la Colline inspirée

la Colline inspirée

jeudi 26 février 2015

Retour aux sources




 Retour aux sources : 

au commencement était César



J’allais poster Alise au Pays des Merveilles quand m’est parvenu le fascicule 114 du CESHE qui publiait ma communication au colloque de Reims le 8 novembre 2014. Elle concernait la méthode Berthier dans la recherche d’Alésia. Nous nous avisâmes qu’elle représentait exactement ce qui manquait à ce blog, et que, prise par une actualité alésienne chargée, j’avais oublié d’y faire figurer : l’exposé de la thèse Berthier, tout simplement

Lacune remplie séance tenante : les Merveilles ne sont que partie remise… pas pour longtemps.

***

Prétendre déplacer Alésia, c’est prétendre déplacer les montagnes. La gageure est-elle possible ? Oui.
Oui, à condition de consentir à remplacer la taupinière qu’est Alise Sainte-Reine[1] par la « très haute montagne » qu’évoque César ; à condition de changer de région et de passer de Bourgogne en Franche-Comté, c’est-à-dire du pays éduen au pays séquane[2], selon l’affirmation de Dion Cassius et d'oublier une archéologie trompeuse parce que manipulée, pour préférer les déductions que permet le bon sens. À remplacer, donc, la foi du charbonnier par l’étude des textes.

Chronologie oblige : j’étudierai d’abord la foi du charbonnier, et ensuite exposerai la démarche que suivit André Berthier, en 1961-1962, pour installer Alésia sur un site plus plausible.


1°) la genèse
           
De quels éléments sûrs disposait-on, au départ, pour identifier Alésia ?

* César assiège et détruit Alésia, avec un É, en 52 av. J.-C. L’affrontement avec Vercingétorix, les péripéties du siège et la description de son site font l’objet du livre VII de sa Guerre des Gaules, le de Bello Gallico, abrégé en B.G.
          
* En Gaule existe, d’autre part, une cité bourguignonne en ruine, près de Montbard, à quelque 47 km de Dijon à vol d’oiseau. Ces ruines, gallo-romaines, datent du temps d’Auguste (# depuis 31 av. J.-C.). On n’a pas retrouvé de traces d’un peuplement antérieur gaulois, bien que, selon les archéologues, on ait fouillé jusqu’à la roche. Hormis 5 fonds de cabane repérés au lieu-dit En-Curiot, rien n’existe plus de ce que Diodore de Sicile[3] qualifiait de « très grande ville ». Au point qu’un article de Fabienne Creuzenet s’intitule Cherche Gaulois désespérément.

Cette cité se nomme Alisija, avec deux i et un j. La forme précise de son nom est gravée sur une plaque de pierre, dite « de Martialis » à cause du nom propre qu’on y a identifié, le reste de l’écrit demeurant conjectural ; car, si les caractères sont latins, le texte est en gaulois, langue non encore déchiffrée. C’est une gravure très rudimentaire : les mots en bout de ligne sont recroquevillés et les lettres superposées, p. ex. : Dannotali (ligne 1).  On pense qu’il s’agit d’une dédicace au dieu Ucuetis, (ligne 2) lui aussi hypothétique protecteur des forgerons, à cause du texte de Pline[4]. Mais on y lit deux mots magiques : IN… ALISIJA, séparés par une ébréchure.
L’objet fut découvert par Charles-Hippolyte Maillard de Chambure, en 1839.

     
Tout rapprochement toponymique serait un leurre : l’Alesia qu’assiégea César et l’Alisija bourguignonne sont  deux villes que rien ne reliait…

… Rien, jusqu’au moment où le moine Éric d’Auxerre, en 864 ap. J.-C.[5], s’avisa de faire de la seconde l’héritière de la première. Il venait de traduire la Guerre des Gaules, il s’occupait de composer un éloge de Saint-Germain et de Sainte Reine, dont on transportait justement les restes à l’abbaye de Flavigny, et il n’hésita pas à transformer, pour les nécessités d’un « éloge », la défaite de Vercingétorix en victoire, et le nom d’Alisija en Alesia.

Pourquoi ? J’ai conjecturé qu’il y avait à cela une raison métrique : les Miracles de Saint Germain, où l’on trouve l’équation Alise = Alesia est un poème, et la poésie latine obéit à des règles strictes pour ce qui est de la "quantité" des syllabes. La forme authentique du nom de la ville bourguignonne, comportant deux i + un i longa (soit notre j), ne pouvait être employée dans un vers latin, tandis qu'Alesia s'y intégrait sans mal. Dès son livre suivant, Éric revint à la forme Alisia, parce qu’il écrivait en prose et n’était donc pas contraint par la longueur des voyelles et leur disposition. Mais le mal était fait !

Soulignons néanmoins que tous les registres paroissiaux existants, les cartulaires etc., avant et après lui, n’ont jamais écrit le nom de la bourgade autrement qu’Alisia. Ils n’avaient sans doute pas lu Éric, ni, d’ailleurs, César, et utilisaient la graphie traditionnelle du lieu.


2°) la recherche napoléonienne[6]

L’identité Alisiia = Alésia fut pourtant remise en question le 10 novembre 1855 lors d’une communication présentée à la Société d’Émulation du Doubs par un architecte, Alphonse Delacroix. Elle fait l’effet d’une bombe : Alésia n’est pas Alise, en Bourgogne, mais Alaise, en Franche-Comté. Pour la prononciation, Alaise correspond mieux à l’Alesia césarienne qu’Alise, et cette hypothèse se révèle étayée par des découvertes de monnaies, de jetons etc.. Toutefois, le relief n’a rien à voir avec celui que décrit César.

Alaise reçoit deux soutiens importants : ceux de Jules Quicherat, frère de Louis, l’auteur du Dictionnaire latin, et d’Ernest Desjardins. C’est alors une guerre de mémoires et de démonstrations concurrents, les trois savants affrontant l’archiviste dijonnais Claude Rossignol puis, en 1858, le duc d’Aumale.

Afin de mettre un terme au litige, une commission est créée par l’empereur Napoléon III lui-même, la Commission topographique des Gaules (17 juillet 1858). Sans même aller voir Alaise, ses membres tranchent, officieusement, en faveur d’Alise.

En 1860, la découverte fortuite de haches de bronze dans un fossé de drainage des marais qui entourent Alise, fait croire à une preuve archéologique par les artefacts. Et l’on va procéder à des fouilles entre 1861 et 1865. Bien que les fossés découverts  n’eussent rien à voir pour leurs profils et leurs dimensions, avec les chiffres césariens, on les homologua, et avec eux les monnaies et les armes qu’ils recelaient… objets dont les Alaisiens ne se privèrent pas de dénoncer le caractère hétéroclite, voire les tricheries qui les avaient opportunément installés là où l’on pensait qu’ils seraient facilement découverts. Mais pas avec assez de discernement : armes encore empaquetées, trouvées, avec quelque 800 monnaies, dans le fossé intérieur des lignes alors qu’on se battait à l’extérieur…[7]
        
Car le principal supporter d’Alise était une pointure à ménager : l’empereur Napoléon III lui-même, qui publia, en 1865 et en 1866, son Histoire de Jules César. Outre ces travaux historiques, censés rivaliser avec le Précis des guerres de Jules César qu’avait écrit Napoléon Ier, il était motivé par le désir de fonder un musée susceptible de concurrencer le musée allemand de Mayence – d’où l’urgence de se procurer des objets de fouille : à cet égard, la terre d’Alise, devenue un gruyère archéologique depuis les trouvailles de 1860 et dont le maréchal Vaillant fut mandaté pour récupérer les trésors, se montrait plus que généreuse… mais en objets de tous les siècles, depuis l'Âge du Bronze jusqu’aux Mérovingiens.

Le numismate impérial Félix de Saulcy alla même jusqu’à acheter le célèbre statère d’or représentant prétendument Vercingétorix à une vente de l’hôtel Drouot et Napoléon III le substitua aux pièces authentiques, mais informes, sorties réellement du sol bourguignon. Censée prouver que Vercingétorix était présent sur Alise, cette pièce provenait en réalité d’Auvergne, exactement : de Pionsat, près de Clermont-Ferrand !


          
Ce qui motivait aussi l’Empereur, c’était l’intérêt qu’il prenait à l’installation du train Paris-Lyon-Méditerranée dont il avait inauguré, en tant que Président de la République, la section Paris-Tonnerre le 12 août 1849. Le « grand jour » d’Alise fut le 19 août 1861, avec la visite que rendit l’Empereur aux chantiers de fouilles.
        
Les fouilleurs furent le jeune cultivateur Victor Pernet, l’agent-voyer Paul Millot, relayés, à partir de septembre 1862, par le colonel Eugène Stoffel. C’est sous son administration qu’on découvrit le beau vase d’argent ciselé, un canthare, exhumé par Claude Gros dit Lapipe, oncle du fameux chanoine Kir, ainsi que les multiples armes et monnaies qu’on fit surgir du fossé au pied du mont Réa. C’était une œuvre d’art probablement hellénistique ou d’époque néronienne… et bien incongrue sur un champ de bataille ! Toujours rien à voir avec les combats autour d'Alésia.

Enfin, en novembre 1864, on crut identifier le grand fossé d’arrêtBien que ce fossé ne fût pas le bon, l’Empereur le considéra comme la preuve décisive et consacra enfin l’identité d’Alise avec Alésia par l’érection de la statue symbole, 6,60 m de haut pour le personnage, en tôles de cuivre battues, assemblées par Aimé Millet, juchée sur un socle en granit de 7 m de hauteur imaginé par Eugène Viollet-le-Duc. Installée sur le mont Auxois le 27 août 1865, elle n’a pourtant jamais été inaugurée. 

Aux dernières nouvelles, la cérémonie serait prévue pour cet été 2015. Dernière invention des Alisiens pour authentifier leur site, comme le Muséoparc l’identifie déjà depuis 2012. Les textes seront priés de s’effacer devant le béton et la tôle ondulée. Napoléon III aura vaincu César.

Pas sûr…  

 l



3°) la recherche moderne
        
En 1898. La bagarre reprend, avec Georges Colomb, préfet de Haute-Saône, maître-assistant en Sorbonne, qui relève le flambeau d’Alaise, en publiant des réquisitoires accablants contre Alise. Ils n’ont rien perdu de leur pertinence.
        
1958 : l’oracle, avec l’académicien Jérôme Carcopino[8]. Il est fort embarrassé par… la Séquanie et l’avoue : « Je n’ai pas un instant douté de l’identification, suggérée par les descriptions des Commentaires et nécessitée par les fouilles, de l’Alésia de César avec Alise-Sainte-Reine ; mais toutefois, j’ai pensé qu’elle ne s’imposerait que lorsqu’aurait été levée l’hypothèque dont la greva Georges Colomb avec l’irréfutable démonstration par laquelle il a prouvé que la marche de César en direction d’Alésia per extremos fines Lingonum in Sequanos, prédisposait une Alésia située en territoire séquane. »
        
La situation d’Alésia en Séquanie est donc jugée  irréfutable par un académicien, et quel ! Retenons bien la Séquanie, c’est l’une des pièces capitales du dossier.
        
Carcopino tente, dès lors, non pas de piétiner la grammaire latine, mais de résoudre cette situation intenable grâce à une hypothèse qui ne l’est pas moins. Puisque Alésia doit s’élever en Séquanie, et qu’Alise-Sainte-Reine, bourguignonne, en est bien loin, il n’y a qu’à déplacer les Séquanes pour les rapprocher d’Alise… La thèse est acrobatique et, il l’avoue aussi, ne semble pas convaincre ses estimables confrères.

Le prestige joue, toutefois, et met un point final à la controverse, permettant à Joël Le Gall d’écrire, en 1963 : 
« La seconde bataille d’Alésia est close. »

Il se trouve qu’en 1961 commençait… la troisième, aussi âpre que les deux premières et davantage encore, l’opiniâtreté des adversaires d’Alise et la justesse de leurs arguments exaspérant de plus en plus la science officielle. Cette année-là, en effet, André Berthier, conservateur du musée de Constantine, s’appuyant sur les révélations des textes antiques et non sur les découvertes archéologiques, mettait au point son hypothèse d’Alésia à Chaux-des-Crotenay, dans le Jura, concrétisée, en 1963, justement !, par un document déposé entre les mains de Jean Leclant, Secrétaire perpétuel de l’Académie française, et par un rapport adressé en 1964 à la circonscription archéologique de Franche-Comté.
        
La levée de boucliers fut générale, tous les historiens de la  "Communauté scientifique" rivalisant d’invectives contre une thèse qu’ils se gardaient bien d’analyser point par point. Elle contredisait le dogme officiel : c'était suffisant pour la rejeter sans même y jeter un coup d'œil - ce qui, depuis cinquante ans, n'a pas changé. Carcopino, toutefois, reçut Berthier chez lui et lui avoua qu’il « l’avait fait hésiter », tandis que le grand historien Pierre Grimal, professeur à la Sorbonne, acceptait la présidence d’honneur d’une association destinée à défendre l’Alésia jurassienne. Pour André Berthier lui-même, décédé en 2000, la question d’Alésia lui ferma les portes de l’Académie française, et il ne fut que Correspondant de l’Institut.

En 1991 s’ouvrit une campagne de fouilles modernes destinées à vérifier les résultats napoléoniens. Dirigée par Michel Reddé et Siegmar von Schnurbein, elle s’étala sur 6 ans, et engendra un Rapport de fouilles monumental (2001) qui concluait que ces fouilles avaient entièrement corroboré les résultats napoléoniens, mais aussi que rien n’était sûr ! « L’archéologie montre à l’évidence que cette description [= de César] ne correspond, pour l’instant, à aucun des secteurs explorés[9] »

L’étude attentive que nous avons menée sur ces textes, dans la Supercherie dévoilée, relève à chaque chapitre les aveux des archéologues embarrassés par des vestiges militaires extravagants et des trouvailles aberrantes, mais leur conclusion est chaque fois optimiste : la recherche impériale est entièrement vérifiée…

Il ne s’agit pas de nier qu’il y ait eu à Alise une ville antique : les ruines sont là pour le prouver ; mais elles datent d’après la conquête.
Il ne s’agit pas de nier qu’il y ait eu un siège d’Alise : ceux des fossés qui sont visibles à la photo aérienne, (si on élimine les fossés de drainage de 30 cm de profondeur), attestent qu’il y eut un siège et même plusieurs : Alise subit quatre incendies à quatre époques de l’Empire et du Bas-Empire, à en croire les monnaies exhumées des couches de cendres dans la ville. Mais ces sièges n’ont rien à voir avec l’Alésia de 52 av. J.-C.
           
La recherche d’Alésia au XIXème siècle s’appuya donc exclusivement sur les découvertes archéologiques, toutes prises pour argent comptant, bien que parlant d’époques éloignées du siège de 52. On cita toujours le texte de César, B.G.,VII, 69, qui donnait quelques indications sur le relief, mais on oublia les précisions qu’apportent d’autres paragraphes, et on oublia surtout de comparer les résultats des fouilles avec les chiffres donnés par César. « Les fouilles corroborent... »… On ne cherche pas plus loin.

On continue d’ailleurs aujourd’hui à ne pas s’aviser des contradictions. Lors d’une conférence récente près de Nîmes, au terme d’un exposé complet sur les invraisemblances des fouilles, un partisan d’Alise m’a déclaré : « Je ne connais que le texte de César, les autres sont tardifs ou marginaux ! » Comme par hasard, ce sont les textes grecs, qui, tous, révèlent un détail qui dérange… mieux vaut les ignorer ! Et il ne s’apercevait pas que, pas un seul chiffre donné par César n’étant vérifié sur le terrain, il y avait un choix à faire entre César et Alise… Toujours la foi du charbonnier… 

Or, à côté des éléments concrets, il existe des textes, latins et grecs. Si les grecs sont tardifs, ils s’inspirent de textes plus anciens, voire contemporains de César[10] : les Éphémérides de César lui-même ; un livre entier de Tite-Live, perdu ; les mémoires des généraux de César, perdues ; celles de son secrétaire et garde du sceau, Valérius Proculus, perdues ; les livres d’Asinius Pollion, perdus ; celui de Varron d’Atax, réduit à un seul vers ; un livre entier d’Appien, perdu ; l’Histoire d’Ampius, perdue ; les Annales de Tanusius etc. : seuls les titres restent, mais les ouvrages étaient consultables encore à l’époque de Servius le Grammairien (IVème s. ap. J.-C.). 
Puisque tous ces ouvrages exposaient la guerre des Gaules, ils ont été forcément lus par les auteurs tardifs qui, parfois, les citent. Pourquoi ne pas leur faire confiance ?


4°) la thèse Alésia = Alise

Voyons donc ce qui dérange dans l’hypothèse Alésia=Alise.

LE RELIEF

Ses supporters ont beau jeu d’incriminer toujours le flou du texte de César, laconique sur la géographie d’Alise. Ils en retiennent : une colline, deux rivières, une plaine et concluent qu’on trouve des Alésia partout, "même au Japon". 

Oui, mais… Il ne faut pas opérer un tri parmi les éléments dont on dispose !
* la colline doit être « très élevée », admodum edito loco, ce qui est loin d’être le cas à Alise ;
* la ville est au sommet de la colline, summo colle ;
* les rivières lèchent les bords de la colline, lesquels sont de ce fait abrupts. abruptis ripis ; ce qui sous-entend des gorges, d’autant que, sur leur autre rive, à peu de distancemediocri interiecto spatio, se dresse une ceinture d’autres collines de même hauteur.
* les deux rivières d’Alise, l’Oze et l’Ozerain (on omet la 3ème qui est la plus importante, la Brenne, non guéable, ce qui empêche toute opération en plaine) coulent à 300 m de l’oppidum, pas au pied. Leurs bords sont à peine marqués, car elles serpentent dans les prairies. Elles sont à sec l’été et occupées par les vaches. On les qualifierait de ruisseaux plutôt que de flumina, mot qui désigne des rivières importantes, propres à couper le passage.
* la plaine mesure 3000 pas, soit 4,500 km, en longueurin longitudinem, glissée entre d’autres collines, intermissam collibus, comme une langue ; elle est en avant de la place forte, ante id oppidum. La plaine des Laumes s’étale, elle, sur 60 km en largeur
* Il existe, au nord, une montagne trop importante pour avoir été cernée par les lignes. Celle d’Alise est au notd-ouest.

Les Alisiens opposent à ces précisions qui ne leur conviennent nullement des réponses alambiquées voire ridicules. La plaine des Laumes s’étend sur 60 km, en largeur à perte de vue ? C’est qu’elle doit être mesurée en zig-zag, ou en diagonale, ou en demi-cercle… Ils ne répondent absolument rien sur les autres objections, hauteur, proximité, gorges etc. Ou, le pire, traduisent froidement (Yann Le Bohec) in longitudinem par : « de large »… De quoi faire frémir même un apprenti latiniste.

Et surtout, ils font une impasse totale sur les éléments rédhibitoires :

* la montagne, c’est-à-dire un massif montagneux, au nord de la place forte, dont les parois sont escarpéesprærupta, si bien que les Gaulois doivent les escalader, ex ascensu temptant, pour atteindre le camp de deux légions que César a installé au sommetsuperiores munitiones, de la montagne. 
La montagne Nord d’Alise n’est pas au nord mais au nord-ouest, déjà la carte de Bourguignon d’Anville trichait pour mettre le mont Réa au nord du Mont-Auxois qui porte Alise. Il n’existe pas d’abrupts, et les Gaulois ont d’autant moins besoin de les escalader que le camp du Réa se trouve au pied de la colline et pas en haut !  

* On oublie de spécifier qu’Alésia était une « très grande ville » et qu’elle était la « métropole religieuse de toute la Celtique »  (Diodore de Sicile). Qu’une métropole religieuse n’abrite aucun monument religieux gaulois ou même protohistorique, s’il est vrai que la ville eût été construite par Hercule, est en soi une singularité ! Donc, on ignore la "métropole religieuse" et la "très grande ville".

Sur les 97 ha d’Alise, il est possible de caser, disons à la louche : 18 000 hommes ! Or, ils seront 95 000, plus la population, la ville, les troupeaux, les pâturages… 

* La ville était, dit Plutarque, « imprenable à cause de l’énormité de ses remparts ». Pas de remparts à Alise, donc on n’en parle pas.

* Enfin, on se garde bien de mentionner le second site, qui fait diptyque avec celui d’Alésia, où se déroule, la veille du siège, le combat de cavalerie lors duquel Vercingétorix attaque César et, repoussé, se retire sur Alésia. Il y faut une plaine, une colline à droite de l’armée romaine, un fleuve derrière lequel s’installe l’infanterie, et le tout à 15 km, une demi-étape, de l’oppidum d’Alésia. Pas de plaine à moins de 60 km d’Alise, en dépit des 52 possibilités examinées. Ce qui amène les Alisiens à traduire altero die, le « lendemain » par « le surlendemain »… pour que César ait le temps de franchir la distance !

L’ARCHÉOLOGIE ALISIENNE

la contrevallation est figurée par une ligne à dents fines orientées contre l'oppidum
la circonvallation par une ligne à dents épaisses tournées vers l'extérieur
le grand fossé d'arrêt est désigné par les lettres F F F F
les camps par des aplats rouges
les castella par de petits carrés roses
les camps gaulois et la maceria sont du côté droit de la colline
             
Alise appuie essentiellement ses prétentions sur les découvertes archéologiques. 
Mais cet appui est-il solide ?
Il y a des fossé, oui ; des camps, oui. Sont-ce des vestiges césariens ? Non.
Il y a des monnaies, oui ; des armes, oui. Datent-elles du siège de 52 ? Non.

Quant à la reconstitution cartographiée par les soins de Napoléon III et qui sert de critère à la recherche moderne, elle montre combien les affirmations péremptoires au sujet de leur parfaite correspondance avec le texte ne sont  que de la poudre aux yeux... on dirait aujourd'hui "de l'intox".

- Le plus flagrant : la taille des deux lignes fortifiées, qui doivent mesurer 17 km côté intérieur et 21 km côté extérieur. Si Alise veut respecter ces chiffres, il lui faut écarter exagérément ces lignes de la colline qu'elles enserrent, et les faire se gondoler à mi-pente des collines alentour. De plus, les Gaulois disposent à volonté de l'eau des deux rivières.
Pourquoi obliger les légionnaires à construire 17 km de fortifications pour entourer une colline de 4,575 km de périmètre ? César s'est vu "obligé" dit son texte, tantum spatium necessario, de réaliser des travaux que l'Antiquité qualifiait d'"inouïs". Cela laisse entendre que l'espace à ceinturer était bien plus vaste que le mont Auxois, auquel l'expression "un si grand espace", tantum spatium, s'applique difficilement.
Aucun relief ne vient interrompre les lignes : cela implique une édification continue. Il en résulte que le travail imposé aux hommes aurait mobilisé deux fois les effectifs de l'armée romaine, et 24 heures sur 24 : inadmissible.
D'autre part, les lignes laissent environ 1800 à 2000 m entre elles et la colline : est-ce bien raisonnable ?

Comme la distance entre les deux lignes est complètement fantaisiste, il ne reste parfois aux soldats que 300 m pour installer leurs camps, et même 100 m sur Grésigny. La norme pour un camp romain est de... 800 m de côté.
Du coup, les camps se retrouvent en dehors de la circonvallation censée les protéger (camps 1, 2, 3) ; parfois même, ils l'enjambent! (camps 4, 5).

Les castella, fortins destinés à protéger les soldats pendant les travaux, sont derrière la contrevallation au lieu d'être devant. Et pourquoi en installer devant la circonvallation ? Les assiégés ne peuvent attaquer cette seconde ligne, puisqu'ils sont bloqués par la première.
Et des fortins qui taillent 0,5 ha, c'est sans commentaire.  

 - Les camps n’ont nulle part la taille requise de 45 ha pour 2 légions, selon Polybe, et devraient même être plus grands puisque de son temps l’effectif était de 4500 hm par légion et qu’au temps de César il est de 6000 (réforme de Marius, son grand-oncle). Leur surface varie entre 36 ares… 1 ha... 3 ha… 4,5 ha… 6 ha… 7 ha… et le plus grand : 9 hectaresUne plaisanterie ?

Ils brillent même par leur absence ! Dans la plaine, où ils ont résisté, dit César, à tous les assauts, on n’en trouve plus un seul, entre Bussy et Flavigny, soit sur 9 km de parcours. Ceux qu’on avait cru identifier étaient des enclos à chèvres ou des établissements gallo-romains.
               
Le grand fossé d’arrêt a été creusé, selon César, à 400 pieds, soit 120 m, en avant de la contrevallation. Il en est distant, à Alise, de 680 m, de 600,…de 700… de 500… jusqu'à 1000, selon la courbe qu’il décrit...
On a donc osé corriger les manuscrits et remplacé les piedspedes [du texte de César] par des paspassus, ce qui permet de multiplier 400 par 1,50 m plutôt que par 0,30 m… et, du coup, Alise vérifie César !
Au lieu d’être un fossé en fond de cuve (même largeur en haut qu’au fond), il mesure 5 m en haut (au lieu de 6 m) et 2,5 m au fond, il est donc en V.

Les autres fossés devraient mesurer 4,40 m d’ouverture, ils en sont loin ! Pas un seul ne respecte les chiffres de César. Comble d’aberration : certains sont profonds de… 32 cm ! Les appeler « fossés militaires » ? On hésite ! Ce sont des rigoles de drainage, vu l’état marécageux du terrain.
À ce propos, César affirme lui-même qu’en pays marécageux la cavalerie ne peut combattre – or, tous les combats décrits sont des combats de cavalerie – et A. Pernet, chef des travaux, atteste que le terrain empêchait de creuser des fossés profonds et qu’il fallait drainer avant la visite de Napoléon III… Comment les légionnaires de César purent-ils les creuser, alors ?
           
Les tours, sur les retranchements, devraient être distantes de 24 m… Elles le sont de 7 m… 15 m… 18 m… 58 m ou 60 m, pas une seule fois de 24. On se demande pourquoi César a communiqué des chiffres, puisque personne ne les a respectés !
            
Quant aux trous creusés pour y enfoncer des pieux pointus, qui devraient être profonds de 1 m, ils le sont de 30 cm  Ils devraient être distants de 2,60 m, ils le sont de 90 cm… Et en certains endroits, les tranchées sont profondes de 5 cm, pour retenir des pieux de 1 m…

- Restent les Gaulois… Napoléon III les a logés à l’arrière de la colline. Très pratique pour surveiller les Romains ! Et puisque tous les combats se sont déroulés dans la plaine de 3000 pas, il leur faut contourner tout le Mont Auxois pour venir s’y battre ! Trois cents mètres d’espace plat tout autour de la colline leur permettaient de ne pas s’obstiner à aller affronter les Romains dans la seule plaine des Laumes. Mais César a spécifié chaque fois que les empoignades ont lieu "dans la plaine de 3000 pas". Alors...

Passons aux objets trouvés :

* Les monnaies sont en orichalque, un alliage inconnu à cette époque. Si elles ont été frappées sur l’oppidum, comme monnaies de siège (mais pour acheter quoi ?) elles devraient être neuves puisque ayant circulé moins d’un mois. Or, elles sont très usées…

        
* Les fibules ne sont pas de la bonne époque, tout comme les amphores (# 30 av. J.-C.)

* Les armes : un vrai bric-à-brac de trois ou quatre époques différentes. Elles sont en trop grand nombre (# 700 fers) quand on sait qu’une armée ne laissait traîner derrière elle aucun débris métallique. On n’a pas retrouvé de glaive, arme typique des Romains ; mais il y a des tribuli (piquants en ferque César ne mentionne pas. Tout ce matériel gêne tellement les Alisiens qu’ils ont fini par l’identifier comme un dépôt votif…

* Tout comme les quelque 1000 monnaies des fossés… dont des romaines, mises à l’abri, nous dit-on, dans les fossés extérieurs des camps, la veille des combats, ce qui est une énormité.

Du reste, on désavoue ce camp, aujourd’hui, et c’est d’autant plus gênant que c’est dans le fossé qui l’entoure qu’on a trouvé tous les objets, armes, monnaies, censés prouver Alésia dans Alise. S’il n’y a pas de camp, il ne devrait pas y avoir de fossé ! et donc, ni armes ni monnaies ! ce qui signe la tricherie napoléonienne, cautionnée par le silence des Modernes.
           
L’archéologie d’Alise est donc une pure aberration ! Mais lisez n’importe quel ouvrage ou article de revue, de J.-L.Voisin, de C. Grapin, de Y.Le Bohec : « Aucun autre site ne peut montrer pareille richesse archéologique. » Mieux vaut, pour leur crédibilité, que les autres sites ne la montrent pas !
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« Le dogme officiel, écrivait Georges Colomb, ne repose sur aucune base sérieuse et, s’il tient debout, ce ne peut être que par la force de l’habitude. »

LA SITUATION GÉOGRAPHIQUE

Reprenons donc la recherche sur des bases nouvelles et… suivons César depuis le moment où il va s’ébranler, avec ses douze légions, pour aller « secourir la Province »  (= la Provence). Le gros handicap d’Alise, c’est sa situation sur la carte par rapport à ce que dit César du contexte où il évolue à ce moment de la guerre.
           
Car César est en retraite, devant la menace d’une insurrection générale qui couve. Dès Gergovie, il a envoyé un ordre de rappel à toutes les légions cantonnées à Sens et ailleurs, ainsi qu’à son fidèle Labiénus qui était parti pour Lutèce calmer les Parisii. César a fixé le rendez-vous à Sens (Agedincum). Mais quand Labiénus y arrive avec ses 6 légions, il n’a pas dû trouver César puisque, dit le texte, « il se rend auprès de César avec toutes ses troupes ».

Où est César ? Chez les Lingons, ses alliés, c’est Dion Cassius qui nous le dit. Et il y reste deux mois : le temps qu’arrive la cavalerie germaine qu’il a envoyé chercher, puisque les Éduens viennent de s’emparer de tous les chevaux entreposés à Diou (Noviodunum).

À partir de là, César va tenter de rejoindre la Province, romaine, où il ne craindra plus rien. Vercingétorix va l’intercepter sur cette route, et l’attaquer, à # 15 km  d’Alésia. Et c’est au moment où, ayant franchi la frontière des Lingons, il est passé en Séquanie.

Si le in Sequanos de César a fait couler des flots d’encre, Plutarque a écrit que César avait franchi la frontière, et Dion Cassius qu’il fut arrêté en Séquanie. La Séquanie, c’est le Jura.

S’il part de Langres – ou de la frontière entre Lingons et Séquanes – César n’a aucun motif de se dérouter pour obliquer sur Alise, vers le centre de la Gaule, en insurrection. C’est la raison pour laquelle les Alisiens le font partir de Sens, et pas de Langres : il a ainsi la possibilité de passer par Alise.

Mais cela fait bon marché du texte de Dion Cassius, cela suppose que :
* César est resté deux mois à Sens, au milieu de Gaulois en pleine insurrection :
*  que les Germains sont arrivés à Sens incognito ; 
* qu’il existe une plaine à 15 km d’Alise susceptible d’avoir servi de cadre au combat de cavalerie : on n’en a pas trace.
 * Et, bien sûr, César n’aura pas franchi la frontière Lingonie-Séquanie. Mais les Alisiens n’utilisent jamais les textes grecs… pour cause…

Or donc, Si César est bien sur la route de Genève, grande ville de la Province, c’est qu’il a décidé de passer par le Jura, et il existe bien, sur la table de Peutinger, la route Langres-Genève, qui traverse la Séquanie à travers des cols presque en ligne droite.

Mais pour quelle raison aurait-il adopté cet itinéraire montagneux ? Parce qu’il n’a pas le choix. Vercingétorix entretient la guérilla sur tout le bord du couloir de la Saône, où passe le trajet habituel, et au fond de ce même couloir. En revanche, le Jura est encore tranquille : il passera par le Jura. Une série de cols le mène tout droit à la Province. La voie néolithique existe, de Langres à Nyon, et les ponts néolithiques aussi.

Mais si Vercingétorix lui a interdit le couloir de la Saône, c’est qu’il a une idée derrière la tête : l’attirer vers Alésia, et l’y maintenir fixé jusqu’au moment où l’immense armée de tous les Gaulois coalisés viendra le prendre par l’arrière et l’écraser contre la montagne. Il ne se réfugie pas sur Alésia, comme on l’a cru jusqu’à André Berthier, mais il a conçu une tactique géniale, ce qui explique qu’il ait choisi un lieu formant barrage et l’ait préparé en vue d’un siège probable.

Le texte le dit, quand on l’interroge consciencieusement : les troupes gauloises avaient construit en avant de la ville un mur (maceria) et un fossé, et les Mandubiens, habitants d’Alésia, avaient entreposé dans la ville de nombreux troupeaux et des réserves de blé. Alésia n’est donc pas pour le chef gaulois un refuge où le hasard de sa fuite, après la défaite de sa cavalerie, l’aurait amené, mais un lieu d’embuscade.

C’est donc qu’Alésia est dans le Jura ? Oui : les textes le disent, et André Berthier l’y a trouvée.

6°) la thèse d'André BERTHIER

La  méthode qu’André Berthier mit en œuvre était aussi simple que géniale : partir des textes, non des trouvailles trompeuses. Réunir toutes les données révélatrices, voire les débusquer dans les temps des verbes, l’indication des distances ou des mouvements de troupes.

Une fois ce corpus constitué, demander à un dessinateur de les traduire graphiquement, en tenant compte, bien entendu, des chiffres donnés par César, qui peuvent déterminer des surfaces ou des périmètres.

Une fois le croquis achevé, se procurer des cartes d’État-Major à l’échelle voulue, sélectionnées en fonction des régions où César avait des chances de se trouver, selon les deux itinéraires bourguignon et franc-comtois.

Et puis, promener le croquis, réalisé sur un calque, sur l’ensemble des cartes soigneusement ajustées – qui couvraient la totalité du plancher du bureau où il opérait.

Enfin, isoler LE site qui coïnciderait au mieux avec les données des textes… sans oublier le second site qui fait corps avec celui du siège : celui du combat de cavalerie de la veille, situé à une demi-étape d’Alésia, comportant une plaine susceptible d’avoir accueilli un combat où 15 000 cavaliers d’un côté et environ 8 000 de l’autre pouvaient se déployer et une infanterie de 80 000 hommes attendre.

            Voici les étapes de ce qu’on a appelé le portrait-robot, puisque la méthode d’André Berthier peut s’assimiler à cette méthode bien connue dans les commissariats.
* Une surface déterminée par les mesures des lignes fortifiées alentour ; par hypothèse de base : carrée, mais évidemment à modifier par la suite !
* Tout autour, des collines de même hauteur à une faible distance (mediocri interiecto spatio) : l’intervalle est donc en forme de gorges.
deux rivières léchant les bords, et se réunissant dans une grande plaine située en avant de la forteresse et en couloir entre des collines : ces précisions amènent à rétrécir le carré en pointe, pour qu’elles puissent confluer, et à le transformer en triangle, puisque des rivières ne peuvent couler à angle droit.
* La présence d’une montagne, au nord, oblige à incliner la plaine de 3 000 pas soit à droite soit à gauche.
étape 1 : le socle  / étape 2 : les deux rivières  / étape 3 : les collines alentour /
étape 4 : la plaine en avant, entre des collines / étape 5 : la transformation du carré en triangle
étape 6 l'orientation du croquis par rapport à la montagne nord
Ainsi fut identifié un site idéalement conforme aux mensurations indiquées par César et dont on voyait bien qu’il formait nasse et donc piège : une fois une armée entrée dans ce long couloir étroit, il suffisait de boucher l’extrémité ouverte pour la clouer devant un oppidum cerné par des gorges infranchissables.

Il se trouve à Chaux-des-Crotenay, près de Champagnole, le village de Syam occupant la plaine, celui de Crans, en haut des abrupts, correspondant au camp Nord.
* Les deux rivières qui lèchent bien le pied de la colline sont la Lemme et la Saine.
* La ceinture de collines de même hauteur que l’oppidum et séparées de lui par un « faible espace » s’élève bien de chaque côté.
* La plaine de Syam est bien en longueur, enserrée entre deux alignées de collines, et s’allonge sur 4,5 km exactement.
* La ville, délimitée par 6 km de remparts, occupe bien le sommet de la colline.  
* Les vestiges du camp Nord sont encore visibles en haut des abrupts qui montent vers lui. On a même repéré le creux de la montagne (Côte Poire) où se dissimulèrent 60 000 guerriers dans l’attente du dernier assaut. Le trajet pour y parvenir est parfaitement réalisable en une nuit, l’expérience en a été faite.
          
l'ensemble du site : le triangle blanc de l'oppidum
 la tache blanche à gauche = le camp nord qui surplombe Syam
la longue plaine enserrée entre des hauteurs, en avant de l'oppidum
Les exigences de la raison étaient donc parfaitement satisfaites.

À partir de là vinrent les vérifications sur le terrain, commandées par des considérations impératives tirées des textes, du bon sens et des exigences militaires. Très modestes vérifications, vu le barrage forcené que les Autorités archéologiques mirent aussitôt en place.


LA SITUATION MILITAIRE

Dans le contexte que nous avons déterminé, il fallait que le site d’Alésia formât barrage, pour que César eût été obligé de mettre le siège. Il le dit : « il était impossible de la prendre autrement que par un siège en règle[11] ». Les deux rivières qui baignent le pied de la colline ainsi que le « faible espace » laissé par la ceinture de collines alentour, l’empêchaient de passer.

Il faut faire abstraction de la route qui n’existait pas : on voit que l’oppidum bouche hermétiquement le fond de cette longue nasse où César a été attiré, et dont une armée gauloise de 254 000 hm viendra l’empêcher de sortir. Il ne pourra non plus faire demi-tour, car les 95 000 Gaulois de Vercingétorix tomberaient sur ses 60 000 ou 72 000 soldats romains…
           
Il faut, à présent, identifier le site complémentaire, celui du combat de cavalerie : on peut le situer dans la plaine de Crotenay – aujourd’hui un aérodrome – à 15 km du site. On y trouve bien le fleuve (l’Ain) abritant derrière lui l’infanterie gauloise, la butte à droite de l’armée romaine (le Montsogeon), et même la barre montagneuse qui empêcha César de voir l’attaque à son début (la côte de l’Heute, traversée, du reste, par deux routes protohistoriques).

La route qu’il a suivie jusque-là ne s’arrête pas au pied de l’oppidum. Elle y monte, au pont Jean Tournier, et le franchit, puis en ressort par le col du Gyps, et continue par d’autres cols (Morbier, Savine, Givrine, St-Cergues), jusqu’à Nyons. Ce fut la route ordinaire des diligences.

Seulement, en ce mois d’août 52, les 95 000 Gaulois, campés sur la colline, empêchaient tout passage !
           
Parlons de ces 95 000 hommes. Ce nombre comprend les cavaliers de Vercingétorix (15 000) rescapés du combat de cavalerie, que le chef va envoyer dans toute la Gaule chercher des renforts. Oui, mais, au début du siège il a bien fallu les loger, ainsi que leurs chevaux. Pour l’infanterie, César a mentionné par deux fois le nombre de 80 000 fantassins. 

Le général gaulois a donc dû sélectionner un lieu assez important pour accueillir ses 95 000 hommes, en sus de la population des Mandubiens, de leur ville, de leurs remparts, de leurs troupeaux, pâturages, bâtiments agricoles, et aussi des « nombreux troupeaux » qu’ils y ont fait entrer pour le siège.

Il faudrait 225 ha pour y mettre UNIQUEMENT les soldats ! Avec ses 97 ha, Alise est éliminée d’office.

Le site de Chaux-des-Crotenay occupe 1000 ha. La ville, délimitée par ses remparts cyclopéens aux dalles pesant # 1 tonne chacune, s’étend sur 140 ha, comme Vesontio (Besançon) p. ex., et tout autour abondent prairies et pâturages susceptibles de loger et de nourrir 95 000 hm, les chevaux et les réserves de nourriture sur… pattes.

les énormes dalles du rempart cyclopéen, aux Chaumelles
Le plus célèbre des Alisiens le considère comme "un muret agricole".
S'il avait pris la peine de venir le voir - ou de regarder une photo - l'aurait-il dit ?
Pour ce qui est de la stratégie, considération prégnante en ce qu’elle n’est pas imprécise comme l’est un relief indiqué en quelques phrases et qu’elle doit pouvoir rendre compte de toutes les péripéties décrites, on est en mesure de replacer tous les mouvements de troupes indiqués par César et de comprendre la fameuse dernière bataille dite « du camp Nord » qui décida du sort de la guerre.

Le seul point fragile des fortifications romaines se trouve au petit col (Crans) qui domine la plaine et permettrait à qui arriverait jusque-là de descendre sur Syam en un clin d’œil, et de se retrouver, surtout, à l’intérieur des lignes romaines. Cest pourquoi César y a installé deux légions. 
           
Désespérant de venir à bout des formidables fortifications élevées par César, les chefs de l’armée de secours, (enfin arrivés sur les lieux après un bon mois de retard, ce qui a obligé Vercingétorix à expulser les habitants d’Alésia, faute de pouvoir les nourrir, et à rationner sévèrement ses soldats),  vont essayer de les contourner. Ils envoient le cousin de Vercingétorix, Vercassivellauncontourner, de nuit, la colline Nord, avec un gros effectif : 60 000 Gaulois, l'équivalent de 10 légions romaines ! 

Arrivés vers 9 h., ils se reposent jusqu’à midi, heure du déclenchement d’une triple attaque :
1 - des assiégés sur les retranchements de plaine, côté intérieur ;
2 - depuis les collines tout autour, des 194 000 Gaulois qui y campent (254 000 – 60 000 = 194 000).
3 - des hommes de Vercassivellaun sur le camp Nord – et l’on voit que, s’ils déferlent, d’en-haut, à l’intérieur des lignes de plaine, la situation, pour les Romains, est désespérée. Il faut donc défendre ce camp coûte que coûte, et c’est la raison pour laquelle César va intervenir en personne.

À Chaux, tous les détails du dernier combat se mettent en place comme les pièces d’un puzzle exactement replacées.

À Alise, cette reconstitution est impossible : les troupes de Vercassivellaun auraient besoin d’une heure et demie de marche pour atteindre l’arrière de la colline Nord, pas de toute la nuit. Et le camp étant en bas de pente, on ne pourrait l’atteindre en « escaladant »…


L’ARCHÉOLOGIE À CHAUX

Le site ayant été déclaré « archéologiquement nul » par une Autorité qui visita le site (et resta une heure pour visiter mille hectares + le camp Nord !) il n’y eut jamais que des autorisations de sondages non de fouilles, limitées au camp Nord, sans équipe,  sans encadrement, sans matériel et sans subvention bien sûr. Nous fûmes donc une trentaine de bénévoles à creuser à la pelle de jardin ou aux piquets de tente, un mois ou deux par an, durant quelque trois dizaines d’années.  

Le mobilier surgit du sol : poteries brisées par milliers, armes, en débris mais parfois entières, même une superbe clef en fer et bronze, modèle Pompéi, et un fond de patère à vernis noir et cercles concentriques, estimé de la fin du 1er siècle av. J.-C.


         
                                                         
Quelques éléments militaires : armes (flèche à virole de bronze, pointe de pilum pyramidale, talon de lance) ; clef en fer et bronze, double panneton coudé, à l'équerre ; mur militaire de 400 m à la Grange d'Aufferein 

Aujourd’hui, nous avons pu envisager des campagnes de reconnaissance aérienne par LIDAR (caméra aéroportée photographiant le sous-sol), par magnétométrie et par géoradar, toujours effectuées par des bénévoles, mais spécialistes de haute technicité.

Résultat : le périmètre des deux camps Nord, avec leurs tours et leurs agger, la ligne des tours, espacées des 24 m spécifiés par César, les poternes et autre murs de facture militaire, situés là où les nécessités de la défense le demandaient. Ils avaient été repérés jadis, ainsi, d’ailleurs, que les lilia (pieux aiguisés), exhumés de leurs trous, mais les opérations aériennes permettent une vue d’ensemble et l’agencement des structures en devient parfaitement cohérent.

D’autres structures (redoutes, plates-formes d’artillerie) existent dans la plaine, les fossés en V descendent jusqu’à l’une des rivières et l’on a repéré le grand fossé d’arrêt.

Même en l’absence de vérification archéologique intrusive ou de découvertes d’objets, les vestiges présents sur le terrain venaient donc confirmer la pure construction de l’esprit qu’était la thèse Berthier appuyée sur le texte de César et des Grecs. La vérification militaire a été faite par des experts en polémologie familiers du texte de César et de la poliorcétique antique sur les distances, les portées des engins de jet etc. : chaque mur, chaque tour se trouve à l’endroit voulu et a reçu sa justification.

Lors des explorations de jadis, nous avions sorti du sol des objets qui pouvaient correspondre à l’époque des combats. Récemment, l’un des nôtres, qui arpente le site de long en large à longueur d’année, a pu mettre au jour, en surface, les traces d’un établissement de l’Âge du Bronze : haches, faucilles, bijoux etc. Les Mandubiens étant, selon Pline, des bronziers renommés, peut-être sommes-nous là chez eux !

Car nous avons tous les monuments néolithiques voulus pour que notre Alésia soit la métropole religieuse qu’elle doit être selon Diodore. Des monuments uniques, tels les monuments à niche, contenant des œufs de pierre d’une texture différente de celle du réceptacle, des fours muraillés en énormes dalles creusés en pleine forêt, des tumulus à construction ornementée, des ogives, et, bien sûr, quantité d’orthostates, dalles sur chant, dolmens… des centaines en vérité. Tous sont orientés vers l’est, et tous répondent aux lois du Nombre d’Or…                 
                                                                                                             
Structures cultuelles : monument à niche et langue triangulaire orientée à la base
en contrebas : four muraillé en dalles cyclopéennes

                                                                                   
Orthostates : le Phénix et une dalle sur chant

S’il faut conclure : Alésia, celle de César et celle d’Hercule, dort sans doute sous la terre jurassienne. Mais… interdit d’y aller voir !

Elle en surgira peut-être un jour, et il faudra rendre hommage, alors, à ce Schliemann des temps modernes que fut André Berthier, dont le seul raisonnement et le seul bon sens vinrent à bout des illusions bâties sur le sable comme des tricheries destinées à étayer ces illusions ; et qui eut la joie de voir les réalités du terrain correspondre aux données des textes et valider sa méthode : la plus grande joie qui puisse être donnée à un savant. 

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Bibliographie élémentaire susceptible de compléter les allusions du texte :

LES TEXTES

César, de Bello Gallico, livre VII, éd L.A. Constans, Paris, les Belles Lettres, 1926 rééd. 199514.
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 19, 1-2.
Strabon, Géogr., IV, 2, 3.
Velléius Paterculus, Hist. rom., II, 47, 1.
Pline l’Ancien, Hist. Nat., XXXIV, 48, 17.
Plutarque, Cés., 26-27.
Tacite, Ann., XI, 23.
Florus, Épit., I, 14, 20-26.
Polyaenos, Stratag., VIII, 23, 11.
Dion Cassius, Hist. rom., XL, 39-41.
Orose, Adu. Pag., VI, 11, 411-404.
Éric d’Auxerre, Vie de saint Germain, IV, 259-267. (en 864)
Éric d’Auxerre, Miracles de saint Germain, II, 3, 114. (en 868).

OUVRAGES MODERNES

Napoléon IerPrécis des guerres de Jules César, éd. En 1836.
Napoléon III, Histoire de Jules César, 1865-1866.
J. Carcopino, César, P.U.F., 1936.
J. Carcopino, Alésia ou les ruses de César, Paris, 1958.
J. Le Gall, Alésia, archéologie et histoire, Paris, 1963.
J. Le Gall, Alésia, textes littéraires antiques, Paris, 1973.
A. Berthier & A. Wartelle, Alésia, Paris, 1990.
P.R. Machin, le Dernier été d’Alésia, Vesoul, 1995.
P.R. Machin, À la recherche d’Alésia : suivons César, Vesoul, 1997.
M. Reddé, Fouilles franco-allemandes, Paris, 2001.
Ch. Goudineau, le Dossier Vercingétorix, Arles, 2001.
M. Reddé, Alésia, l’archéologie face à l’imaginaire, Paris, 2003.
D. Porte, Alésia, citadelle jurassienne, Cabédita, 2000.
D. Porte, l’Imposture Alésia, Paris, 2004. 
J. Berger, Alésia, Chaux-des-Crotenay : pourquoi ? Paris, 2004.
D. Porte, Alésia, l’imaginaire de l’archéologie, 2012 (B.o.D.).
Y. Le Bohec, Alésia, 52 av. J.-C., Paris, 2012.
J.-L. Voisin, Alésia, un village, une bataille, un site,  Paris, 2012.
D. Porte, Vercingétorix, Celui qui fit trembler César, Paris, 2013.
D. Porte (dir. d’ouvr. collectif) , Alésia, la Supercherie dévoilée, Paris, 2014.


NOTES

[1] Selon Noël Amaudru, une Visite au Mont Auxois, 1910, p. 15. Napoléon Ier parle d’un "mamelon", Précis des guerres de César (publié par le Gal Marchand), 1836, p. 109-110.
[2] C’est le fameux ev Sèkouanois qui précise le in Sequanos du général romain (B.G., VII, 66, 2) et situe formellement en Séquanie (Jura) les opérations autour d’Alésia (Dion Cassius , XL, 39) 
[3]  Diodore, Bibl. hist., IV, 19.
[4]  À cause du texte de Pline, N.H., XXXIV, 48,3 qui présente Alésia comme une ville de bronziers, spécialiste des harnais plaqués argent. Mais l’Alésia de Pline est-elle l’Alésia de César ?
[5] J. Le Gall, Alésia, textes littéraires antiques, Paris, 1973, réunit tous les textes d’Éric et es documents médiévaux.
[6]  Pour l’historique de cette recherche, voir J. Le Gall, Alésia, archéologie et histoire, Paris, 1963, rééd. 1983.
[7]  Alésia, la Supercherie dévoilée, p. 324 ; p. 76.
[8]  Alésia et les ruses de César, Paris, 1958 ; Per extremos fines Lingonum, dans Rev. Études Anc., 71, 1969, 57-64.
[9]  M. Reddé, Fouilles franco-allemandes…, 2001, p. 125.
[10]  Sur l’ensemble des témoignages antiques, voir D. Porte, Vercingétorix, Paris, 2013.
[11] César, B.G., VII, 6



© Danielle Porte


2 commentaires:

  1. Bonjour Madame,
    Je suis actuellement enseignant dans le Territoire de Belfort et jurassien natif de la région de Cramans entre Arc et senans et Arbois. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire et je consulte le site d'André Berthier depuis plusieurs années http://www.alesia-retrouvee.fr
    Votre combat au côté de l'association est important pour la vérité historique de cette bataille fondatrice de notre pays. Concernant la 1ère bataille entre César et Vercingétorix, avez-vous des suppositions concernant le lieu du déroulement ? Il pourrait s'agir de la plaine à côté du lac de Chalain distante d'environ 17 kms de Chaux des Crotenay ou la plaine de l'ain.
    C'est une voie de passage sur la liaison entre Chalon sur Saône et la Suisse en passant par Lons le Saunier. On sait d'ailleurs que le Lac a été occupé depuis le néolithique et a été fouillé dans les années . Si c'était le cas on a peut être déjà déjà trouvé des traces de ces combats, armes et vestiges en fouillant sur le site de Chalain ! Peut être que le musée archéologique de Lons le Saunier possède des objets autre que ceux du néolithique... qui sait dans les archives il y a parfois des trésors oubliés (ex machine d'Anticythère). Plusieurs sites dans le jura ont été fouillés Loisia, Moutonne Charécia et Lons le saunier.
    Voilà j'espère que les autorisations de fouilles vont être enfin délivrées et que la vérité pourra enfin éclater. Au plaisir de vous lire.
    Jean-pascal BOLARD
    jpbolard@yahoo.fr

    Source : Musée Archéologique de Lons le saunier et Cndp

    liste des résultats des fouilles et carte romaine en Franche-comté :

    http://www.cndp.fr/crdp-besancon/fileadmin/CD39/Fichiers_cd39/mallette_archeo/Figures_malette_gallo.pdf

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  2. Bonjour Madame,
    j'aimerais vous faire part de quelques remarques concernant l'inscription dite de Martialis. La première concerne la graphie du toponyme généralement lu "Alisiia". Je crois me souvenir de mes études d'épigraphie que ces deux traits verticaux sont l'équivalent d'un E. Je renvoie à CIL, III, 10192, ou au Cagnat, p. 358.Il faudrait donc lire "Alisea". Par ailleurs, personne ne s'est, à ma connaissance, arrêté sur l'existence d'une ébréchure à l'avant de ce mot. Ce dernier pourrait donc n'être que la fin d'un toponyme, qu'il faudrait restituer (....)ALISEA. A quoi s'ajoute l'étrange étirement de ce mot. La dernière ligne est parfaitement centrée. Si l'ébréchure ne cache pas le début du toponyme, pourquoi le lapicide, si soucieux de symétrie, a-t-il à ce point étiré le mot, et même repoussé à la ligne supérieure les deux hederae, qui auraient largement trouvé leur place plus bas. Mais j'enfonce peut-être une porte ouverte.
    Avec mes sentiments les meilleurs.
    Pierre Jacob, Agrégé d'histoire

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