontré, dès 1861, que l’oppidum_du Mont Auxois avait été  l’objet d’un siège militaire au milieu du  1er siècle av. J.-C. dont les   
17

vestiges nombreux, vérifiés à de multiples reprises par des techniques diverses (dont la photographie aérienne et des fouilles scientifiques, de grande ampleur dans les années 1990), correspondent avec une grande précision à la description que donne César du siège d’Alésia. Quand on ajoute que le nom antique  Alesia est attesté par plusieurs inscriptions gallo-romaines trouvées  sur le mont Auxois, on comprendra que la communauté archéologique du début du XXIe siècle soit lassée de l’audience que la presse, et parfois même les pouvoirs publics, accordent  aux élucubrations de Monsieur Berthier et de ses émules.

À  lire  :
Grand public
Dossier d’Archéologie n°305, Alésia. Comment un oppidum gaulois est entré dans l’histoire, Dijon, juillet/août 2005.
REDDÉ Michel, 2003. Alésia, l’archéologie face à l’imaginaire, Hauts-lieux de l’histoire, Errance, Paris.
Ouvrages et articles savants
GOUDINEAU Christian, 2001. Le dossier Vercingétorix, Paris, Actes Sud/Errance.
GOUDINEAU Christian, 2002. Par Toutatis ! Que reste-t-il de la Gaule ? Paris, Le Seuil.
REDDÉ Michel et VON SCHNURBEIN Siegmar (dir.), 2001. Alésia : fouilles et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Paris, Diffusion de Boccard (Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ; 22).
REDDÉ Michel et VON SCHNURBEIN Siegmar (dir.), 2008. Alésia et la bataille du Teutoburg. Un parallèle critique des sources, Thorbecke, 2008.
REDDÉ Michel, von SCHNURBEIN Siegmar, BARRAL Philippe, BÉNARD Jacky, BROUQUIER-REDDÉ Véronique, GOGUEY René, JOLY Martine, KÖHLER Heinz-Jürgen, PETIT Christophe, 1995. “Fouilles et recherches nouvelles sur les travaux de César devant Alésia (1991-1994). Neue Ausgraben und Forschungen zu den Belagerungswerken Caesars um Alesia (1991-1994)”, Bericht der Römisch-Germanischen Kommission, 76, p. 73-158, pl. 25-38, cartes 1-10.
VIDAL Jonhattan et PETIT Christophe, « L’eau sur le site d’Alésia : la contrainte hydrogéologique lors du siège de 52 av. J.-C. », Revue archéologique de l'Est, Tome 59-1 | 2010, [En ligne], mis en ligne le 05 janvier 2012. URL : http://rae.revues.org/6500. »

________________________________________________

On remarquera sans peine l’objectivité de cette bibliographie : aucun de nos ouvrages n’est cité, pas même ceux d’André Berthier. Le «grand public», ainsi orienté, ne risque pas de sortir de l’orthodoxie , ni, surtout, de vérifier la véracité des griefs qu’on nous oppose.

Car, pour cela, il faudrait avoir lu ce que nous écrivons, perspective devant laquelle les Alisiens, surtout les 753 commentateurs cités à la suite de leur texte, se bouchent les yeux avec l’horreur de la vierge outragée : «Quoi ! s’abaisser à lire trois lignes émanant de ces débiles profonds… se peut-il ?»

Mieux vaut se rallier à la thèse officielle. Mieux vaut éviter de se poser les questions gênantes et essentielles qui surgissent dès la lecture des mouvements décrits par César ; éviter, donc, de se demander pourquoi le général romain montre que les Gaulois «escaladent les pentes abruptes» pour atteindre «les camps des hauteurs», puisque le camp Nord(-ouest) d’Alise, d’où ont surgi toutes les preuves matérielles souhaitables, se trouve au pied du mont Réa… Car, si l’on a bel et bien abandonné le pseudo-camp du Réa (tout en le conservant dans toutes les reconstitutions cartographiques publiées) il faut bien expliquer la présence dans son fossé des milliers de monnaies et d’armes découvertes.

Peut-être faudrait-il y réfléchir à deux fois avant de parler des «délires» de l’adversaire.

Vous voilà dûment édifiés. La «révisionniste hétérodoxe proche de Franck Ferrand» retourne retrouver Auguste. Momentanément.

Mais pas sans avoir remercié Raphaël Enthoven - pour ce qui est des aimables appréciations publiées sur Twitter après notre entretien concernant Vercingétorix-, d’avoir rétabli une vérité très gênante pour mes détracteurs, en révélant que leurs commentaires fielleux avaient été postés avant la diffusion de l’émission. Ce qui veut, hélas ! tout dire…

[1]   La coïncidence entre ce nombre et la date de la fondation de Rome est amusante!
[2] La mesure est dépassée, je crois, par cette phrase fielleuse : "Franck Ferrand, le sémillant et papillonnant journaliste qui aime à se montrer en train de lire César dans le texte, assis dans une cabine d’hélicoptère"... 
 Indigne d'universitaires ou assimilés.
 

                                                                               Danielle Porte   ©




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire